Subventions étrangères : 2024, année de lutte au sein de l’Union européenne

Le règlement 2022/2560 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur, adopté en novembre 2022, est entré en vigueur le 12 juillet 2023. Le 10 juillet 2023, le règlement d’exécution 2023/1441 relatif aux modalités détaillées des procédures mises en œuvre par la Commission a été publié, précisant notamment les modalités de notification et de déclaration de telles subventions.

S’il existe de longue date une réglementation relative aux aides d’État accordées au sein de l’Union européenne par des États membres, codifiée aux articles 107 et suivants du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (le TFUE), l’octroi d’aides par des États tiers ne faisait jusqu’alors l’objet d’aucune réglementation.

La notion de subvention étrangère

L’article 3 du règlement prévoit qu’une subvention étrangère est réputée exister « lorsqu’un pays tiers octroie, directement ou indirectement, une contribution financière qui confère un avantage à une entreprise exerçant une activité économique dans le marché intérieur et qui est limitée, en droit ou en fait, à une ou plusieurs entreprises ou à un ou plusieurs secteurs ».

Pour entrer dans le champ d’application du règlement, une subvention doit répondre aux quatre conditions cumulatives suivantes.

  1. Elle doit être issue d’un pays tiers, entendu comme un pays non-membre de l’Union européenne. La Commission en propose une acception large en visant le gouvernement central, les entités publiques étrangères et les entités privées dont les actes peuvent être attribués au pays tiers compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes.
  2. Elle doit être attribuée à une entreprise, entendue comme un opérateur économique au sens du droit européen, devant exercer son activité économique au sein du marché intérieur.
  3. Elle doit se matérialiser par une contribution financière, directe ou indirecte, et notamment le transfert de fonds ou de passifs, l’abandon de recettes normalement exigibles, la fourniture ou l’achat de biens ou de services.
  4. Elle doit conférer un avantage à l’entreprise, entendu comme une préséance que l’entreprise n’aurait pas pu obtenir dans des conditions normales de marché.

La notification des contributions financières étrangères

En plus de la mise en place d’une procédure permettant à la Commission de diligenter des enquêtes, d’office ou sur plainte, sur des subventions étrangères susceptibles de créer une distorsion de concurrence dans le marché intérieur, le règlement introduit deux obligations de notification.

Opérations de concentration

Cette première obligation vise à notifier à la Commission européenne les opérations de concentration dans lesquelles :

  • l’entreprise acquise, une des parties à la fusion ou l’entreprise commune est établie dans l’Union ; et
  • génère un chiffre d’affaires dans l’Union européenne d’au moins 500 millions d’euros ; et
  • dans lesquelles les parties à la transaction se sont vues octroyer par des pays tiers des contributions financières totales cumulées d’au moins 50 millions d’euros au cours des trois dernières années.

Dans ce formulaire de notification des concentrations, les entreprises concernées par ces trois conditions cumulatives seront tenues de fournir des informations détaillées sur toutes les contributions financières d’un montant individuel d’au moins un million d’euros, octroyées aux parties à la transaction au cours des trois dernières années pour les contributions financières étrangères considérées comme étant les plus susceptibles de fausser le marché intérieur.
Les contributions ainsi visées étant celles prévues par l’article 5 du règlement 2022/2560, qui donne une liste non exhaustive de subventions étrangères susceptibles de fausser le marché intérieur. Ainsi, par exemple, celles octroyées à des entreprises en difficulté ou qui facilitent directement une concentration ou encore des garanties illimitées.

Par ailleurs, les entreprises concernées devront également, et ce pour toutes les autres contributions financières étrangères, fournir un aperçu des contributions financières d’un montant individuel d’au moins un million d’euros octroyées au cours des trois dernières années à la ou aux parties ayant émis la notification. Cela concerne uniquement les pays qui ont octroyé aux parties à la transaction au moins 45 millions d’euros au cours des trois années précédant la concentration (sous réserve d’un certain nombre d’exceptions prévues par le règlement).

Selon la complexité de la concentration notifiée, la Commission pourra décider ou non d’ouvrir une enquête plus approfondie.

Passation de marchés publics

Le règlement prévoit également une obligation de notifier au pouvoir adjudicateur, qui transfèrera sans délai la notification à la Commission européenne, les contributions financières étrangères dans le cadre de procédures de passation de marchés publics, lorsque :

  • la valeur estimée du marché est d’au moins 250 millions d’euros ; et que
  • l’offre comporte des contributions financières étrangères totales cumulées d’au moins 4 millions d’euros par pays tiers au cours des trois dernières années.

La Commission pourra également demander des notifications ad hoc pour les concentrations et les procédures de passation de marchés publics inférieures aux seuils applicables, si elle soupçonne l’existence de subventions étrangères dans l’opération, et si cette dernière n’est pas encore conclue.

L’article 54 du règlement prévoit que l’obligation de notification dans le cadre de concentrations ou dans le cadre de la passation de marchés publics est applicable aux transactions qui seront effectuées à partir du 12 octobre 2023.

Le constat d’une distorsion de concurrence

En cas de constat d’une distorsion de concurrence en raison de la subvention étrangère, c’est-à-dire d’un déséquilibre entre les effets positifs et négatifs de la subvention accordée faussant la concurrence au sein du marché intérieur, la Commission dispose de plusieurs remèdes.

Elle pourra :

  • imposer à l’entreprise des mesures réparatrices, structurelles ou non, telles que la cession d’actifs, l’accès à des infrastructures essentielles, l’interdiction de certains comportements sur le marché ;
  • accepter des engagements de la part de l’entreprise ;
  • interdire la concentration subventionnée ou l’attribution de marchés publics au soumissionnaire subventionné.

Les sanctions

Le règlement prévoit plusieurs types de sanctions à l’encontre des opérateurs économiques soumis à l’obligation de notification.

  • Une amende, dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice précédent, pour les opérateurs économiques qui n’ont pas notifié les contributions financières étrangères conformément aux obligations du règlement ou qui ont contourné ou tenté de contourner ces obligations.
  • Une amende ou une astreinte (respectivement plafonnées à 1 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’opérateur économique concerné au cours de l’exercice précédent et 5 % du chiffre d’affaires total journalier de l’opérateur économique concerné au cours de l’exercice précédent, par jour ouvrable de retard), pour les opérateurs économiques qui, volontairement ou par négligence, fournissent des renseignements inexacts ou dénaturés lors d’une notification ou d’une déclaration.
  • Une amende ou une astreinte lorsque l’opérateur économique caractérise l’un des comportements listés à l’article 17 du règlement.

L’année 2024 obligera donc les entreprises à s’intéresser à cette nouvelle règlementation qui aura nécessairement des impacts dans le cadre des transactions qu’elles pourraient être amenées à réaliser. D’un point de vue macro, ce règlement marque un éveil pratique de l’Union européenne aux réalités de la globalisation, imposant un examen des relations économiques avec l’étranger plus fins et moins dogmatique. Le libre-échangisme n’est pas mort, mais il évolue vers un libre-échangisme régulé et subordonné au respect des règles de fonctionnement des espaces économiques d’accueil.

Benjamin Balensi

Benjamin Balensi, Avocat Associé, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il conseille les sociétés françaises et les groupes internationaux dans le cadre du développement de leur […]

Jean Dallemagne

Jean a rejoint Deloitte Société d’avocats en 2022 et travaille en tant qu’avocat dans le département Droit commercial. Il conseille des clients nationaux et internationaux aussi bien en conseil qu’en […]