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Substitution de motifs par l’Administration en cours d’instance : la Cour de cassation s’aligne sur le Conseil d’État

La Cour de cassation admet la possibilité pour l’Administration de substituer, en cours d’instance, des motifs à ceux initialement retenus dans la proposition de rectification, alignant ainsi sa jurisprudence sur celle du Conseil d’État.

Contexte

L’article L. 199 C du LPF prévoit que l’Administration, comme le contribuable, peut faire valoir tout moyen nouveau devant le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel, jusqu’à la clôture de l’instruction, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités. Ces dispositions s’appliquent également devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel.

Il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que l’Administration peut substituer un motif à tout moment de la procédure (de plein contentieux ou de l’excès de pouvoir), qu’il s’agisse d’une substitution de base légale (CE, 1er décembre 2004, n°259104, min. c/ Sté Vecteur) ou d’une substitution de motifs relevant d’une même règle de droit (CE, 20 juin 2007, n°290554, min. c/ SA Ferette). Le juge doit vérifier d’office que la substitution proposée ne prive pas le contribuable d’une garantie substantielle.

A l’inverse, la Cour de cassation ne reconnaît pas à l’Administration la faculté d’une substitution de motifs en phase contentieuse dès lors que le contribuable n’en a pas été avisé dans le cadre de la procédure de rectification prévue à l’article L. 57 du LPF (Cass. com., 8 janvier 1991, n°88-15.018).

L’histoire

A la suite du décès de son père, un contribuable a hérité de divers biens immobiliers, œuvres d’art et autres actifs placés dans des trusts constitués par le défunt. L’administration fiscale a remis en cause la déclaration de succession pour insuffisance d’évaluation et omission de biens logés dans ces trusts.

L’Administration soutenait que les biens transférés dans le premier trust étaient en réalité demeurés dans le patrimoine du défunt, ses petits-enfants bénéficiaires devant en être attributaires au décès successif de leur grand-père puis de leur père. Selon l’Administration, le mécanisme du trust constituait une mutation à titre gratuit sous condition suspensive, non réalisée au jour du décès. Les biens en litige devaient en conséquence être réintégrés dans la succession.

Concernant le second trust, l’Administration ne contestait ni sa réalité, ni l’existence et la consistance des actifs, ni la dépossession du constituant ou le rôle effectif du trustee. Elle fondait son redressement sur une mutation à titre gratuit prenant effet seulement à la date du décès du constituant.

En appel, la Cour a retenu une motivation différente après avoir apprécié les effets réels du trust, en examinant sa constitution, son fonctionnement et l’exercice effectif des pouvoirs sur les biens. Constatant que le constituant en était resté le bénéficiaire, la cour a conclu que les biens placés dans le trust étaient restés dans le patrimoine du défunt et devaient être réintégrés dans la succession.

La Cour a par ailleurs relevé l’existence d’indices graves, précis et concordants selon lesquels les œuvres d’art étaient toujours en possession du constituant à son décès et devaient être également réintégrées.

La décision de la Cour de cassation

Se prévalant de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le requérant tentait de faire valoir que l’Administration ne peut invoquer un motif autre que celui figurant dans la proposition de rectification initiale, qu’à la condition de l’en informer par une nouvelle proposition de rectification. Selon lui, le juge ne saurait ni d’office, ni à la demande de l’Administration, substituer aux motifs initialement invoqués de nouveaux motifs de droit ou de fait pour fonder les redressements litigieux.

Constatant que sa jurisprudence antérieure entrait en contradiction avec les dispositions de l’article L. 199 C du LPF et avec la position constante du Conseil d’État, la Cour de cassation opère un revirement.

Elle juge désormais que l’Administration peut demander au juge « à tout moment de l’instance » de retenir « un motif autre que celui indiqué dans la proposition de rectification », sans limiter cette possibilité à des motifs relevant de la même base légale, et cela y compris pour la première fois en appel.

La Cour subordonne toutefois cette faculté de substitution de motif à la condition qu’elle ne prive pas le contribuable des garanties procédurales prévues par la loi.

  • Béatrice Hingand

    Associée, Béatrice Hingand développe son expertise au sein du Comité scientifique fiscal, renforce l’éminence Deloitte et les liens avec l’administration.…

  • Salomé Diament

    Salomé Diament a rejoint en 2023 l’équipe du Comité Scientifique Fiscal au sein de Deloitte Société d’Avocats.