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Article 155 A du CGI : 2 décisions de la CAA de Paris 

Aff.1 Absence de preuve de l’exercice par la société étrangère interposée, de manière prépondérante, d’une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services en France – Imposition des rémunérations considérées dans la catégorie des BNC

Aff.2 Exemple d’absence de double imposition de l’associé français unique de la société étrangère interposée

Rappel

Pour mémoire, l’article 155 A, I du CGI vise à dissuader les contribuables susceptibles d’être soumis à l’impôt en France (prestataires réels) de s’y soustraire en faisant percevoir leur rémunération pour services rendus par des personnes établies à l’étranger (personnes interposées). Ainsi, les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :

  • Lorsque ce prestataire réel contrôle directement ou indirectement la personne interposée ; ou
  • Lorsque ce prestataire réel n’établit pas que la personne interposée exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; ou
  • Lorsque la personne interposée est domiciliée ou établie dans un pays étranger où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, au sens de l’article 238 A du CGI.

L’imposition doit alors être établie par l’Administration dans la catégorie d’imposition des revenus correspondant à l’activité exercée ; pour la détermination de la catégorie d’imposition idoine, il est fait référence aux relations entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu les services facturés et celle qui en a bénéficié (CE, 4 novembre 2020, n°436367).

Enfin, rappelons que le dispositif de l’article 155 A a été complété sur 2 points par la LF 2024 :

  • Extension aux sommes versées en contrepartie de l’exploitation commerciale de droits attachés à l’image, au nom ou à la voix d’une ou plusieurs personnes, de l’usage de droits d’auteurs ou de droits voisins ou de la propriété industrielle ou commerciale ou de droits assimilés ;
  • Insertion d’une disposition prévoyant que, lorsque la personne domiciliée ou établie hors de France reverse à la personne domiciliée ou établie en France tout ou partie des sommes imposées sur son fondement, l’impôt correspondant à ce revenu est réputé avoir déjà été acquitté.

Affaire n°1 : Absence de preuve de l’exercice par la société étrangère interposée, de manière prépondérante, d’une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services en France – Imposition des rémunérations considérées dans la catégorie des BNC (CAA Paris, 13 juin 2025, n°24PA04362).

L’histoire

Une société française réalise des prestations informatiques au bénéfice de ses clients. Pour certains de ses clients localisés en France, elle sous-traite la réalisation de la prestation à une société marocaine. Dans ce cadre, l’exécution de la prestation a été confiée à un contribuable personne physique, résident fiscal de France, qui l’a réalisée sur le territoire français.

A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société française et d’un ESFP du contribuable personne physique au titre des années 2016/2017, l’Administration a entendu mettre en œuvre le dispositif de l’article 155 A, et a assujetti le contribuable personne physique à des suppléments d’IR dans la catégorie des BNC.

Ces rectifications ont été assorties de la majoration de 80 % pour activité occulte.

La décision de la CAA de Paris

Sur l’application de l’article 155 A du CGI

La CAA de Paris confirme l’application du dispositif de l’article 155 A, en se fondant sur les éléments suivants :

  • La société française a conclu des contrats d’assistance technique et de sous-traitance avec des sociétés françaises dans les locaux desquelles les prestations devaient être réalisées – prestations qui ont été effectivement accomplies par la personne physique française ;
  • La société marocaine et la société française ont conclu un contrat de services, aux termes duquel la société marocaine a proposé le détachement de certains de ses collaborateurs pour des missions réalisées en France ;
  • Il était prévu, en annexe à ce contrat entre la société marocaine et la société française, que le contribuable personne physique français interviendrait pour les prestations de services réalisées au nom de la société française ;
  • La société marocaine, sur la base des relevés d’activité mensuelle de la personne physique établis par les sociétés clientes de la société française, a facturé à la société française les prestations ainsi réalisées, et les paiements correspondants ont été honorés par des versements sur le compte bancaire de la société marocaine ;
  • La teneur des différents contrats et annexes ne permettent pas de regarder la société marocaine comme ayant reçu, à raison de ces facturations, la contrepartie d’une intervention qui lui aurait été propre et qui permettrait de regarder le service rendu au client final comme l’ayant été pour son propre compte ;
  • Il n’est pas démontré que la société marocaine aurait exercé, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services en France.

Sur l’imposition entre les mains du contribuable personne physique français dans la catégorie des BNC

Le contribuable arguait, en défense, que son activité de consultant en informatique réalisée en France ne pouvait pas être regardée comme une activité indépendante non commerciale, mais comme une activité salariée, dans la mesure où il ne disposait d’aucune autonomie dans l’exercice de son activité qui s’inscrivait dans le cadre des relations contractuelles liant exclusivement la société française et la société marocaine auxquelles il n’était pas partie. Il soulignait, de plus, que la facturation des prestations était établie par la société marocaine, et qu’il n’était bénéficiaire d’aucun virement de la société française.

La CAA de Paris ne souscrit pas à cette analyse, et juge que si les facturations établies par la société française mentionnaient bien son nom, ces facturations étaient établies sur les fiches d’activité mensuelle établies par les clients de la société française.

Elle considère que l’activité litigieuse a été exercée en propre par le contribuable, et que sa qualification ne saurait dépendre que de l’analyse des relations existant entre lui et le client final (en ligne avec la position dégagée par le Conseil d’Etat dans sa décision Aubert du 4 novembre 2020, n°436367) – faute pour le contribuable d’établir par ailleurs l’existence d’un lien de subordination avec la société française.

Elle confirme donc l’imposition des rémunérations litigieuses dans la catégorie des BNC.

Affaire n°2 : Exemple d’absence de double imposition de l’associé français unique de la société étrangère interposée (CAA Paris, 21 mai 2025, n°24PA00560)

L’histoire

Une société lettone a réalisé des prestations informatiques au bénéfice de 2 sociétés françaises, qui ont procédé au paiement des prestations reçues par virements bancaires.

Ces prestations ont été réalisées par un contribuable personne physique, résident fiscal français, associé unique et seul salarié de la société lettone – prestations constituant l’unique activité de la société lettone.

A l’issue d’une vérification de comptabilité de l’une des sociétés françaises bénéficiaires des prestations et après avoir formulé une demande d’assistance administrative auprès des autorités lettones, l’Administration a imposé les rémunérations litigieuses entre les mains du contribuable personne physique, dans la catégorie des BNC.

La décision de la CAA de Paris

Sur l’application de l’article 155 A du CGI

La question de la mise en œuvre du dispositif de l’article 155 A du CGI n’a pas retenu longtemps la CAA de Paris, dès lors qu’étaient en cause des prestations réalisées par un prestataire réel français, à partir d’une installation fixe d’affaires en France, au profit de sociétés françaises et facturées par une société étrangère sans activité réelle, sur laquelle il exerçait un contrôle direct.

Sur l’absence de double imposition

En défense, le contribuable français se prévalait de l’existence d’une double imposition.

Il faisait ainsi valoir qu’il était salarié d’une société française, laquelle l’avait mis à disposition de la société lettonne moyennant rémunération, de telle sorte que l’imposition de la rémunération perçue en exécution des prestations réalisées pour le compte des 2 sociétés françaises faisait double emploi avec celle des salaires perçus et déclarés de son employeur français.

La CAA de Paris relève que si le contribuable a bien perçu un salaire au titre des années considérées (production par le contribuable des bulletins de salaires), il n’était pas possible d’effectuer de rapprochement avec les sommes litigieuses (très importante discordance entre le montant des salaires – très faible – et celui des sommes en litige, beaucoup plus conséquent). De plus, rien n’indiquait que ces rémunérations auraient été perçues au titre des prestations facturées par la société lettone.

Enfin, à titre subsidiaire, le contribuable tentait de se prévaloir de la réserve formulée par le Conseil constitutionnel en 2010 (décision 2010-70 QPC du 26 novembre 2010) et légalisée par la LF 2024.

Pour mémoire, le Conseil constitutionnel y avait posé le principe selon lequel les dispositions de l’article 155 A ne sauraient, dans l’hypothèse où la personne domiciliée ou établie hors de France reverse à la personne domiciliée ou établie en France tout ou partie des sommes imposées sur son fondement, conduire à ce que le contribuable soit assujetti à une double imposition au titre du même impôt.

Ici, le contribuable tentait de faire valoir, mais sans parvenir à l’établir, qu’en réalité, la société lettone aurait finalement reversé les sommes perçues des bénéficiaires des prestations à la société française lui ayant facturé sa mise à disposition.

     CAA de Paris, 13 juin 2025, n°24PA04362

    CAA de Paris, 21 mai 2025, n°24PA00560

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    Alice de Massiac

    Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à…

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    Clara Maignan

    Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique…