Réforme du financement participatif : l’adaptation du régime français existant face à l’instauration du nouveau règlement européen

Le financement participatif, ou « crowdfunding », est une modalité de financement dite désintermédiée, car mettant en relation des porteurs de projets ayant besoin de financement avec des particuliers ou des entreprises, au moyen d’une plateforme numérique. Ce financement se réalise sous la forme de titres de capital ou de créance en vertu de prêts ou de dons. Cette finance alternative, présentée initialement comme un phénomène passager, s’est implantée dans le paysage financier du XXIe siècle.

Fruit d’un processus législatif national prometteur, mais pouvant sembler long, la réforme semble enfin atteindre un niveau de maturité à la hauteur de son ambition. Pour autant, l’encadrement réglementaire national apparait aujourd’hui dépassé par le cadre juridique européen. Il convient donc, ici comme ailleurs, de coordonner les dispositions relevant de deux ordres juridiques : internes et européens. Si le phénomène, de l’avis des experts, demeure difficile à quantifier avec précision, on ne saurait ignorer une pratique qui, en 2020, concernait plus de 54 000 petits épargnants, avec une collecte totale cette même année de plus de 1 milliard d’euros. Le dernier coup de marteau a été porté par le Parlement et le Conseil européen avec l’adoption du règlement 2020/1503 du 7 octobre 2020 qui confère au financement participatif un cadre juridique abouti, plus ouvert et sécurisé, dont les implications juridiques suscitent d’ores et déjà l’enthousiasme d’entrepreneurs et d’investisseurs.

Un long processus législatif de libéralisation du financement participatif en droit français

Le financement participatif peut revendiquer une histoire longue. Cela pourrait être le « prêt à la grosse aventure » qui s’opérait dès le IVe siècle av. JC. en Grèce Antique, qui présente des traits communs avec le financement alternatif, du moins dans son esprit, en ce qu’il permettait aux marchands négociants de solliciter des prêts de financement pour effectuer leurs voyages au long cours. Plus de deux millénaires plus tard, ce sont les marchands de Wall Street qui se réapproprient ce concept pour faire naître le « crowdfunding » (parfois traduit par financement par la foule) initialement réglementé par le Jumpstart Our Business Startups Act de l’Administration Obama en 2012. Cette approche marque les esprits en ce qu’elle lie intrinsèquement ce dispositif à une logique d’innovation. Il faudra peu de temps pour que les marchands européens, à leur tour, envisagent le recours au « prêt à la grosse aventure » dans sa version la plus moderne, il est vrai bien aidé par le développement et la banalisation du numérique.

En France, les premières activités de ce qu’il est également aussi convenu d’appeler le « sociofinancement », se développent dès le début des années 2010, dans des domaines aussi divers que ceux des jeux vidéo, du cinéma ou de l’immobilier. Il faut cependant attendre une annonce présidentielle et la rédaction d’un guide en 2013 pour voir apparaître les bases d’un cadre législatif adapté, moins contraignant par rapport aux règles de la finance classique. L’ordonnance du 30 mai 2014 va ainsi « créer un cadre juridique adapté à ce nouveau mode de financement afin d’en assurer le développement dans des conditions juridiques sécurisées ainsi que d’offrir une protection des investisseurs ou des prêteurs ». Un « écosystème » commence dès lors à se constituer, coordonné par l’association Financement Participatif France (FPF) qui regroupe les principales plateformes de finance participative et représente ses acteurs auprès des autorités de régulation, l’AMF et l’ACPR.

Un enrichissement progressif du dispositif de financement participatif

Dès lors, par vagues d’améliorations réglementaires successives, le dispositif s’enrichit pour appréhender la globalité du phénomène sans en sacrifier les singularités. Parmi celles-ci, on trouve le statut d’ « intermédiaire en financement participatif » (IFP) pour les plateformes exerçant sous les modèles du don et du prêt ou celui de « conseiller en investissements participatifs » (CIP) pour les plateformes exerçant sous le modèle de l’investissement en fonds propres.

Le décret n°2014-1053 du 16 septembre 2014 quant à lui définit les conditions d’exercice des plateformes de financement et les montants maximums des prêts consentis par les particuliers et détaille les capacités professionnelles requises pour l’exercice de l’activité d’intermédiaire. D’autres textes d’application consacrent « le minibon », nouvelle catégorie de bons de caisse proposée par les plateformes de financement participatif à partir d’octobre 2016, et un régime spécifique pour les projets de production d’énergie renouvelable. Le régime des minibons, qui favorisait le financement par emprunt (titre de dette) d’entreprises (sociétés par action et SARL) qui ne pouvaient accéder au marché des obligations et, surtout, offrait la possibilité à une personne morale d’octroyer un prêt en dépit du monopole bancaire, disparaît avec l’entrée en vigueur du nouveau régime. La raison en est simple : dès lors que les personnes morales ont la possibilité d’accorder des prêts, le détour par des minibons est inutile.

Il faudra ensuite attendre la loi PACTE pour voir une véritable avancée pour le financement participatif. Dans un premier temps, le dispositif est ouvert à un plus grand nombre d’opérations, au bénéfice de plus d’acteurs. À titre d’exemple, on relèvera plus particulièrement le relèvement du plafond des levées de fonds à 8 millions d’euros, contre 2,5 millions d’euros précédemment, le financement de projets à des opérations déterminées liées à la « raison d’être » de l’entreprise, ou encore l’ouverture à l’épargne-retraite et à l’assurance vie, tout cela dans une logique « RSE ». Dans le même temps, des mesures de simplification permettent d’inscrire plus facilement les titres participatifs, obligations à taux fixes et minibons, au bénéfice des PEA-PME. Enfin, le « prêt portant intérêt au sein d’une communauté professionnelle » est un dispositif expérimental de 3 ans qui permet aux sociétés coopératives constituées en société anonyme de procéder à une offre au public de leurs parts sociales via une plateforme de financement participatif quand bien même prêteurs et emprunteurs appartiendraient à une même entreprise ou groupe d’entreprises.

Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises entraîne également la création de nouveaux statuts d’intermédiaire, comme le précise son article 98. Les Intermédiaires en Opérations de Banque et en Services de Paiement (IOBSP) sont des intermédiaires, courtiers en crédit et mandataires, entre une plateforme et leurs clients fournissant divers services, en matière de crédits à la consommation ou immobiliers, dépôts ou services de paiement. Les intermédiaires en financement participatif (IFP) quant à eux, mettent en relation des porteurs de projets et des financeurs, sociétés d’assurance ou de gestion, via des plateformes de prêts ou de dons. La loi PACTE prévoit aussi que l’activité d’un IFP, exercée à titre accessoire par un IOBSP, est cumulable avec l’activité d’intermédiaire en assurance.

Tous les moyens sont donc bons pour attirer des investisseurs plus importants tout en permettant aux porteurs de projets d’avoir une meilleure maîtrise des risques. Pour cela, la réforme renforce les pouvoirs de l’AMF aux fins de surveillance des acteurs (en particulier les sites et plateformes qui s’avéreraient frauduleux). En outre, un renforcement des obligations d’information est imposé : lorsque le financement est effectué par l’intermédiaire des plateformes de financement participatif, l’article 74 s’assure que ces plateformes informent les prêteurs des risques liés au développement d’un projet de « sociofinancement » par la publication des taux de défaillance enregistrés sur les projets en cours et les projets financés depuis plus de 12 mois, et sur les risques d’un endettement excessif.

L’adaptation du dispositif par le droit européen (règlement du 7 octobre 2020)

Au niveau européen, la Commission européenne a également milité pour le développement d’un cadre plus favorable à la finance participative, et cela, dès son apparition. En témoigne son plan d’action « entrepreneuriat 2020 » du 9 janvier 2013 qui appelle les États membres à « faciliter de nouvelles formes de financement pour les jeunes pousses et les PME en général, plus particulièrement les plateformes de crowdfunding (financement participatif) ».

C’est ainsi que le règlement 2020/1503 complété de la directive 2020/1504, tous deux du 7 octobre 2020, créent un statut unique européen de « prestataire de services de financement participatif » (PSFP) entrant en vigueur à compter du 10 novembre 2021. L’ambition affichée est de faciliter la fourniture des services des plateformes de financement participatif dans l’ensemble du marché unique de l’Union européenne.

Dans l’ordre juridique français, il revient à l’ordonnance n°2021-738 du 9 juin 2021, applicable au 10 novembre 2021, et à l’ordonnance du 22 décembre 2021 de créer les conditions d’une mise en conformité du cadre réglementaire national avec ce paquet européen. L’enjeu, comme en matière de services financiers, est de taille s’agissant d’instaurer un « passeport européen du financement participatif ». Dès lors qu’il sera agréé, le prestataire de services pourra désormais commercialiser des activités de financement participatif jusqu’à 5 M€ sur tout le marché unique de l’Union européenne dans les conditions communes aux Etats membres, et cela, pour deux formes de souscription : des titres « crowdequity » et des prêts portant intérêt « crowdlending ».

En droit interne, la consécration de ce nouveau statut européen de PSFP rend de facto les régimes préexistants de conseillers en investissements participatifs (CIP) et d’intermédiaires en financement participatif (IFP) désuets. En outre, deux nouvelles catégories d’investisseurs sont créées et définies par le règlement : les investisseurs dits « avertis » et ceux dits « non-avertis ». Cette dernière catégorie d’investisseurs se distingue de la première en ce qu’elle bénéficie de mesures de protection spécifiques avant de pouvoir investir parmi lesquelles un test de connaissances, une simulation de la capacité à supporter des pertes et un avertissement spécifique pour tout investissement dépassant un certain montant (obligation d’information renforcée du professionnel). De plus, un délai de réflexion précontractuel de 4 jours permet à ces investisseurs non-avertis de renoncer à leur décision d’investissement. On relèvera que le règlement européen n’interdit pas le cumul de ces statuts avec d’autres statuts réglementés, comme celui d’entreprise d’investissement, dès lors que les règles applicables à ces autres statuts le permettent.

Une ambition nouvelle qui donne naissance à plusieurs obligations par les prestataires de service de financement participatif

L’ambition du nouveau cadre réglementaire du financement participatif transposé dans notre ordre juridique national est certaine, tant son champ d’application semble important. Désormais, les PSFP sont en mesure de fournir des services dans le cadre du droit national quand bien même les activités envisagées ne seraient pas couvertes par le règlement européen, même si, le cas échéant, pour s’assurer du maintien d’un cadre harmonisé, ces activités doivent rester les plus proches possible des conditions du règlement.

Certaines situations plus spécifiques comportent leur lot des dispositions propres, comme c’est le cas des collectivités territoriales qui peuvent recourir au financement participatif pour une durée expérimentale de trois ans. Sur ce dernier point, la loi du 8 octobre 2021 permet effectivement aux collectivités territoriales, ainsi qu’à leurs établissements publics et autres personnes morales qui le souhaitent, de financer leurs projets de financement participatif par des obligations sous forme de titres financiers, et ce, à partir du 1er janvier 2022. L’article 19 de l’ordonnance du 22 décembre 2021 confère également à ces acteurs à mission d’intérêt général une certaine protection puisque les PSFP doivent informer les collectivités territoriales et les investisseurs pressentis aussi bien des délits de concussion, corruption passive et prise illégale d’intérêts susceptibles d’être encourus, que des bonnes pratiques promues par les organes de régulation.

A l’évidence, le bon fonctionnement de ce nouvel écosystème financier et juridique repose sur l’action des deux autorités de régulation compétentes en matière financière : l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Ces structures sont garantes des procédures d’agrément ainsi que de la supervision, comme l’indiquent les articles L. 547-1 à L. 547-9 du Code monétaire et financier. Avec l’entrée en application du règlement européen 2020/1503 le 10 novembre 2021 dernier, les plateformes existantes souhaitant continuer à fournir des services de financement participatif auront jusqu’au 10 novembre 2022 pour obtenir ce nouveau statut européen, par agrément ou extension d’un agrément délivré par l’AMF sur avis conforme de l’ACPR si le programme d’activité comprend la facilitation de l’octroi de prêts.

La consécration de ce nouveau statut européen implique également le respect d’un certain nombre d’obligations par les prestataires de service de financement participatif, comme celles de transparence, de diligence ou encore de bonne gestion des réclamations et des conflits d’intérêts. Ces acteurs seront désormais sommés de mettre en place un tableau d’affichage permettant à leurs clients de manifester leur intérêt pour l’achat ou la cession de prêts ou de titres qui ont été préalablement proposés sur leurs plateformes de financement participatif.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]