Le 30 mars 2023, la loi n°2023-221 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs est entrée en vigueur. Cette version finale de la loi aura suscité nombreux débats qui auront profondément modifié la structure initiale du dispositif.
La loi Descrozaille, dites EGalim 3, de 2023 a pour objectif de rééquilibrer les relations entre fournisseurs et distributeurs, point faible de la loi EGalim 2.
La loi EGalim 3 poursuit cet objectif au moyen d’innovations au bénéfice des fournisseurs et s’inscrit dans le prolongement des dispositifs mis en place par les deux premiers volets des lois EGalim.
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Des innovations au bénéfice des fournisseurs
La primauté du droit français
Au rang des nouveautés, il convient tout d’abord de relever l’apparition de l’article L. 444-1 A du Code de commerce qui précise que les dispositions issues des différentes lois EGalim « s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français » et que « tout litige portant sur leur application relève de la compétence exclusive des tribunaux français [sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage] ».
En attribuant le caractère de loi de police à ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre la délocalisation dans d’autres pays européens des centrales d’achat par leurs enseignes de distribution qui tentent de soumettre les négociations annuelles à des dispositions juridiques moins contraignantes car moins protectrices des intérêts des consommateurs et des agriculteurs.
La loi s’inscrit donc dans le prolongement de l’arrêt Eurelec rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 22 déc. 2022, aff. C-98/22, Eurelec Trading SCRL et Scabel SA) qui a considéré que l’action du ministre de l’Économie relève de « l’exercice de la puissance publique » et que cette action « ne relève pas de la matière civile et commerciale » (cons. 29), n’étant ainsi pas soumise au règlement Bruxelles I bis qui fixe les règles européennes concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale
Par conséquent et dans la lignée de l’arrêt Eurelec, si le ministre agit devant les juridictions françaises en qualité de tiers au contrat litigieux, il ne sera pas tenu par les clauses attributives de compétences stipulées au contrat. En revanche, s’il agit dans le cadre de l’exercice de sa puissance publique, le règlement Bruxelles I bis ne s’appliquera pas et l’action sera fondée sur le droit français en raison du caractère de lois de police accordé des dispositions de la loi EGalim 3.
Le sort de l’échec de la négociation annuelle
Spécificité française forte, la loi EGalim 3 tranche la question de l’échec de la négociation annuelle. Avant 2023, si aucun accord n’était trouvé après la date butoir du 1er mars, les cocontractants devaient maintenir un statu quo. Ce dernier se révélait ainsi, en général, défavorable aux fournisseurs puisqu’ils étaient alors contraints de continuer à livrer les distributeurs aux conditions de l’année précédente et ce pendant plusieurs mois, même si leurs coûts de production avaient augmenté, ce qui était le cas le plus fréquent.
Désormais, en cas d’échec de la négociation annuelle au 1er mars, l’article 9 de la loi offre au fournisseur un choix. Désormais il peut, et lui seulement :
- cesser la relation commerciale, sans risque de se voir intenter une action pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-1, II du Code de commerce
- demander l’application d’un préavis de rupture conforme au même II de l’article L. 442-1
Les parties peuvent également avoir recours au médiateur des relations commerciales agricoles ou au médiateur des entreprises afin de s’accorder sur des conditions de préavis tenant notamment compte des conditions économiques du marché.
En cas d’accord, le prix convenu sera appliqué rétroactivement au 1er mars. En revanche, à défaut d’accord, le fournisseur pourra cesser la relation commerciale sans que ne puisse lui être opposé d’argument tiré de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Ce nouveau critère d’appréciation consistant à prendre en compte les « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties » témoigne de la prise en compte du facteur inflationniste qui pèse actuellement sur les entreprises . On peut supposer qu’à l’avenir les juges pourront utiliser ce seul critère pour caractériser une rupture brutale et calculer le montant de l’indemnité de rupture.
Prévu à titre expérimental pour une durée de 3 ans, ce dispositif cherche à remettre en cause le caractère illusoire de la marge de négociation qu’un fournisseur peut avoir avec les distributeurs. Si on peut y voir un nouvel outil de pression au service du fournisseur, des doutes demeurent néanmoins sur sa mise en œuvre en raison de sa trop forte dépendance par rapport au distributeur.
Une obligation de négocier de « bonne foi »
Pour limiter le risque de non-conclusion de la convention annuelle, la loi EGalim 3 impose désormais aux parties de négocier la convention écrite « de bonne foi, conformément à l’article 1104 du Code civil » (art. L. 441-4 du Code de commerce).
Sans doute la précision semblera-t-elle superflue, personne n’ayant douté de l’application du droit commun des contrats (dont l’article 1104 du code civil) à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs. La loi a, ici, une portée essentiellement pédagogique.
Par ailleurs, une nouvelle pratique restrictive de concurrence s’ajoute à la liste figurant à l’article L. 442-1 du Code de Commerce : dorénavant, est sanctionné le fait « de ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3 ».
Il faut comprendre que seule la mauvaise foi dans la négociation pourra être sanctionnée, mais non les conséquences de la non-conclusion du contrat avant la date butoir du 1er mars.
Le renforcement des sanctions concernant la négociation annuelle
Afin de protéger davantage les fournisseurs et de s’assurer du respect de la date butoir du 1er mars, la loi EGalim 3 a renforcé les sanctions prévues à l’article L. 441-6 du Code de commerce en édictant une amende spécifique pouvant aller jusqu’à 200 000 € pour une personne physique et 1 000 000 € pour une personne morale (contre 75 000 € et 375 000 € auparavant).
L’encadrement des pénalités logistiques
Autre nouveauté dans le prolongement de la loi EGalim 2, l’encadrement des pénalités logistiques est renforcé par plusieurs mécanismes qui cherchent à répondre aux abus de plusieurs enseignes de la grande distribution constatés par la DGCCRF en novembre 2022. On note ainsi :
- la création d’une convention logistique écrite distincte de la convention écrite qui précisera les obligations réciproques en matière de logistique auxquelles s’engagent le fournisseur et le distributeur, notamment le montant des pénalités et les modalités de détermination de ce montant (art. L. 441-3, I bis du Code de commerce)
- l’obligation pour le distributeur d’infliger au fournisseur des pénalités logistiques proportionnées au préjudice subi dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés, sans possibilité d’infliger des pénalités logistiques pour l’inexécution de l’engagement contractuel survenue plus d’un an auparavant (art. L. 441-17, I du Code de commerce)
- l’exclusion des grossistes du dispositif relatif aux pénalités logistiques (art. L. 441-17, IV et L. 441-18 du Code de commerce)
- l’obligation pour les distributeurs de déclarer au plus tard le 31 décembre de chaque année l’état du montant des pénalités logistiques infligées à leurs fournisseurs auprès de la DGCCRF sous peine d’une amende administrative pouvant atteindre 500 000 € pour une personne morale – une synthèse de ces déclarations étant ensuite transmise par le gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat (art. L. 441-19 du Code de commerce)
La « sacralisation » du régime des grossistes
Jusqu’à la loi EGalim 3, le régime spécifique des grossistes était difficile à appréhender car ses règles, très spécifiques et souvent dérogatoires, étaient éparpillées au sein de différents articles du Code de commerce, et ce, en dépit de la présence de ce régime dans chaque filière.
Désormais, le régime des grossistes est rassemblé au sein de l’unique article L. 441-1-2 du Code de commerce qui prévoit :
- la définition des grossistes telle qu’issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite « loi Macron »)
- les éléments devant figurer dans les conditions générales de vente applicables aux grossistes
- l’obligation pour les grossistes de communiquer leurs conditions générales de vente à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle et la possibilité d’établir des conditions générales de vente catégorielles
- la qualité de socle unique de la négociation commerciale des conditions générales de vente établies par le grossiste et la possibilité d’établir des conditions particulières intégrant la méthode de calcul du prix si ce dernier ne peut pas être déterminé, a priori, avec exactitude
- l’exclusion du régime des produits alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie du régime applicable aux grossistes
- une amende en cas de manquement aux dispositions relatives aux mentions obligatoires des conditions générales de vente
La surveillance des marges des distributeurs
Affichant la volonté de contrôler les marges des distributeurs, la loi EGalim 3 prévoit que le Gouvernement devra remettre avant le 1er juillet 2023 un rapport étudiant « la possibilité de mettre en place un encadrement des marges des distributeurs sur les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine afin qu’elles ne puissent pas être supérieures aux marges effectuées sur les produits conventionnels » (art. 6 de la loi n°2023-221 du 30 mars 2023).
L’objectif du législateur est de valoriser ces produits dits « SIQO » tout en contrôlant les « sur-marges » qui pourraient être dégagées par les distributeurs par rapport aux marges effectuées sur les produits conventionnels.
Le prolongement des mesures d’EGalim 1 et 2
L’extension aux produits de grande consommation
La loi EGalim 3 s’inscrit dans le prolongement des lois EGalim 1 et 2 en se concentrant sur les produits de grande consommation.
À cet égard, la loi EGalim 3 étend à tous les produits de grande consommation (i) l’interdiction de discrimination des partenaires commerciaux au sens de l’article L. 442-1, I, 4° du Code de commerce et (ii) l’obligation d’énumération « ligne à ligne » des obligations réciproques auxquelles les parties se sont engagées à l’issue de la négociation commerciale et leur prix unitaire (art. L. 441-4 du Code de commerce).
Par ailleurs, les articles 2 et 7 de la loi EGalim 3 prolongent jusqu’en 2025 et 2026 trois dispositifs mis en place par la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 (dite « loi ASAP ») en les étendant aux produits de grande consommation (et plus seulement aux denrées alimentaires ou aux produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie) à partir du 1er mars 2024.
L’encadrement en valeur et en volume des avantages promotionnels
Conscient de l’impact destructeur que peuvent avoir les promotions, le Gouvernement sera chargé de remettre chaque année au parlement un rapport évaluant les effets de ces encadrements sur les prix.
Revente à perte
La loi EGalim 3 maintient le relèvement du seuil de revente à perte à 10 % du prix d’achat effectif des produits (à l’exclusion des fruits et légumes) de la loi EGalim 1, interdisant aux distributeurs de vendre les produits alimentaires à prix coutant. Les distributeurs devront communiquer aux pouvoirs publics des informations précises sur l’usage qu’ils font du surplus de chiffre d’affaires qu’ils tirent du relèvement du seuil de revente à perte.
Non-négociabilité de la matière première agricole
Enfin, l’article 16 de la loi EGalim 3 reprend le principe de non-négociabilité de la matière première agricole issu de la loi EGalim 2 et l’étend aux produits vendus sous marque de distributeur (art. L. 441-7 du Code de commerce).
Une négociation enfin sécurisée ?
Le législateur a entendu rendre compte des difficultés que subissent les fournisseurs face à la hausse des coûts, hausse particulièrement forte depuis 2021.
Des mesures pratiques, qui prennent en compte la réalité économique, ont été mises en place avec l’objectif d’assurer de meilleurs revenus aux fournisseurs et de protéger la rémunération des agriculteurs. Le législateur fait encore une fois part de sa ferme volonté de rééquilibrer la relation en faisant pencher les avantages du côté des fournisseurs dans le cadre d’une relation structurellement déséquilibrée en faveur des distributeurs.
Toutefois, une partie de la doctrine déplore la méthode du législateur qui consiste en la multiplication de lois expérimentales qui durent un, deux ou trois ans sans prendre le temps de faire le bilan et l’évaluation des lois déjà en place. Cela accrédite une perception de grande frénésie qui questionne la crédibilité du législateur à anticiper les effets de ses propres réformes et le sentiment d’un pilotage à vue.
En somme, le régime de la négociation commerciale, sans cesse plus complexe et de moins en moins généraliste, laisse à penser qu’une loi EGalim 4 finira par voir le jour afin de pallier les effets non anticipés des trois premières lois !