Les redevances perçues par une société étrangère pour l’utilisation des marques et logos préalablement cédés par le contribuable ne peuvent être regardées comme la rémunération d’un service rendu par ce dernier au sens du I de l’article 155 A du CGI.
Le dispositif anti-abus, prévu à l’article 155 A du CGI, vise à faire obstacle aux pratiques consistant à éluder l’impôt français par l’interposition d’une société domiciliée dans un État étranger. Il tend à dissuader le contribuable assujetti à l’impôt sur le revenu en France d’échapper à cette imposition en interposant une tierce personne, domiciliée ou établie hors de France, qui perçoit la rémunération des services rendus par ce contribuable.
En l’espèce, en 1988 un contribuable cède un ensemble de marques et logos dont il était propriétaire à une société installée dans les îles Vierges britanniques. Dès le lendemain, cette dernière met à disposition ces éléments dans le cadre d’un contrat de licence au bénéfice d’une société de droit hollandais. Quelques années plus tard, la société néerlandaise met à son tour ces éléments à la disposition de sociétés françaises et étrangères en contrepartie de redevances. Ce sont ces redevances reçues par la société néerlandaise qui font l’objet du litige.
Ainsi, à la suite d’un contrôle de la situation personnelle du contribuable portant sur les années 1998 à 2003, d’abord seul, puis avec son épouse, l’Administration, sur le fondement de l’article 155 A du CGI, redresse le couple à raison des redevances perçues par la société néerlandaise au titre de la mise à disposition des marques et logos.
Dans ce contexte, deux affaires ont été portées devant les juridictions. Le Conseil d’État vient enfin de les trancher définitivement, à l’occasion d’un second pourvoi en cassation, qui l’obligeait à juger au fond.
Pour ce faire, ce dernier rappelle tout d’abord que selon les dispositions de l’article 155 A, I du CGI : « Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :
- soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services
- soit, lorsqu’elles n’établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services
- soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l’article 238 A »
En cohérence avec sa jurisprudences antérieure, le CE précise ensuite que ces dispositions s’appliquent à raison des prestations dont la rémunération est susceptible d’être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées car elles correspondent à un service rendu pour l’essentiel par cette même personne et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte (CE 20 mars 2013 n°346642 et 346643).
Or, en l’espèce, le Conseil relève que les redevances perçues par la société néerlandaise pour l’utilisation des marques et logos cédés par le contribuable ne pouvaient être regardées comme la contrepartie d’un service rendu par ce dernier et juge dès lors qu’elles n’étaient pas imposables sur le fondement du I de l’article 155 A du CGI.
Les décisions relatives à l’article 155 A du CGI en faveur du contribuable, sont assez rares. Il nous semblait donc opportun d’en faire mention (pour une décision récente en sens inverse, voir Conseil d’État, 9 mai 2019, n°417514 : la circonstance que le service rendu par un contribuable domicilié ou établi en France n’est qu’une composante, non essentielle, d’un ensemble de prestations facturées par la personne domiciliée ou établie hors de France ne fait pas obstacle à l’imposition entre les mains du contribuable de la fraction de la rémunération versée à l’étranger correspondant à son intervention propre).
L’avis du praticien : Sandrine Rudeaux
La solution du Conseil d’État est tranchée de manière lapidaire mais très pédagogique, et mérite d’être saluée : des redevances versées pour l’utilisation de marques et logos ne sont pas la contrepartie d’un service rendu, et n’entrent pas dès lors dans les prévisions du I de l’article 155 A du CGI.
Elle laisse toutefois un goût amer pour trois raisons au moins.
En premier lieu, la question était débattue depuis le premier arrêt rendu par la CAA de Lyon en 2015, mais le Conseil d’État, dans sa première décision rendue en 2017, avait préféré classer l’affaire en la mentionnant aux tables du recueil Lebon sur un autre point. Un point intéressant certes, mais qui repose finalement sur un argumentaire inopérant en l’espèce.
En deuxième lieu, il aura fallu attendre 20 ans entre la première année contrôlée (1999) et l’issue favorable donnée au litige. Une visite domiciliaire avait été diligentée en 2004, et à l’issue d’un ESFP les contribuables s’étaient vu appliquer des pénalités pour mauvaise foi, au motif qu’ils avaient délibérément tenté d’éluder l’impôt (pénalités confirmées en dernier lieu par l’arrêt de la CAA de Lyon en 2018). Le jugement du tribunal administratif de Grenoble n’avait été rendu qu’en 2013.
En dernier lieu, le requérant, décédé entre temps si l’on comprend bien les visas de la décision, sera parti sans savoir qu’il a finalement eu gain de cause grâce à la ténacité de son épouse et de son ayant-droit.
On attendra avec beaucoup d’intérêt les conclusions toujours excellentes d’Anne Iljic, si toutefois elles sont publiées, pour être éclairé sur les raisons qui ont guidé le choix du Conseil d’État. On relèvera, dans l’attente, que le droit de l’Union européenne réserve un sort à part aux droits de propriété intellectuelle. La CJUE ne les range ni dans les marchandises, ni dans les prestations de services, mais les considère comme présentant un caractère sui generis, et admet qu’ils relèvent du traité en raison de leur effet économique.