Redevances de franchise versées à une société interposée néerlandaise : Pas d’abus de droit

Selon la CAA de Versailles, doit être considérée comme le bénéficiaire effectif des redevances de franchise de source française une société néerlandaise qui, même si elle les reverse à hauteur d’un pourcentage substantiel à une fondation établie au Liechtenstein, dispose d’une véritable substance.

L’histoire

La société Meubles Ikea France (MIF) qui exploite des magasins spécialisés dans le domaine du meuble et des accessoires pour le public et les professionnels a conclu avec la société néerlandaise Inter Ikea System BV (IIS BV) un contrat de franchise en vertu duquel elle bénéficiait, en tant que franchisée, du droit d’utiliser :

  • Le concept Ikea ;
  • La vente alimentaire Ikea ;
  • La marque Ikea.

En contrepartie, elle versait à la société néerlandaise une redevance de franchise égale à 3 % du montant des ventes nettes réalisées en France.

Si, en principe, ces redevances relevaient du champ de la retenue à la source de l’article 182 B du CGI, la société française s’est prévalue de l’article 12 de la convention franco-néerlandaise qui attribue le droit d’imposer exclusivement à l’État de résidence du bénéficiaire des redevances (conformément en cela à la Convention modèle OCDE).

À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2009 à 2011, l’Administration lui a toutefois notifié des rectifications en matière de retenues à la source, sur le terrain de l’abus de droit.

Le redressement de l’Administration : application combinée des notions d’abus de droit et de bénéficiaire effectif

L’Administration faisait valoir que la société néerlandaise reversait 70% des redevances reçues de la société française à la fondation Interogo, propriétaire de la marque Ikea et située au Liechtenstein où elle ne payait aucun impôt direct.

Elle a dès lors estimé que la société néerlandaise n’était pas le bénéficiaire effectif des redevances, et que son interposition était exclusivement destinée à faire bénéficier, de manière frauduleuse, les redevances de l’exonération de retenue à la source par application des stipulations de la convention franco-néerlandaise.

Elle en a conclu que le versement des redevances de franchise par la société française à la société néerlandaise a procédé de la volonté de rechercher le bénéfice d’une application littérale de l’article 12 de la convention franco-néerlandaise, à l’encontre des objectifs poursuivis par les États parties à la convention, inspirée par aucun autre motif que celui d’éluder les charges fiscales que la société française aurait normalement supportées si elle avait versé les redevances au bénéficiaire effectif.

Elle a par conséquent soumis 70% de ces redevances de franchise à la retenue à la source de l’article 182 B du CGI.

La décision de la CAA de Versailles

La Cour rappelle que l’application littérale d’une convention fiscale bilatérale à l’encontre de ses objectifs dans un but exclusivement fiscal, alors même que celle-ci ne prévoit pas explicitement l’hypothèse de fraude à la loi, peut constituer un abus de droit (reprenant ainsi le considérant de principe du Conseil d’État dans sa décision du 25 octobre 2017, n°396954).

Elle infirme toutefois l’analyse retenue par l’Administration, et juge que la société néerlandaise était bel et bien le bénéficiaire effectif des redevances.

Elle fonde son analyse – sans recourir expressément à cette notion – sur la substance de la société, en retenant les critères suivants :

  • Antériorité/Date de création de la société (en 1983) ;
  • Moyens matériels et humains : la société disposait de son propre personnel et de bureaux ;
  • Consistance de l’activité exercée : la société, propriétaire du concept de franchise Ikea, exerçait une activité consistant à assurer le développement permanent de ce concept et de sa concession sous franchise à des franchisés établis dans plusieurs pays du monde ;
  • Moyens lui permettant d’exercer son activité :
  • Un magasin d’essai Ikea dans lequel elle développe le concept Ikea ;
  • Un centre de formation pour former le personnel des franchisés (ces derniers étant des sociétés qui appartiennent ou non au groupe Ikea).

La Cour relève, de surcroît, que le forfait de 70% dont s’acquitte la société néerlandaise auprès de la fondation située au Liechtenstein ne prend pas exclusivement pour assiette les seules redevances correspondant à la marque Ikea, mais toutes les redevances de franchise, incluant la rémunération du concept Ikea et celle de l’activité de vente de produits alimentaires, auxquelles s’ajoutent les frais pour l’ « Ikea business College » ainsi que le « revenu net lié au catalogue moins les contributions marketing payées aux franchisés ».

Elle en conclut que ce forfait de 70% doit être regardé comme un prix acquitté par la société néerlandaise à la fondation établie au Liechtenstein, correspondant aux droits d’exploiter la marque qu’elle lui concède.

Dès lors, elle juge que la société néerlandaise ne saurait être regardée comme le simple mandataire de la fondation et est le bénéficiaire effectif des redevances de franchise versées par la société française, sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’elle consacre une partie de ces redevances au versement d’un prix acquitté auprès de la fondation pour la mise à disposition de la marque Ikea, nécessaire au développement de son activité de franchiseur.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.