La recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (« ACPR ») 2024-R-03 du 21 novembre 2024 sur le recueil des informations relatives au client pour l’exercice du devoir de conseil et la fourniture d’un service de recommandation personnalisée en assurance (la « Recommandation ») s’appliquera à compter du 31 décembre 2025.
Le périmètre des professionnels concerné est large dans la mesure où la Recommandation s’appliquera à l’ensemble des distributeurs de produits financiers (au sens des dispositions de l’article L.511-1, III du Code des assurances), en ce compris les distributeurs étrangers intervenant sur le territoire français en libre prestation de services ou en libre établissement.
Si la Recommandation vise l’intégralité des produits d’assurance, l’ACPR mentionne expressément qu’elle pourra être appliquée par les distributeurs en tenant compte de la complexité du contrat d’assurance proposé, ouvrant ainsi une marge d’appréciation en vue d’ajuster la rigueur et la profondeur des démarches préconisées par le régulateur.
Ce premier article traitera exclusivement des impacts propres à la distribution de produits de capitalisation et d’assurance-vie (à l’exclusion de ceux comportant une valeur de rachat ou de transfert et ne permettant plus les opérations de versement ou d’arbitrage).
Rappel relatif à la portée des recommandations émises par l’ACPR : Les recommandations de l’ACPR ont pour finalité de permettre aux professionnels de connaître ses attentes dans la mise en œuvre opérationnelle des dispositions réglementaires qui les concernent. La méconnaissance de recommandations de l’ACPR ne donne pas lieu directement à une sanction disciplinaire. Elle peut toutefois conduire à l’adoption, par le Collège de l’ACPR, d’une mesure de police administrative (exemple : mise en demeure de prendre, dans un délai déterminé, toute mesure destinée à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l’ACPR a pour mission de veiller). |
Il convient tout d’abord de rappeler que la Recommandation reprend des règles qui étaient précédemment mentionnées dans la recommandation ACPR 2013-R-01 du 8 janvier 2013 (modifiée) sur le recueil des informations relatives à la connaissance du client pour l’exercice du devoir de conseil et la fourniture d’un service de recommandation personnalisée en assurance-vie, qu’elle remplace. La Recommandation s’inscrit également dans le prolongement de la recommandation ACPR 2024-R-01 du 28 juin 2024 portant sur la mise en œuvre de certaines dispositions issues de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances (dite « DDA »), à savoir celles portant, d’une part, sur la gouvernance et la surveillance des produits d’assurance et, d’autre part, sur la rémunération des distributeurs et les conflits d’intérêts.
Ensuite, la Recommandation introduit deux principales évolutions en matière de distribution de produits de capitalisation et d’assurance-vie par rapport à la recommandation précitée qu’elle remplace :
- d’une part, une obligation de conseil du distributeur après la souscription et pendant la durée du contrat ;
- d’autre part, une obligation pour le distributeur de s’enquérir des préférences des adhérents / souscripteurs en matière de durabilité avant la souscription ou l’adhésion à un contrat.
L’obligation de conseil après l’adhésion ou la souscription et durant la vie du contrat
Préalablement à toute acceptation d’une adhésion ou souscription à un contrat de capitalisation ou d’assurance-vie qu’il distribue, le distributeur est tenu à un devoir de conseil. Celui-ci se traduit notamment par l’obligation pour le distributeur de conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur ou de l’adhérent éventuel et de préciser les raisons motivant ce conseil. De même, cette obligation de conseil trouve à s’appliquer à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative. Cette obligation découle notamment des dispositions des articles L.521-4 (devoir général de conseil) et de l’article L.522-5 (exigences supplémentaires en ce qui concerne les contrats de capitalisation et certains contrats d’assurance vie) du Code des assurances. La Recommandation, reprenant un grand nombre des règles qui étaient précédemment mentionnées par la recommandation ACPR 2013-R-01, précise notamment pour les distributeurs :
- les modalités de recueil des informations sur les adhérents ou souscripteurs,
- la nature des informations à recueillir,
- les avertissements à divulguer (notamment lorsque le conseil porte sur des unités de compte),
- la détermination du profil de risque des adhérents ou souscripteurs,
- les modalités d’exploitation des informations collectées,
- les modalités de conservation et de traçabilité des informations collectées,
- les modalités de respect des marchés cibles, et
- les modalités de formulation du conseil délivré et des informations à fournir aux adhérents ou souscripteurs.
La vraie évolution apportée par la Recommandation réside dans les précisions apportées par l’ACPR sur le devoir de conseil du distributeur après l’adhésion ou la souscription d’un contrat de capitalisation ou d’assurance-vie comportant une valeur de rachat ou de transfert. Concrètement, l’ACPR apporte des précisions sur les obligations incombant aux distributeurs de produits de capitalisation ou d’assurance-vie depuis le 24 octobre 2024 et qui seront tenus de :
- en cas d’absence d’opération pendant 4 ans (2 ans si un service de recommandation personnalisée a été fourni), prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur pour :
- actualiser les informations antérieurement recueillies afin de s’assurer que le contrat et ses options d’investissement sont toujours cohérents avec ses exigences et besoins ;
- l’alerter et lui conseiller d’adapter son contrat ou ses options d’investissement afin de les rendre cohérents avec ses exigences et besoins si tel n’était plus le cas ;
- en cas d’opération d’arbitrage ou de versement susceptible d’affecter le contrat de manière significative, prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur pour :
- exposer les raisons ayant motivé la préconisation des supports et de l’allocation proposés au regard du profil de risque de l’adhérent ou du souscripteur et, le cas échéant, de sa capacité à subir des pertes ;
- l’alerter clairement sur les risques lorsque l’arbitrage ou le versement est réalisé vers une unité de compte constituée de catégories d’OPC principalement investis en actifs non cotés ou titres équivalents ;
- en cas d’opération de rachat susceptible d’affecter le contrat de manière significative, prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur pour :
- l’alerter en cas d’existence d’une indemnité diminuant la valeur de rachat et lui conseiller d’exclure l’unité de compte concernée de l’opération envisagée ;
- l’alerter en cas de perte de garantie en capital au terme d’une période de détention en cas de rachat avant ledit terme, et lui conseiller d’exclure l’unité de compte concernée de l’opération envisagée ;
- l’informer des conséquences fiscales d’un rachat intervenu dans le délai de 8 ans à compter de la conclusion du contrat ;
En outre, lorsque cette opération de rachat s’accompagne de la souscription ou de l’adhésion à un nouveau contrat, le distributeur devra prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur afin d’exposer les raisons qui motivent le conseil de cette opération au regard de la capacité à subir des pertes de l’adhérent ou du souscripteur, de son profil de risque et des caractéristiques à la fois du contrat devant être racheté et de celui devant être conclu ;
- en cas de changement d’orientation de gestion ou de profil d’allocation, prendre contact avec l’adhérent ou le souscripteur pour :
- exposer les raisons ayant motivé le conseil de cette nouvelle orientation de gestion ou profil d’allocation au regard de la capacité à subir des pertes de l’adhérent ou du souscripteur et de son profil de risque ; et
- l’alerter clairement sur les risques lorsque la nouvelle orientation de gestion ou le nouveau profil d’allocation permet d’investir dans des unités de compte constituées de catégories d’OPC principalement investis en actifs non cotés ou titres équivalents.
En outre, la recommandation précise d’autres démarches d’actualisation incombant au distributeur, telles que celles de mettre à jour les informations concernant le souscripteur ou l’adhérent sur son profil de risque, sa situation financière, ses connaissances en matière financière et ses objectifs pour l’opération envisagée en cas de fourniture d’un conseil par le distributeur dans le cadre de plusieurs opérations énumérées dans la Recommandation. De même, le distributeur devra tenir compte de tout changement dans la situation personnelle et financière du souscripteur ou de l’adhérent ou de ses objectifs, dont il aura été informé.
Par ailleurs, faisant preuve d’un certain pragmatisme, l’ACPR précise, en ce qui concerne les délais de réalisation du devoir de conseil, que ceux-ci ne doivent pas retarder les opérations ou entraîner la réalisation des opérations dans des conditions moins favorables. Pour ce faire, les distributeurs doivent mettre en place des moyens suffisants et proportionnés pour maîtriser ces délais (exemple : utilisation d’outils en ligne permettant d’automatiser l’actualisation des informations). L’ACPR insiste également sur le fait que les formations dispensées aux membres du personnel en charge de la relation client afin que ces derniers maîtrisent les caractéristiques des produits qu’ils conseillent puissent s’intégrer dans le cycle de formation continu prévu par la directive DDA.
On comprend donc que l’ACPR s’attend désormais à ce que les distributeurs engagent des actions concrètes en vue de mettre en œuvre spontanément les démarches précitées. Cette évolution implique nécessairement pour eux comme impacts, afin de tenir compte de la Recommandation, le fait de :
- revoir leur processus de traçabilité et d’archivage des informations et données collectées sur leur clientèle ;
- modifier leur processus de conseil et sa documentation liée ;
- mettre à jour leur dispositif de suivi périodique et d’actualisation des informations portant sur leur clientèle en mettant en œuvre des processus de relance et de gestion du refus d’actualisation à des fréquences adaptées ;
- mettre à jour leurs dispositifs de contrôle interne ; et
- revoir leur dispositifs de formation.
Le recueil des préférences en matière de durabilité avant l’adhésion ou la souscription du contrat
La seconde évolution notable de la Recommandation par rapport à la recommandation qu’elle remplace est celle des précisions apportées quant au recueil des préférences en matière de durabilité des adhérents ou souscripteurs par le distributeur, et ce, préalablement à toute adhésion ou souscription d’un contrat de capitalisation ou d’assurance-vie. Pour rappel, cette obligation découle de l’article L.522-5 du Code des assurances, modifié par la loi n°2003-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte et qui est entré en vigueur le 24 octobre 2024.
Concrètement, la Recommandation apporte des clarifications sur les éléments suivants :
- Le distributeur doit s’enquérir auprès de l’adhérent ou du souscripteur éventuel de son intérêt pour la prise en compte de la durabilité. Si tel est le cas, le distributeur doit s’enquérir de ses préférences en la matière.
- Le distributeur doit expliquer ce que sont les préférences en matière de durabilité et comment les distinguer.
- Le distributeur doit interroger le souscripteur ou l’adhérent éventuel sur la totalité des préférences en matière de durabilité (i.e. en matière environnementale, sociale et de gouvernance).
- Le distributeur doit être clair, exact et non trompeur lorsqu’il questionne, recueille et formalise les préférences de durabilité des souscripteurs ou adhérents.
L’ACPR précise également qu’elle s’attend à ce que les distributeurs appliquent les « Conseils d’application relatifs à l’intégration des préférences en matière de durabilité dans le cadre de l’évaluation de l’adéquation au titre de la directive DDA » publiés le 20 juillet 2022 par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP-BOS-22-391).
L’avis des experts
Pour les distributeurs de produits de capitalisation et d’assurance-vie, qu’ils soient français ou étrangers (mais intervenant en France par le biais d’une succursale ou en libre prestation de service), l’impact de la Recommandation est non négligeable. Concrètement, bien que les obligations auxquelles fait référence la Recommandation sont applicables pour la plupart depuis de le 24 octobre 2024, les distributeurs disposent désormais de 5 mois pour modifier leurs pratiques et dispositifs concernés par les changements afin de tenir compte du niveau d’exigence du régulateur, tel que détaillé par la Recommandation. A défaut, ces distributeurs s’exposent, selon les cas, a minima à des mesures de police administrative adoptées à leur encontre par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Toutefois, cette Recommandation peut également être perçue sous un angle positif, offrant aux distributeurs une excellente opportunité de réviser leurs processus de suivi des souscripteurs et des adhérents. L’objectif est de répondre de manière plus pertinente, personnalisée et efficace à leurs attentes, renforçant ainsi la personnalisation des offres qui leurs sont proposées. Cela devrait accroître le sentiment de considération parmi leurs adhérents et souscripteurs et contribuer ainsi au renforcement de leur fidélité à leur égard.