Cet article a été publié sur la Revue Associations de Deloitte n°103– Octobre 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
Le financement des projets associatifs par des financements publics ou privés doit être correctement contractualisé afin d’aboutir à un partenariat sécurisé, équilibré et durable.
Dès lors que les projets évoluent et deviennent plus ambitieux, les associations sont confrontées à de nouveaux besoins de financement et tout naturellement s’associent à des bailleurs de fonds publics ou privés.
Or, depuis les années 90, et plus encore les années 2000, la mise en oeuvre de ces partenariats entre associations et bailleurs de fonds répond à une logique de contractualisation.
L’une des raisons est très certainement la multiplication des dispositions légales, règlementaires ou doctrinales : la refonte du Code des marchés publics ou encore les instructions fiscales de 1999 (régulièrement mises à jour) relatives au régime fiscal applicable aux organismes sans but lucratif ou au dispositif du mécénat en sont des illustrations.
Ainsi, les relations avec leurs bailleurs, qu’ils soient publics (agences françaises, organisations internationales) ou privés (entreprises, fondations, fonds de dotation redistributeurs), sont aujourd’hui formalisées dans des conventions de plus en plus riches et précises, encadrant la réalisation des projets et programmes, ainsi que les rapports d’activité et financier qui y sont associés, souvent soumis à un « audit » externe.
Or si cette contractualisation « parfois forcée » peut apparaître comme une contrainte, elle n’en constitue pas moins une opportunité : celle de construire une relation sécurisée, équilibrée et durable.
De la prise de contact aux discussions et négociations sur le projet
Dès le stade de la prise de contact, que ce soit par sollicitation spontanée et directe de l’association portant le projet ou par appel à projets initié par un bailleur, outre les objectifs du projet, ses cibles et son budget, de nombreuses dimensions tenant au calendrier, aux conditions de mise en oeuvre, à la gouvernance ou encore aux dispositifs de contrôle de l’exécution et des dépenses sont et doivent être discutées. Avant tout octroi d’aide, la demande fait l’objet d’une instruction sur la base d’un dossier de candidature à un financement, que ce financement soit public ou privé. Ce dossier a pour premier objectif de permettre une prise de connaissance et une appréciation par le bailleur des caractéristiques de la personne morale candidate avec laquelle il peut être amené à contractualiser.
Ainsi, le dossier de candidature comprendra très souvent :
- les statuts et, notamment, l’objet associatif ainsi que sa déclinaison en missions sociales ;
- la structure de gouvernance et la composition de ses organes (conseil d’administration, bureau, directoire…) ;
- la composition des organes de direction et la probité des dirigeants ;
- les éléments relatifs au caractère désintéressé de la gestion et au caractère d’intérêt général ;
- l’historique de l’organisme au travers de ses missions, des projets réalisés et des partenaires opérationnels et financiers ;
- les rapports d’activité et financier et la certification de ses comptes annuels ;
- les autres certifications et labellisations ;
- les éléments relatifs à la solidité financière et la capacité à porter le projet ;
- les éventuels rapports d’organes de contrôle tels que la Cour des comptes, l’IGAS, etc.
En sus de ces éléments, l’association opératrice constitue, bien entendu, un dossier de présentation de son projet, parfois en deux étapes : dans un premier temps, un avant-projet sommaire destiné à valider le principe et l’intérêt des partenaires opérationnels et financiers, puis, dans un second temps, un projet détaillé qui comporte notamment :
- une description détaillée des objectifs ;
- l’identification des moyens humains, matériels et financiers mobilisés ;
- l’organisation opérationnelle, la direction et le contrôle de réalisation ;
- les partenariats éventuels avec des organismes tiers, par exemple, avec une association relais implantée localement, ou avec un autre bailleur de fonds ;
- le calendrier de réalisation ;
- le budget financier et les financements mobilisés (bailleurs publics et/ou privés, autofinancement) ;
- les indicateurs utilisés en termes d’objectifs opérationnels et de mesure de performance…
Le bailleur examine l’ensemble de la documentation du projet afin d’apprécier entre autres :
- sa pertinence, son adéquation au contexte ;
- les objectifs quantitatifs et qualitatifs ;
- l’organisation opérationnelle et de contrôle ;
- la capacité de mise en oeuvre et de concrétisation au regard des moyens mobilisés par l’opérateur ;
- le bien-fondé et la pertinence des partenariats opérationnels envisagés ;
- les indicateurs de mesure de performance, etc.
Documentation juridique et contractualisation : que faut-il prévoir ?
La conclusion d’un contrat écrit permet de prévoir explicitement les conditions et modalités de sa mise en oeuvre, d’éviter les malentendus et, en cas de difficultés, de prouver devant un juge les engagements des parties. Mais, pour cela, encore faut-il que le contrat soit non seulement adapté à la situation et conforme à la loi et à la règlementation, mais aussi rédigé avec rigueur et la plus grande attention : une erreur de ponctuation ou de grammaire ou l’emploi de termes imprécis ou incorrects peuvent, en effet, modifier le sens des droits et des obligations des parties. Si le présent article n’a pas pour objet d’identifier et d’expliciter toutes les dispositions d’un contrat entre une association et un bailleur de fonds, voici néanmoins quelques conseils pour connaître les clauses et dispositions essentielles.
Les bailleurs de fonds effectuent des contrôles afin de s’assurer de la réalisation des projets associatifs.
Tout d’abord s’agissant de l’identification des parties, celle-ci doit être sans équivoque et comprendre a minima, pour les associations :
- leur dénomination sociale ;
- l’adresse de leur siège ;
- leur statut juridique (association déclarée régie par les dispositions de la loi de 1901, association cultuelle régie par la loi de 1905, association reconnue d’utilité publique par décret en date du […]) ;
- le numéro de RNA (lequel garantit que l’association est bel et bien dotée de la personnalité juridique) ;
- la qualité du représentant légal en exercice, son identité et ses pouvoirs (le défaut ou l’absence de pouvoir étant susceptible d’entraîner la nullité du contrat).
Viennent ensuite les clauses essentielles, à savoir celles tenant, en particulier :
- à l’objet de la convention (le financement d’un projet précis avec renvoi en annexe à sa description détaillée) ;
- aux conditions et modalités du financement (montant, échéances…) ;
- aux obligations réciproques des parties (par exemple, pour l’association opératrice, l’obligation d’affecter l’aide au projet ou de transmettre certains documents et comptes-rendus ou d’accepter la réalisation de contrôles par le bailleur de fonds) ;
- à la date d’effet et à la durée de la convention ;
- aux conditions et modalités de sa résiliation, plus spécifiquement en cas d’inexécution par l’une des parties ;
- à la confidentialité, au traitement et à la protection des données personnelles.
Puis il importe d’insérer, après négociation et discussions, des clauses spécifiques qui nous semblent opportunes telles que :
- un exposé préalable, qui rappellera le contexte et les raisons du partenariat, et, notamment dans le cadre d’une convention avec un bailleur public, explicitera le fait que l’association opératrice est porteuse du projet financé et en est à l’initiative (pour éviter tout risque de requalification de la convention en marché public) ;
- une partie « définitions » pour, si nécessaire, préciser le sens de certains termes ;
- une clause de limitation de responsabilité et de force majeure dont l’objet sera de déterminer les circonstances dans lesquelles l’une des parties peut-être exonérée de sa responsabilité en cas de manquement à ses obligations ou de prévoir un plafond de réparation en cas de dommage causé par l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat ;
- une clause de médiation pour s’obliger en cas de conflit, litige ou désaccord à trouver une solution à l’amiable avant toute procédure judiciaire ;
- une clause de modification pour permettre aux parties d’adapter la convention à de nouvelles circonstances, à de nouveaux besoins, en prenant toutefois garde, pour préserver la sécurité juridique, de déterminer, précisément et clairement, le processus de modification et ses conditions d’application ;
- une clause de renonciation « anticipée » à certains droits et obligations, soit temporairement, soit définitivement afin de faciliter l’exécution du contrat, en cas de survenance d’une difficulté.
La contractualisation : peut-on tout prévoir ?
Non, car il existe des circonstances imprévisibles. Mais, heureusement, la réforme du droit des obligations intervenue en 2016 a introduit dans le Code civil la théorie de l’imprévision.
Désormais, les dispositions du Code civil prévoient que les parties à un contrat sont soumises, de manière supplétive, à un devoir de renégociation en cas de changement de circonstances, si ce changement était, lors de la conclusion du contrat imprévisible, et qu’il rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse. Ce n’est que dans un second temps, si la renégociation n’aboutit pas, que les parties pourront choisir de rompre le contrat ou de trouver un accord pour s’en remettre au juge qui soit procédera à l’adaptation du contrat, soit y mettra fin. Cela rappelé, nous n’approfondirons pas les conditions et modalités de mise en oeuvre de cette théorie, puisqu’il existe peu de risques que des circonstances imprévisibles rendent l’exécution d’une convention avec un bailleur de fonds excessivement onéreuse.
Plus intéressant est l’article 1194 du Code civil en vertu duquel « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». Ainsi, en vertu de ce texte, les contractants sont tenus non seulement aux obligations qu’ils ont voulues, mais aussi à celles que le juge induira, de la nature, de l’esprit et de l’économie du contrat.
À titre d’exemple, les juges ont considéré, en matière de ventes d’immeubles, l’existence d’une obligation « contractuelle » accessoire de sécurité à la charge du vendeur à raison des dommages provoqués par les choses vendues, ce peu important que rien n’ait été prévu au contrat.
Suivi de réalisation du projet et production de rapports
Comme toute entreprise, l’association porteuse du projet met en place des moyens humains et matériels de réalisation du projet dans un cadre de procédures et de dispositifs de contrôle interne reposant sur des principes généraux adaptés à ses spécificités. À cet égard, le dispositif de suivi et contrôle de la réalisation du projet sont essentiels, sur le terrain et au siège, avec un niveau d’exigence de qualité généralement plus élevé que pour ses autres activités puisqu’elle doit compléter ses propres dispositifs afin de prendre en compte les exigences des bailleurs, lesquelles donnent souvent lieu à des vérifications spécifiques par des tiers indépendants.
Si la mise en oeuvre opérationnelle du projet, sa direction ainsi que le contrôle de sa bonne exécution relèvent de la responsabilité de l’organisme porteur du projet, les bailleurs ont leurs exigences propres, contractuellement prévues, en matière :
- de rapports d’activité destinés à rendre compte de l’avancement et des conditions de réalisation du projet au regard de la convention ;
- de rapports financiers destinés à rendre compte de l’utilisation des fonds au regard du budget de dépenses et de financement. Outre ces rapports, certains bailleurs (Agence française de développement, Commission européenne…) disposent parfois de correspondants locaux ou de chargés de mission qui procèdent à un suivi sur le terrain de la mise en oeuvre du projet, en coordination avec la direction de l’association.
Contrôles externes
Les bailleurs sont attentifs au contrôle de la réalisation du projet par un ou des tiers indépendants. Ainsi, il est souvent prévu, dans la convention de financement, un « audit » du reporting financier et, parfois, une vérification des indicateurs de performance quantitatifs et qualitatifs. Ces « audits » externes sont mandatés par l’organisme opérateur et font généralement l’objet d’une ligne budgétaire spécifique ou sont couverts par un forfait de frais généraux. L’audit financier est parfois confié au commissaire aux comptes de l’association.
Le terme « audit », générique, recouvre, pour la partie financière, des missions régies au plan international par des normes distinctes selon que l’auditeur émet : – un rapport de certification sur des comptes (ce qui suppose un référentiel comptable associé à ces comptes) correspondant à un niveau élevé d’assurance ;
- un rapport d’examen limité sur des comptes (ce qui suppose aussi un référentiel comptable associé à ces comptes), dont le niveau d’assurance est moins élevé ;
- une attestation portant sur les dépenses, leur concordance ou cohérence avec la comptabilité, leur conformité avec différentes sources juridiques et leur présentation sincère ;
- un rapport de procédures convenues, généralement détaillées par le tiers financeur dans des termes de référence annexés à la convention : ces vérifications portent sur la réalité des dépenses, leur exactitude, leur concordance ou cohérence avec la comptabilité, ainsi que sur des aspects plus qualitatifs tels que le respect de certains principes de contrôle interne : autorisation des dépenses par une personne habilitée, règles de mise en concurrence, séparation des fonctions… Le plus souvent, les besoins et exigences des bailleurs portent sur une attestation ou un rapport de procédures convenues. Toutefois, il existe parfois une confusion entre ces deux types de rapports et l’opinion d’audit portant sur la régularité, la sincérité et l’image fidèle procurée par des comptes préparés selon un référentiel identifié, reconnu ou spécifique au contexte.
Le bailleur peut aussi réaliser son propre contrôle, soit par sa propre équipe d’audit, soit en mandatant un cabinet d’audit, sur la base d’un cahier des charges très précis et complet.
Sur la base des observations ou constats relevés par l’auditeur dans son attestation ou rapport de procédures convenues, le bailleur peut remettre en question tout ou partie du financement accordé. De telles situations donnent parfois lieu à des désaccords, discussions et négociations, voire à des contentieux. Les audits comportent certes des risques de remise en question de tout ou partie des financements en cas de non-respect des engagements contractuels. Mais ils constituent aussi une opportunité pour les organismes opérateurs d’améliorer leur dispositif de contrôle interne, leur contrôle de gestion ainsi que leur système d’information, soit par l’anticipation et la préparation des audits à venir, soit par la prise en compte des recommandations produites dans le cadre des audits. Enfin, des organismes de contrôle institutionnels peuvent être saisis, voire se saisir, d’une mission de contrôle de l’organisme porteur du projet, soit dans son intégralité, soit spécifiquement pour le projet lui-même. Il en est ainsi de la Cour des comptes en France ou de la Cour des comptes européenne.
En tout état de cause, les rapports d’activité et financier, ainsi que les audits externes, doivent être anticipés afin que l’organisme soit en situation de les produire aisément et dans des conditions de qualité qui limitent les risques de remise en question ou de contestation.