Le relèvement du seuil de la revente à perte et l’encadrement des promotions : vers une redistribution équitable ou un effet inflationniste ?

Le 27 février 2019, un projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (ci-après l’« Ordonnance ») a été déposé à l’Assemblée nationale. Les changements en droit sont certains, les effets économiques demeurent incertain.

L’Ordonnance, prise sur le fondement de la loi « EGalim »1, est destinée à rééquilibrer les relations commerciales entre les producteurs, transformateurs et distributeurs de produits agroalimentaires, à renverser la logique de construction des prix et, in fine, à favoriser une meilleure répartition de la valeur entre ces différents acteurs.

Pour atteindre ces objectifs, l’Ordonnance prévoit (1) un relèvement de 10 % du seuil de la revente à perte et (2) l’encadrement des opérations promotionnelles. La première mesure vise principalement à lutter contre la vente de produits alimentaires à très faible marge (prix d’appels). Concrètement, il s’agit de permettre aux distributeurs de rééquilibrer leurs marges et de garantir une juste rémunération aux producteurs. La deuxième mesure vise à freiner la course aux promotions sur les produits alimentaires, qui est susceptible d’entraîner une perte de repères des consommateurs sur le juste prix des produits agricoles. Nous nous intéresserons enfin au caractère expérimental du dispositif et à son entrée en vigueur (3).

Un relèvement de 10 % du seuil de la revente à perte

La revente à perte est la pratique commerciale, prohibée par l’article L. 442-5 du Code de commerce2, qui consiste à revendre ou à annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif au fournisseur.

Le prix d’achat effectif, défini à l’alinéa 2 du même article, est le « prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport ».

L’Ordonnance3 prévoit un dispositif qui affecte ce prix d’achat effectif d’un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie qui sont revendus en l’état aux consommateurs. Autrement dit, les distributeurs ne pourront plus vendre de produits alimentaires à prix coûtant. A titre d’illustration, un produit alimentaire acheté par un distributeur à 1€ ne pourra plus être mis en rayon à moins de 1,10€.

L’encadrement des opérations promotionnelles

L’Ordonnance4 prévoit également un encadrement en valeur et en volume des opérations de promotion, qui sont définies comme étant les « avantages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie ».

L’encadrement en valeur consiste à plafonner le taux de promotion d’un produit à 34 % du prix de vente au consommateur (ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente). Par conséquent, les commerçants ne pourront plus proposer de promotion du type « 1 produit offert pour 1 produit acheté », le taux de 34 % limitant une telle offre à « 1 produit offert pour 2 produits achetés ».

Les lignes directrices de la DGCCRF relatives à l’encadrement des promotions, publiées le 5 février 2019, précisent que ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’aux seules annonces de réduction de prix chiffrées (par exemple, « -10 % de réduction » ou « +30 % de produit offert ») et fournissent une liste non exhaustive d’opérations promotionnelles entrant ou non dans le champ d’application de cette règlementation. Par exemple, la vente avec prime (le fait d’offrir un produit différent du produit acheté) et le cagnottage non affecté à un produit (c’est-à-dire le crédit porté sur une carte de fidélité dont l’octroi ne dépend pas de l’achat d’un produit déterminé et qui pourra être dépensé pour l’achat de n’importe quel produit d’un magasin) ne relèvent pas du dispositif décrit ci-dessus.

En ce qui concerne l’encadrement en volume, l’Ordonnance5 prévoit que les avantages promotionnels – qu’ils soient accordés par le fournisseur ou par le distributeur – ne pourront pas porter sur des produits représentant plus de 25 % d’un certain chiffre d’affaires ou d’un certain volume prévisionnel déterminés par les parties. La détermination de l’assiette du taux de 25 % dépendra de la relation contractuelle liant le fournisseur et le distributeur :

  • Pour les produits sous marque de distributeur, dont la conception et la production se font selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur, les offres promotionnelles ne pourront pas excéder 25 % du volume prévisionnel de vente ayant été stipulé dans le contrat entre le fournisseur et le distributeur
  • Pour les produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture, les offres promotionnelles ne pourront pas excéder 25 % des engagements de volume prévus dans le contrat entre le fournisseur et le distributeur
  • Dans le domaine de la « convention prévue à [l’ancien] article L.441-7 du Code de commerce », les fournisseurs et les distributeurs devront s’assurer que la valeur à l’achat des produits revendus en promotion ne dépasse pas le seuil de 25 % du chiffre d’affaires stipulé au contrat conclu entre les parties

A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous considérons que cette dernière disposition pose un problème de base juridique et d’interprétation. En effet, l’Ordonnance fait référence à la « convention prévue à l’article L. 441-7 du Code de commerce » (régime de droit commun de l’ancienne « convention unique »). Or, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019, ce texte n’existe plus. L’ancien régime de la « convention unique » a été remanié et a laissé place aux « conventions écrites » des articles L. 441-3 (convention écrite de droit commun) et L. 441-4 du Code de commerce (nouvelle convention spécifique aux produits de grande consommation). Par conséquent, il existe une incertitude sur le champ d’application de l’Ordonnance.

Sur le fond, il existe toutefois peu de doutes quant à l’application de l’Ordonnance aux conventions visées par le nouvel article L. 441-3 du Code de commerce, qui reprend, en substance, le régime général de l’ancienne convention unique de l’article L. 441-7 du Code de commerce. En revanche, le nouvel article L.441-4 du Code de commerce est une nouvelle disposition apportée par l’Ordonnance du 24 avril 2019. Dans ces conditions, il est plus difficile d’imaginer que l’Ordonnance (de décembre 2018) puisse s’appliquer, par renvoi, à une disposition qui n’existait pas lors de son entrée en vigueur. Dans l’attente d’une précision éventuelle du législateur sur ce point, la cohérence du régime nous pousse à considérer que l’Ordonnance doit s’appliquer tant à l’article L. 441-3 qu’à l’article L.441-4 du Code de commerce, qui forment ensemble le nouveau régime des « conventions écrites ».

Cette parenthèse étant refermée, il est important de préciser que l’Ordonnance prévoit que le dispositif de l’encadrement des promotions ne s’appliquera pas aux produits périssables et menacés d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente6.

Tout manquement à ces dispositions pourra entraîner le prononcé des amendes administratives suivantes7: 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € (ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l’avantage promotionnel, à la discrétion du juge) pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue pourra être doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

Caractère expérimental du dispositif et entrée en vigueur

Les dispositions relatives au seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions sont des mesures expérimentales, applicables pour une durée de deux ans à compter de leur date d’entrée en vigueur8. L’Ordonnance9 prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement, avant le 1er octobre 2020, un rapport destiné à évaluer la pertinence du maintien d’un tel dispositif.

L’article 7 de l’Ordonnance et son décret d’application du 28 décembre 201810 fixent une entrée en vigueur différée du dispositif :

  • l’encadrement des promotions en valeur est applicable depuis le 1er janvier 2019
  • le nouveau seuil de revente à perte est applicable depuis le 1er février 2019
  • en ce qui concerne l’encadrement des promotions en volume des produits concernés par l’obligation d’établir une convention écrite, les dispositions de l’Ordonnance s’appliquent à tous les contrats issus de la négociation s’étant achevée le 1er mars 2019
  • enfin, l’Ordonnance prévoit une entrée en vigueur rétroactive pour l’encadrement des promotions en volume des produits sous marque de distributeur et des produits agricoles périssables puisque ses dispositions « sont applicables à tout contrat conclu avant la publication de la présente ordonnance et toujours en cours d’exécution à cette date ». Pour éviter tout désagrément relatif à l’application rétroactive de l’Ordonnance aux contrats en cours, la DGCCRF11 conseille aux fournisseurs et distributeurs de prévoir un volume prévisionnel (produits sous MDD) ou des engagements de volume (produits agricoles périssables) pour la durée restante d’application du contrat

Ces deux mesures, prises rapidement par le Gouvernement, aux fins de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur de l’agro-alimentaire ont reçu un accueil mitigé de l’Autorité de la concurrence qui craint que les distributeurs ne répercutent pas les hausses de prix de revente sur les maillons de la chaîne placés en amont alors que le consommateur subira quant à lui une nouvelle hausse de prix à l’achat.


Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, entrée en vigueur le 1er novembre 2018 (JORF n° 0253 du 1 novembre 2018).

Ancien article L. 442-2 du Code de commerce. Cette nouvelle numérotation fait suite à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Article 2 de l’Ordonnance

Article 3 de l’Ordonnance

Article 3 III de l’Ordonnance

Article 3 IV de l’Ordonnance

7 Article 3 V de l’Ordonnance

Article 1er de l’Ordonnance

Article 4 de l’Ordonnance

10 Décret n° 2018-1304 du 28 décembre 2018 fixant l’entrée en vigueur de l’article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (JORF n°0301 du 29 décembre 2018).

11 DGCCRF, lignes directrices relatives à l’encadrement des promotions, 5 février 2019

Photo de Muriel Féraud-Courtin
Muriel Féraud-Courtin

Muriel Féraud-Courtin, Avocat Associée, a acquis une expérience de plus de 25 ans en droit des affaires et travaille en étroite coopération avec les avocats du réseau international Deloitte Legal. […]

Guillaume Leclerc

Guillaume est avocat en droit des affaires. Il a rejoint le cabinet Deloitte Legal  en 2018. Il intervient principalement en droit commercial, droit économique, baux commerciaux et droit bancaire. Guillaume […]