Taxe sur les salaires : actualités et enjeux

Cet article a été publié sur la Revue Associations de Deloitte n°103– Octobre 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

Zoom sur les modalités d’application de la taxe sur les salaires dont sont redevables les associations qui ne collectent pas ou qui collectent peu de TVA.

L’article 231 du Code général des impôts (CGI) dispose que la taxe sur les salaires frappe « les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement des rémunérations ». En conséquence, un grand nombre d’organismes sans but lucratif (OSBL), qui ne collectent pas ou peu de TVA, sont redevables de cette taxe, dont le coût ne doit pas être négligé :

  • dès lors que son assiette est alignée sur celle de la CSG (rémunérations brutes versées aux salariés au sens de l’article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale) et que le taux d’imposition est a minima de 4,25 % (un taux qui est porté à 8,50 % pour la fraction des rémunérations individuelles annuelles comprise entre 8 573 € et 17 114 € et à 13,60 % au-delà de 17 114 €) ,
  • et ce même si les OSBL bénéficient de l’abattement prévu à l’article 1679 A du CGI (abattement sur le montant annuel de la taxe), fixé à 22 535 € pour la taxe due au titre des salaires versés en 2023.

Des critères d’assujettissement alternatifs ou cumulatifs ?

Jusque récemment et depuis l’arrêt du Conseil d’État du 21 mai 1986 (Sté des brasseries et casinos Les Flots Bleus, n° 49766), les conditions d’exonération de la taxe sur les salaires étaient appréciées de manière alternative.

Ainsi, n’étaient pas redevables de la taxe, au titre d’une année civile, les employeurs :

  • qui, au cours de ladite année, avaient été assujettis à la TVA « même sur une partie seulement de leurs opérations », peu important leur situation au titre de l’année N-1 ;
  • ou qui, au cours de l’année précédente, avaient été assujettis à la TVA sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires, peu important leur situation au regard de la TVA l’année d’imposition.

La plus haute juridiction administrative, dans son récent arrêt Sté Legris Industries (Conseil d’État, 31 mars 2023, n° 460838), ne partage pas cette analyse.

Dans cette affaire, l’employeur se trouvait être une société holding qui participait activement à la gestion de ses filiales. Son chiffre d’affaires était ainsi constitué par la rémunération des prestations réalisées au profit de ses filiales et des dividendes. Ses recettes et autres produits étaient donc partiellement soumis à la TVA et l’étaient, en l’occurrence, dans une proportion inférieure à 90 % de son chiffre d’affaires au titre de l’année N-1.

Exceptionnellement, son chiffre d’affaires avait, en revanche, été intégralement soumis à la TVA au titre de l’année de paiement des rémunérations, à raison de l’absence de perception de dividendes, et la société avait considéré être de ce fait exonérée de taxe sur les salaires.

Mais telle n’a pas été la position du Conseil d’État, pour lequel le bénéfice de l’exonération de taxe sur les salaires est réservé aux employeurs qui ont été assujettis à la TVA sur plus de 90 % de leur chiffre d’affaires au titre de l’année N-1 et qui disposent d’un chiffre d’affaires taxable au titre de l’année N.

Situation des organismes assujettis ou redevables partiels de la TVA : de nouveaux enjeux !

Quelques rappels

Les organismes assujettis ou redevables partiels de la TVA sont soumis à la taxe sur les salaires uniquement sur une fraction des rémunérations qu’ils versent.

Plus précisément, l’assiette de la taxe sur les salaires est obtenue en multipliant le montant total des rémunérations versées par le rapport existant, l’année civile précédant celle du paiement des rémunérations, entre:

  • le chiffre d’affaires qui n’a pas été passible de la TVA, c’est-à-dire l’ensemble des recettes qui n’ont pas été soumises à la TVA hormis, notamment, les recettes issues d’opérations situées dans le champ, exonérées et accessoires ;
  • et le chiffre d’affaires total au titre de cette même année, c’est-à-dire l’ensemble des recettes réalisées par l’organisme l’année précédente hormis, notamment, les recettes issues d’opérations situées dans le champ, exonérées et accessoires.

Ce rapport est dénommé « rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires ». Si ce rapport s’applique, en principe, à l’ensemble des rémunérations, par exception, en cas de création de secteurs distincts en matière de TVA, il y aura obligatoirement sectorisation en matière de taxe sur les salaires.

Ainsi, en pratique, en cas de sectorisation en matière de TVA :

  • pour les salariés qui ne sont pas affectés de manière permanente et exclusive à un secteur taxable au sens de la TVA, leurs rémunérations sont soumises à la taxe sur les salaires, l’assiette de la taxe étant déterminée en fonction du rapport général d’assujettissement préalablement déterminé ;
  • pour les salariés affectés exclusivement aux activités exonérées de TVA, leurs rémunérations doivent être intégralement soumises à la taxe sur les salaires ;
  • pour les personnels exclusivement affectés à un secteur taxable, aucune taxe sur les salaires n’est en principe due.

L’affectation des salariés en cas de sectorisation : une précision bienvenue pour les associations gestionnaires d’ESAT

Pour l’administration fiscale, les personnels techniques d’encadrement d’un établissement et service d’aide par le travail (ESAT), et plus particulièrement les moniteurs d’atelier, interviennent nécessairement pour ses deux secteurs d’activités, à savoir le secteur social/ médico-social et le secteur production/ commercialisation. Leurs rémunérations sont donc soumises à la taxe sur les salaires en fonction du rapport d’assujettissement.

Pour la Cour administrative d’appel de Lyon (19 mai 2022, n° 20LY01771), en revanche, ces personnels peuvent être considérés comme exclusivement affectés au secteur production/commercialisation, et leurs rémunérations exclues de l’assiette de la taxe sur les salaires, nonobstant le fait que leurs rémunérations soient « financées » par la dotation globale de fonctionnement versée par l’agence régionale de santé, si « l’association justifie, par la production notamment de fiches de poste […], que les actions de soutien effectuées notamment par les moniteurs d’atelier ont un caractère exclusivement professionnel, et ne relèvent pas d’actions de soutien social ou médicosocial, dévolues aux personnels du seul secteur social de l’association ».

Contributions volontaires en nature et calcul du prorata d’assujettissement : une mauvaise surprise !

L’article 211-1 du règlement ANC n° 2018-06, applicable aux associations, définit les contributions volontaires en nature comme des actes par lesquels une personne physique ou morale apporte à une entité un travail, des biens ou des services à titre gratuit.

Ainsi, elles correspondent, en pratique, au bénévolat, aux mises à disposition de personnes ainsi que de biens meubles ou immeubles par des entités tierces, auxquels il convient d’assimiler les dons en nature redistribués ou consommés en l’état par l’association.

Leur comptabilisation en compte de classe 8 est obligatoire dès lors que deux conditions cumulatives sont réunies: la nature et l’importance des contributions volontaires en nature sont des éléments essentiels à la compréhension de l’activité et l’entité est en mesure de les recenser et de les valoriser.

Par un jugement du 9 mai 2023 (n° 2202281), le Tribunal administratif de Strasbourg est venu préciser que ces contributions doivent être intégrées au numérateur et au dénominateur du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires, avec pour effet mécanique un alourdissement du montant de la taxe, pour celles des associations bénéficiaires d’importantes contributions.

En l’espèce, une association avait reçu des dons en nature constitués par la mise à disposition gratuite de locaux, d’équipements, de consommables et de personnel, valorisés pour des montants significatifs avec un impact matériel sur le rapport d’assujettissement.

L’administration fiscale, suivie par la juridiction administrative, a estimé que ces contributions constituaient des opérations réalisées avec des tiers, ayant procuré à l’association des ressources consommées dans le cadre de son activité normale et courante. Par conséquent, elles doivent, dès lors qu’elles n’ont pas été assujetties à la TVA, être prises en compte dans le calcul du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires.

Nous ignorons pour l’heure si l’association a entendu poursuivre le contentieux devant la cour administrative d’appel.

Restons vigilants en raison de la complexité et des nombreuses situations spécifiques !

Frédérik Richard

Avocat depuis 2021, il exerce en droit fiscal au sein du bureau Deloitte Taj de Lille.