Une CAA ne peut écarter, sur le terrain de l’article 238 A du CGI, la déduction des commissions versées par une société française à une société étrangère rémunérant l’obtention d’informations sur un marché étranger au seul motif que la société française n’interviendrait pas elle-même directement sur ledit marché étranger.
Rappel
On sait que les dispositions de l’article 238 A viennent limiter la déductibilité de certains paiements effectués par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France en faveur de résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié.
Rappelons que c’est à l’Administration qu’il incombe de prouver que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié. Pour ce faire, il lui appartient d’apporter tous éléments circonstanciés, non seulement sur le taux d’imposition, mais encore sur l’ensemble des modalités selon lesquelles des activités de type de celles qu’exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi (pour une illustration récente, voir CE 29 juin 2020, n°433937).
Si l’Administration parvient à apporter une telle preuve, alors la déduction de ces dépenses n’est admise qu’à la condition que le débiteur puisse établir qu’elles correspondent à des opérations réelles, et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.
Précisons que ces conditions de déduction sont encore durcies dans l’hypothèse où les sommes sont payées à des bénéficiaires établis dans des ETNC.
L’histoire
Une société française fabrique des aliments destinés aux élevages piscicoles. Elle commercialise sa production non seulement sur le territoire français, mais aussi sur le marché russe, par l’intermédiaire d’une société néerlandaise, à laquelle elle vend la production destinée à ce marché, laquelle la revend à son tour à une société russe, qui en assure la distribution auprès des clients finaux russes.
Dans ce cadre, un contrat tripartite a été conclu entre la société française, la société néerlandaise et une société située aux Seychelles. Aux termes de cette convention, la société seychelloise était chargée d’adresser à la société française des informations régulières sur les caractéristiques du marché piscicole russe, en échange de quoi elle était rémunérée par des commissions versées par la société française et calculées en fonction de la marge réalisée sur chaque transaction par la société néerlandaise.
La société française a déduit ces commissions de ses résultats imposables au titre des exercices 2007 à 2010, déduction remise en cause par l’Administration sur le fondement des dispositions de l’article 238 A du CGI, et assortie des pénalités de 40 % pour manquement délibéré.
La décision de la CAA de Douai
Devant la Cour, le litige ne portait ni sur l’existence d’un régime fiscal privilégié (les commissions litigieuses n’y ayant été soumises à aucune imposition), ni sur la réalité des prestations (la société française ayant produit de nombreux et solides éléments justificatifs).
Les débats se sont en revanche cristallisés sur le point de savoir si les versements litigieux présentaient un caractère normal pour l’exploitation de la société française et si leurs montants ne présentaient pas un caractère exagéré.
La société française arguait, à cet égard, que les prestations de services effectuées par la société seychelloise lui ont permis de diversifier ses ventes en prenant position sur le marché piscicole russe, et établissait que son volume de production et son chiffre d’affaires ont rapidement cru au cours des années d’imposition en litige, et ce, corrélativement à la réalisation des prestations d’étude et de prospection.
Elle faisait également valoir que les rémunérations ne présentaient pas un caractère excessif (versement sur une période limitée de 4 années, correspondant au démarrage de l’activité sur le marché russe, montant fixé à 8 % du chiffre d’affaires réalisé, et marge réalisée par la société française après déduction de ces commissions demeurant supérieure à celle réalisée auprès de son plus important client français).
Rappelons que, par le passé, le Conseil d’État a admis qu’une commission versée par une société française, pour développer ses ventes en Italie, à une société domiciliée dans l’Ile de Man, correspondait à une prestation réelle et que son montant n’était pas exagéré, en justifiant du développement significatif de ses ventes en Italie et du caractère habituel du montant de la commission (CE, 10 août 2005, n°275983, Sté Electromécanique du Nivernais).
Mais ici, si la CAA de Douai admet implicitement le caractère non-exagéré des rémunérations, elle considère cependant que la société française n’apporte pas la preuve du caractère normal du versement des commissions litigieuses, estimant que celles-ci étaient dépourvues d’utilité pour elle.
Elle juge, à cet égard, que la société française ne vendait pas elle-même ses produits sur le marché russe, mais à la société néerlandaise, laquelle n’intervenait pas davantage de façon directe sur le marché ciblé et se bornait à vendre les produits à un unique distributeur local, de sorte que les prestations réalisées par la société seychelloise n’avaient, en réalité, d’utilité que pour cette dernière.
Eu égard à la communauté d’intérêt existant entre les sociétés française, néerlandaise, russe et seychelloise, elle conclut à l’anormalité des paiements en litige et confirme l’application des pénalités de 40 % pour manquement délibéré.
La décision du Conseil d’État
Sans se prononcer au fond, le Conseil d’État casse, pour erreur de droit, la décision de la CAA de Douai.
Il juge, en effet, que la Cour ne pouvait, pour retenir le caractère anormal des commissions litigieuses, se fonder sur la seule circonstance que la société française n’intervenait pas elle-même directement sur le marché russe et que les prestations de la société seychelloise étaient, par suite, dépourvues d’utilité pour elle.
L’affaire est renvoyée à la CAA de Douai.