Le Conseil d’Etat vient de tirer les conséquences de la décision rendue le 11 mai dernier par la CJUE dans le cadre des affaires Manitou et SA Bricolage Investissement (aff. C-407/22 et C-408/22).
Contexte
Pour mémoire, les produits de participation qui ouvrent droit au régime mère-filiales sont exclus du résultat imposable de la société bénéficiaire desdits produits, à l’exception d’une QPFC de 5 % du montant total des produits des participations (CGI, art. 216 et 145).
Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2016, cette QPFC était neutralisée au titre des dividendes versés entre sociétés intégrées, avant que la CJUE ne juge que le fait que les produits de participation reçus de filiales établies dans d’autres États membres ne puissent pas bénéficier de ce mécanisme de neutralisation était contraire à la liberté d’établissement (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria SCA).
Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2016, la QPFC est ramenée à 1 % pour les produits de participations versés au sein d’un groupe d’intégration fiscale ainsi que pour les distributions perçues par une société membre du groupe fiscal et versées par une société établie dans un autre État de l’UE ou de l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe, en application des articles 223 A ou 223 A bis du CGI, autres que celle d’être soumise à l’IS en France (LFR 2015, tirant les conséquences de la décision Stéria précitée).
Par ailleurs, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, le taux de 1 % s’applique, sous certaines conditions, lorsqu’une société mère ne dispose pas, en France, de filiales éligibles au régime de l’intégration fiscale (LF 2019). En revanche, il est expressément précisé que cette mesure ne s’applique pas lorsque la société mère française n’est pas membre d’un groupe, uniquement parce qu’elle a choisi de ne pas opter pour ce régime.
Les affaires en cause
Des sociétés françaises, non membres d’une intégration fiscale, ont perçu, au titre de l’année 2011 (ou 2012 selon les affaires), des dividendes de filiales européennes, lesquelles auraient rempli les conditions pour être membres de l’intégration fiscale si elles avaient été résidentes en France.
Elles ont vainement demandé à bénéficier de la neutralisation de la QPFC sur les dividendes en cas de distributions entre sociétés membres d’une même intégration fiscale, en invoquant le bénéfice de la jurisprudence Stéria précitée.
L’Administration a refusé de faire droit à leur demande, au motif que les sociétés françaises n’étaient pas membres d’une intégration fiscale, faute d’avoir opté pour ce régime, alors même qu’elles disposaient en France de sociétés intégrables.
Le Conseil d’Etat, devant lequel les affaires ont été portées, a sursis à statuer, et adressé à la CJUE des questions préjudicielles.
Il a interrogé la CJUE sur la conformité à la liberté d’établissement de la législation française en ce qu’elle refusait le bénéfice de l’ancien mécanisme de neutralisation de la QPFC à une société mère, disposant en France de sociétés intégrables mais non intégrées par choix, à raison tant des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales résidentes que de ceux provenant de filiales établies dans d’autres Etats membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence (décisions de transmission du 14 juin 2022, n°454107 et 458579).
La décision de la CJUE
La CJUE a jugé que le régime antérieur était effectivement contraire à la liberté d’établissement, mais ne s’est prononcée expressément qu’au regard des dividendes distribués par des filiales établies dans d’autres Etats membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence.
La décision du Conseil d’Etat
Se prononçant dans les affaires ayant donné lieu à la demande de question préjudicielle, le Conseil d’Etat juge, à son tour, que les dispositions de l’article 223 B, I du CGI, dans leur rédaction applicable au litige, sont incompatibles avec la liberté d’établissement « en tant qu’elles ne prévoient pas la possibilité, pour une société mère, de neutraliser la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des produits de participations en provenance de filiales établies dans un Etat membre de l’Union européenne autre que la France satisfaisant aux critères d’éligibilité au régime d’intégration fiscale lorsque cette société mère, en dépit de l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés françaises permettant la constitution d’un groupe fiscal intégré, n’appartient pas à un tel groupe ».
On notera qu’il ne se prononce dès lors pas expressément sur la question des dividendes versés par une société française « intégrable » à une société mère française non intégrée par choix.
Si cette solution concerne le régime en vigueur avant 2016, elle devrait être transposable au régime actuel, et permettre ainsi aux sociétés mères n’ayant pas constitué de groupe intégré par choix en France de contester l’application de la QPFC au taux de 5 % (vs 1 %) au titre des dividendes perçus de filiales établies dans un Etat membre de l’UE et satisfaisant aux conditions d’éligibilité au régime d’intégration fiscale – à l’exception de celle de la résidence.