Au cours des années 1999 à 2001, il résultait de l’articulation entre le régime des sociétés mères et le système de l’avoir fiscal et du précompte que, lorsqu’une société mère française redistribuait à ses actionnaires les dividendes reçus de ses filiales françaises, il lui était permis d’affecter l’avoir fiscal attaché à cette première distribution au paiement du précompte dû au titre de la redistribution. En revanche, lorsque les dividendes faisant l’objet de la redistribution provenaient de ses filiales situées dans un autre pays de l’Union européenne, l’ancien article 158 bis du CGI faisait obstacle à une telle imputation.
La CJUE avait jugé ces dispositions contraires aux libertés d’établissement et de circulation des capitaux, et laissé au juge national le soin d’apprécier et d’encadrer la production des éléments de preuve conditionnant le remboursement des précomptes indûment acquittés (15 septembre 2011, aff. C-310/09, Société Accor). Le Conseil d’Etat, dans deux décisions de 2012, n’avait toutefois accordé que la restitution d’une fraction des précomptes (10 décembre 2012, n° 317074, Rhodia et n° 317075, Accor). Plusieurs plaintes avaient alors été déposées devant la Commission européenne.
Estimant que les conditions posées par le juge français pour accorder la restitution du précompte supporté par les sociétés mères françaises lors de la redistribution des dividendes perçus de leurs filiales étrangères étaient trop restrictives, la Commission européenne avait ouvert une procédure d’infraction. Après un avis motivé resté sans réponse, elle a décidé d’introduire un recours en manquement contre la France devant la CJUE.
La Cour de justice juge que la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 63 TFUE relatifs à la liberté d’établissement et à la liberté de circulation des capitaux sur deux points.
En premier lieu, elle souligne que, pour le calcul du remboursement du précompte mobilier acquitté par une société mère résidente au titre de la distribution de dividendes versés par une sous-filiale non-résidente par l’intermédiaire d’une filiale non-résidente, la France a refusé de prendre en compte l’imposition sur les bénéfices sous-jacents à ces dividendes subie par cette sous-filiale non-résidente, dans l’Etat membre où elle est établie, alors même que le mécanisme national de prévention de la double imposition économique permet, dans le cas d’une chaîne de participation purement interne, de neutraliser l’imposition qu’ont subie les dividendes distribués par une société à chaque échelon de cette chaîne de participation. Elle en déduit que les conditions posées à la restitution du précompte étaient contraires au droit de l’Union européenne.
En second lieu, elle relève que le Conseil d’Etat a choisi de ne pas la saisir d’un recours en interprétation. Or, elle juge que, compte tenu d’une jurisprudence intervenue un mois plus tôt, les doutes existant sur les questions de droit soulevées par le litige, relatives aux conditions de restitution du précompte, auraient dû le conduire à l’interroger. L’absence d’une telle saisine à titre préjudiciel, conjuguée à l’adoption d’une solution contraire au droit de l’Union, conduisent la Cour à constater l’existence d’un manquement.
L’avis du praticien : Sandrine Rudeaux
L’arrêt commission c/ France, très attendu, constitue une première. Le principe selon lequel une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne doit, dans certains cas, interroger à titre obligatoire la CJUE afin d’écarter le risque d’une interprétation erronée du droit de l’Union, résulte d’une jurisprudence bien établie depuis l’arrêt Cilfit de 1982. La Cour en fait pour la première fois une application positive et constate, de manière très pédagogique, une situation dans laquelle une telle saisine à titre préjudiciel était obligatoire.
Cet arrêt devrait avoir une portée très large. Il implique, dans les litiges relatifs au précompte, que la France se conforme à ses obligations dans les meilleurs délais. Il est en outre susceptible d’entraîner un développement des saisines de la CJUE à titre préjudiciel par les juridictions nationales. Enfin, il pourrait avoir des conséquences sur des affaires existantes ou à venir, dans lesquelles la responsabilité de l’Etat serait recherchée au motif qu’une juridiction statuant en dernier ressort (Conseil d’Etat ou Cour de cassation) aurait violé de manière manifeste le droit de l’Union européenne en s’abstenant de saisir la CJUE à titre préjudiciel (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01, Köbler).