Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – mai 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
La CAA de Bordeaux apporte un éclairage particulier sur les sociétés qui empruntent pour obtenir les liquidités nécessaires au financement de leurs filiales sans exiger de rémunération, en créant une distinction, lors de la réintégration des intérêts, fondée sur le mode de financement par emprunt ou sur fonds propres.
Faits et procédure
La société holding Fibusa a consenti à quatre filiales roumaines – ayant pour objet le développement de centrales de production d’électricité d’origine éolienne – des prêts sans intérêts. Ces prêts, dont une partie était financée au moyen d’emprunts contractés par la société, ont été conclus pour une durée inférieure à un an, renouvelables pour la même durée avec la possibilité pour les filiales de les rembourser à tout moment.
À l’occasion d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 et 2014, l’administration fiscale a considéré, sur le fondement de l’article 57 du CGI, que ces avances non rémunérées sont un avantage par nature constitutif d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger, faute pour la société d’apporter la preuve d’une contrepartie équivalente. Le Tribunal administratif de Pau (TA Pau, 30 déc. 2022, n° 1800672), sur saisine de la société, a validé la position de l’administration fiscale.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux retient une solution différente tout en maintenant le principe des impositions en litige. Nous ne reviendrons pas sur la première partie de l’arrêt concernant l’irrégularité du jugement, en l’absence de respect des formalités, et la violation du secret professionnel, dans le cadre du droit de communication, ces deux moyens étant rejetés sans équivoque.
Dans le cadre de son appel, la société a fait valoir i) qu’elle a prêté à ses filiales sans rémunération afin de soutenir leurs projets économiques et ii) que le taux moyen d’intérêt des avances sur titres pratiqué par la Banque de France doit être retenu comme référence pour déterminer les intérêts financiers à réintégrer1.
Après avoir constaté l’absence de contrepartie aux avantages consentis par la société, la cour distingue entre ses deux modes de financement.
L’avantage par nature est strictement encadré par le juge et suppose que l’absence de contrepartie soit clairement établie par l’administration fiscale
L’une des conditions cumulatives de mise en oeuvre de l’article 57 du CGI tient à la démonstration que la société vérifiée a consenti un avantage à l’une des sociétés du groupe international au sein duquel elle prend place. L’administration fiscale doit ainsi démontrer l’existence d’un avantage sans contrepartie équivalente, au détriment de l’entreprise française. La preuve peut être établie soit par comparaison avec des opérations réalisées entre tiers dans des conditions similaires, soit par la simple constatation d’un avantage par nature. Si l’existence d’un tel avantage par nature peut être démontrée, la présomption de l’article 57 trouve à s’appliquer sans procéder à une comparaison. La simple nature de l’avantage permet de présumer le transfert de bénéfices.
En l’espèce, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 9 nov. 2015, n° 370974, Sté Sodirep Textiles SA-NV : Lebon T., p. 651 ; RJF 2/16 n° 121, concl. M.-A de Barmon), la cour a considéré que le lien de dépendance unissant la société à ses filiales et sa renonciation à percevoir des intérêts caractérisaient la présomption de transfert de bénéfices 2.
Pour démontrer l’existence d’une contrepartie, la société a fait état des difficultés financières rencontrées par ses filiales et des perspectives de dividendes qu’elle escomptait en consentant ces avances non rémunérées. La cour, au moyen d’un « faisceau d’indices », constate néanmoins que les filiales n’ont réalisé aucun chiffre d’affaires, que leurs investissements n’ont pas de rapport avec des projets de parcs éoliens et qu’elles ne disposent pas des autorisations administratives requises pour de telles installations. Elle en déduit qu’en l’absence d’activité de ses filiales, la société ne justifie d’aucune contrepartie à ces prêts sans intérêts.
Le taux d’intérêt de référence varie selon le mode de financement des avances non rémunérées
Contrairement au jugement de première instance, les juges d’appel opèrent une distinction entre les avances selon leur mode de financement en précisant nettement la référence à retenir.
Pour les avances financées sur fonds propres, le taux doit être établi selon la rémunération que le prêteur pourrait obtenir d’un établissement financier ou d’un organisme assimilé. La cour retient ainsi, conformément à une jurisprudence désormais bien établie, le taux moyen d’intérêts des avances sur titres pratiqués par la Banque de France proposés par la société et non contesté par l’administration fiscale.
Ce choix peut paraitre surprenant car la société proposait en première instance de retenir le taux applicable aux SICAV monétaires ou à des parts de fonds communs de placement monétaire3. Or, le recours à ce type de comparables, particulièrement adaptés s’agissant de déterminer le taux d’intérêt d’avances dont la maturité initiale est inférieure à 1 an et les fonds immédiatement disponibles, a déjà été validé par le Conseil d’État (CE, 31 juill. 2009, n° 301935 et n° 301936, SARL Jean-Marc Brocard et SARL Domaine Sainte-Claire : RJF 2009 n° 1057, concl. J. Boucher), même si le contribuable doit naturellement justifier de la comparabilité des termes de la transaction à l’étude et des comparables retenus.
Pour les avances financées par l’emprunt, la Cour de Bordeaux affirme que la réintégration doit être déterminée par référence aux intérêts effectivement supportés par la société au cours de chaque exercice, à raison des emprunts qu’elle a contractés. Cette approche, inédite dans le cadre d’avances à court terme, place résolument la question de la détermination du taux d’intérêt sur le terrain des prix de transfert. La cour considère en effet que l’analyse doit porter non seulement sur les caractéristiques des avances consenties mais également sur la situation de la société prêteuse et de son mode de financement. Si la cour n’y fait pas explicitement référence, les travaux de l’OCDE rappellent la nécessité de délimiter avec précision la transaction étudiée, ce qui implique d’analyser son contexte et tous les facteurs susceptibles d’influencer le prix 4. Au cas d’espèce, si les décisions de première instance et d’appel fournissent peu d’éléments, le fait que la société ait eu recours à l’emprunt pour financer une part des avances est une circonstance fondamentale de l’évaluation du taux de marché. Il conviendrait alors de s’assurer que les avances ont été consenties par la société dans des conditions analogues à celles des emprunts souscrits en vue de leur financement.
L’oeil de la pratique
La solution retenue par cet arrêt apporte un nouvel éclairage proposant une distinction inédite selon le mode de financement d’avances de trésorerie à des sociétés liées, que le Conseil d’État devra confirmer puisque cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
1 La société avait soutenu en première instance que le taux de référence des SICAV monétaires ou des parts de fonds communs de placement monétaire devait être retenu
2 Les avances ou les prêts non rémunérés consentis à une société étrangère liée constituent un avantage par nature qui n’exige pas de l’administration d’apporter une preuve de l’avantage accordé par l’entreprise
3 À défaut de faire une distinction selon l’origine des fonds, le juge de première instance avait rejeté le recours aux SICAV monétaires par la société en estimant que les avances étaient financées par emprunt
4 OCDE (2022), Principes applicables en matière de prix de transfert, chap. X.