Retour sur la régulation européenne des cryptoactifs et certaines avancées majeures avec les règlements MiCA et TFR

Cet article a été initialement publié sur Lamyline. Il a été repris sur le blog avec l’accord de l’éditeur. 

 

Les 29 et 30 juin 2022, la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont conclu un accord provisoire important pour l’industrie « crypto » dans l’Union européenne.

Ces travaux ont débuté officiellement en décembre 2019 par une consultation de la Commission Européenne sur la réglementation des crypto-actifs.

Quelques mois plus tard, en septembre 2020 une proposition sur la base des retours de la consultation a pu voir le jour.

Le règlement Markets in crypto-assets (MiCA) et le règlement révisé sur les transferts de fonds (TFR, Transfer of Funds Regulation) placent ainsi l’Union européenne en « pionnière » de la régulation des crypto-actifs.

Cet accord provisoire définit la politique de l’Union sur ces sujets tout à la fois innovants et clivants.

Cette première grande étape sera suivie bien évidemment par des discussions techniques en consultation avec l’industrie crypto européenne.

A ce titre, Faustine Fleuret de l’ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques) estime toutefois qu’il reste « encore énormément de travail » avant la publication au Journal officiel de l’UE des deux règlements, prévue pour janvier 2023. La mise en conformité des acteurs est quant à elle envisagée pas avant 2024 voire même 2025.

Ces deux accords ont fait l’objet de beaucoup d’attente de la part de l’industrie crypto européenne.

Il était d’autant plus important pour la France d’arriver à une entente après avoir présidé le Conseil de l’Union Européenne de janvier à juin 2022.

Les enjeux de l’harmonisation des régulations sur les cryptos-actifs et la création des conditions de concurrence équitable en Europe sont multiples ; il s’agit notamment de créer un cadre attractif pour développer l’activité tout en s’assurant de la protection des différents acteurs dont les citoyens européens.

Nous pouvons également noter l’importance de la prise en compte de la directive MiFID(1) au sein de cette réglementation « crypto » européenne.

MiCA est également issu d’une série de mesures relatives à la finance numérique en Europe, le Digital finance package.

Ce texte couvre ainsi plusieurs domaines dont :

  • l’offre au public et l’admission aux négociations de jetons ;
  • l’offre au public et l’admission aux négociations de jetons de valeur stable (stablecoinss) ;
  • la fourniture de services sur crypto-actifs par des prestataires ;
  • la prévention des abus de marché sur crypto-actifs.

Nous souhaitons souligner quelques évolutions importantes de la régulation « crypto » au sein de cet article (sans rentrer dans une parfaite exhaustivité de toutes les règles qui entreront en vigueur, compte tenu notamment du process non terminé d’adoption des textes et des compléments technologiques à venir).k

Sur les Ico (vente au public de tokens ulitaires)

Au sens de MiCA un émetteur est autorisé à offrir des jetons au public (réaliser une Initial Coin Offering-ICO) de l’Union européenne s’il remplit 2 critères.

Premièrement, il doit être établit sous la forme d’une personne morale dans l’un des pays membres de l’Union Européenne (article 4). Deuxièmement, il aura à charge d’élaborer, publier et notifier un livre blanc (white paper) aux autorités compétentes nationales.

Cette réglementation se rapproche de celle que nous avons en France concernant le visa optionnel de l’Autorité des Marchés Financiers en matière d’ICO, l’idée étant en droit français, que sans ce visa, il est impossible de démarcher le public français.

Les consommateurs disposeront d’un délai de rétractation de 14 jours après l’achat de jetons.

Durant cette période, les consommateurs pourront se faire intégralement et gratuitement rembourser. (Article 12).

Les stablecoins

Il convient tout d’abord convient de noter la distinction qu’effectue la régulation concernant deux types de Stablecoins. Premièrement, les jetons se référant à des actifs, (ou ART, de l’anglais asset-referenced token) et deuxièmement les jetons se référant à des monnaies électroniques (ou EMT, de l’anglais electronic money token).

Un jeton se référant à des actifs est définit comme : « un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs » (article 3, considérant 3).

Un jeton se référant à des monnaies électroniques est : « un type de crypto-actif dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal » (article 3, considérant 4).

L’une des dispositions ayant causé le plus de réactions concerne la limitation en matière de volume d’émission des stablecoins.

En effet, afin de préserver la stabilité financière européenne et pour éviter tout risque d’atteinte à la souveraineté financière des Etats, les échanges sembleraient être limités.

De plus, les émetteurs de jetons se référant à des monnaies électroniques vont devoir constituer une réserve liquide de ratio 1/1, soit une collatéralisation obligatoire de 100 % pour chaque stablecoin émis. En effet, les acheteurs de jetons se référant à des monnaies électroniques pourront à tout moment demander à l’émetteur le remboursement du jeton se référant à des monnaies électroniques. (Article 44, considérant 4). Il est précisé que ce remboursement devra être effectué à la valeur nominale, soit en espèces, soit par virement. En découle donc l’obligation pour les émetteurs de jetons se référant à des monnaies électroniques de constamment avoir l’équivalent en liquidité des jetons se référant à des monnaies électroniques qu’ils émettent, et ce sous peine de sanctions. L’article 92, d prévoit notamment une amende d’au moins 15% du chiffre d’affaires annuel total pour le non-respect de cette obligation.

Il convient aussi de noter que l’émission de stablecoins ART se basant sur l’EURO sera soumise à un accord préalable de de la Banque Centrale Européenne. En effet, et pour ce type de crypto actif uniquement, l’autorité compétente doit consulter la Banque Centrale Européenne qui devra fournir un avis non contraignant sur la demande d’agréement de l’émetteur (considérant 29).

De plus, les émetteurs de cryto-actifs auront pour obligation d’être implantés sur le territoire de l’Union européenne. L’obligation précitée concernant les émetteurs de ICO (article 4), s’applique aussi aux émetteurs d’ART (article 15) et d’EMT (article 43) qui devront eux aussi être établit sous la forme d’une personne morale dans l’un des pays membres de l’Union Européenne.

Sur les jetons se référant à des actifs 

Un émetteur de jetons se référant à des actifs sera soumis a à des règles plus strictes qu’un émetteur de jetons « traditionnel ». Il devra donc, comme un émetteur de jeton classique, être établit sous la forme d’une personne morale dans l’un des pays membres de l’Union Européenne (article 15). Il devra de plus déposer une demande d’agrément à l’autorité compétente de l’état membre d’origine contenant notamment un livre blanc, mais aussi un programme d’activité exposant le modèle de l’entreprise, une description détaillée du dispositif de gouvernance et l’identité des membres de l’organe de gestion (entre autres critères (article 16).

Un émetteur de jeton se référant à des actifs devra disposer d’au moins 350 000 euros de fonds propres ou l’équivalent en euros de 2 % du montant moyen des actifs de réserve. (Article 31). Ce taux passe à 3% pour les jetons se référant à des actifs revêtant une importance significative (article 41). De plus, ces émetteurs de jetons se référant à des actifs devront constituer une réserve d’actif dont le volume n’est pas précisé (article 32). Cependant : « Les émetteurs veillent à ce que la création et la destruction de jetons se référant à des actifs s’accompagnent toujours d’une augmentation ou diminution correspondante de la réserve d’actifs et à ce que cette augmentation ou diminution soit gérée de manière adéquate afin d’éviter toute répercussion négative sur le marché des actifs de réserve » (Article 32, considérant 3).

Là aussi, les acheteurs ont la possibilité de se faire rembourser. Deux possibilités existent. Soit, les émetteurs de jetons se référant à des actifs « prennent les devants » et prévoient une procédure avec les modalités du remboursement et ses délais (article 35, 2), soit, cet émetteur ne le prévoit pas et MiCA vient assurer un minimum de droits, notamment celui de se faire rembourser si la valeur de marché de jetons varie sensiblement par rapport à la valeur des actifs de référence. L’adjectif « sensiblement » reste à préciser (Article 35, 4).

Les sanctions encourues sont ici d’au moins 15 % du chiffre d’affaires annuel total (Article 92, d).

Sur les jetons se référant à des monnaies électroniques

Un émetteur de jetons se référant à des monnaies électroniques devra lui aussi obtenir l’agrément de l’autorité compétente de l’état membre d’origine en établissant un livre blanc contenant les informations principales de l’émetteur et son projet (Article 43).

Outre le remboursement à tout moment des jetons se référant à des monnaies électroniques par l’émetteur et l’obligation d’avoir en valeur nominale l’équivalent des jetons se référant à des monnaies électroniques émis comme vu plus haut, l’obligation de réserve de fonds propres s’applique ici aussi mais uniquement aux émetteurs de jetons se référant à des monnaies électroniques revêtant une importance significative. Il est d’au moins 350 000 euros de fonds propres ou l’équivalent en euros de 3 % du montant moyen des actifs (article 52, c).

Les sanctions sont les mêmes que celles prévues pour les émetteurs de jetons se référant à des actifs.

L’objectif est de créer un écosystème fortement sécurisé pour gagner la confiance des acquéreurs.

Avec de telle conditions, l’acquisition de stablecoins (ATR ou EMT) semble intéressante pour les acquéreurs, mais beaucoup moins pour les émetteurs européens.

A noter en toute hypothèse qu’il restera toujours possible aux citoyens européens d’accéder à des prestataires étrangers pour acheter d’autres type de stablecoins.

En effet, tant que le prestataire étranger n’aura pas démarché activement le marché européen, il ne sera pas soumis à MiCA. Cela conforte le fait que la régulation européenne est très contraignante et qu’elle va peut-être encourager certains acteurs à ne pas développer leur activité au sein de l’Union européenne.

Sur les prestataires de service

Les PSAN de droit français avaient beaucoup faits parler d’eux dès 2019 et la mise en oeuvre de la Loi Pacte.

Nul doute que cette régulation « à la française » a inspiré le législateur européen et ce d’autant que la France présidait le Conseil de l’Union européenne au jour de son adoption, le 30 juin 2022.

Ces prestaires devront obtenir un agrément préalable dans un des Etats membres afin d’accéder au marché européen. Cette autorisation fera l’objet d’une décision au niveau national dans un délai de 3 mois. Ce passeport européen a notamment pour but de favoriser le développement d’activité entre les 27 pays membres. Pour les « significant CASP »(2) (à partir de 15 millions d’utilisateurs actifs) l’ESMA(3) détiendra un pouvoir de supervision.

Les prestataires non conformes intégreront quant à eux un registre public tenu par l’ESMA et subiront des restrictions afin de réduire les éventuels abus auprès des utilisateurs européens.

De plus, la responsabilité du prestataire pourra être engagée pour les pertes d’actif de réserve de Stablecoin ART des investisseurs. Il est précisé que les émetteurs d’ART qui souhaitent investir une partie de leur actif de réserve ne peuvent le faire que « dans des instruments financiers très liquides comportant un risque de marché et de crédit minimal. Les investissements doivent pouvoir être liquidés à bref délai, avec un effet négatif minimal sur les prix. » (Article 34, considérant 1). Le non-respect de cette disposition peut entrainer des sanctions d’au moins 15% du chiffre d’affaires annuel total.

MiCA prévoit aussi une certaine souplesse pour les PSAN déjà autorisés à exercer au sein de certains pays de l’Union.

En effet, ils bénéficieront d’une procédure d’accès facilitée au régime européen avec une période de tolérance de 18 mois pour se conformer à la réglementation. Le terme « autorisé » n’ayant pas été défini, il conviendra de vérifier s’il englobe les PSAN seulement enregistrés compte tenu notamment du fait qu’il n’existe, en droit français, aucun PSAN agréé à ce jour.

Avec la mise en place de MiCA l’enregistrement « de droit français » va disparaitre pour ne conserver, grosso modo, que l’agrément optionnel (en France pour mémo, nous bénéficions d’un régime obligatoire préalable pour quatre activités dont la conservation d’actifs numériques, le change crypto/FIAT et crypto/crypto et d’un régime optionnel pour six autres activités).

TFR : KYC et Travel rule

Le TFR est le second règlement concernant les cryptos actifs. Il vise à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et prévoit des obligations fortes concernant l’identification des acteurs crypto et l’échange d’information entre eux.

L’objectif est d’imposer aux prestataires de services sur crypto-actifs L’objectif est d’imposer aux prestataires de services sur crypto-actifs l’obligation de recueillir et de rendre accessibles certaines données sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire des transferts de crypto-actifs qu’ils traitent. C’est ce que font actuellement les prestataires de services de paiement pour les virements électroniques. Cela permettra d’assurer la traçabilité des transferts de crypto-actifs, afin de pouvoir mieux détecter les éventuelles transactions suspectes et de les bloquer.

Les Prestataires devront échanger des informations sur les transactions effectuées par leur client en précisant notamment la nature de la transaction, son montant et ses contreparties, et ce quel que soit le montant ou la nature de la transaction. Une mesure forte donc, plus que celui prévu dans la finance classique et le seuil de 1000 euros pour les clients occasionnels (Article R561-10 du Code monétaire et Financier).

Une vérification d’identité (KYC, Know Your Customer) sera obligatoire pour toutes les transactions de plateforme à plateforme et ce dès le premier euro. De plateforme à portefeuille privée, cette obligation s’appliquera à partir de 1000 euros.

Ces contraintes très lourdes ont agacé l’écosystème européen qui craint notamment de voir les plateformes hors UE gagner encore plus de parts de marché.

Afin de préserver la « vie privée » de ses détenteurs, les transactions entre portefeuilles privés ne seront pas soumises à cette vérification d’identité.

En effet, en ce qui concerne la protection des données, les colégislateurs sont ainsi convenus que le règlement général sur la protection des données (RGPD) reste applicable aux transferts de fonds et qu’aucune réglementation distincte en matière de protection des données ne sera instaurée.

A noter que TFR s’appliquera également aux portefeuilles non hébergés (unhosted wallets) comme les Ledger (wallet physique). Cela posera très certainement bon nombre de difficultés car, pour ces portefeuilles, il n’y a pas de collecte de données nominatives lors de la création dudit portefeuille.

Les NFT, absents de MiCA

Il est enfin utile de souligner que les NFT sont exclus des textes étudiés ci-dessus.

Le Conseil de l’UE a d’ailleurs précisé que « les jetons non fongibles (NFT) représentant des objets réels tels que des oeuvres d’art, de la musique et des vidéos, seront exclus du champ d’application du règlement MiCA sauf s’ils rentrent dans les catégories de crypto-actifs existantes. Dans un délai de 18 mois, la Commission européenne sera invitée à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, d’évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFTs et d’aborder les risques émergents de ce nouveau marché ».

Blockchain et climat

Nous pouvons également indiquer que les acteurs du marché des crypto-actifs seront tenus de déclarer des informations concernant leur empreinte environnementale et climatique.

L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) devra élaborer des projets de normes techniques réglementaires sur le contenu, les méthodes et la présentation des informations relatives aux principales incidences négatives sur l’environnement et le climat.

Dans un délai de deux ans, la Commission européenne devra fournir un rapport sur l’impact environnemental des crypto-actifs et l’introduction de normes minimales de durabilité obligatoires concernant les mécanismes de consensus, notamment la preuve de travail.

En conclusion, la mise en place de textes pour les acteurs « crypto » au niveau européen ne semble pas si facile. Les enjeux économiques, juridiques, politiques, climatiques sont au coeur des discussions.

Nous notons une volonté farouche des institutions d’appliquer à l’écosystème « crypto » des règles identiques, voire plus contraignantes que celles des acteurs bancaires [ou] financiers.

L’Autorité des Marchés Financiers se réjouit que l’Union européenne se dote d’un cadre qui permettra de créer un environnement adapté aux marchés de crypto-actifs.

Il contribuera à accroître la compétitivité des acteurs français, en créant un cadre harmonisé, et à assurer l’équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des investisseurs.

Cette manière de faire, tout en permettant bien évidemment aux « consommateurs » d’être rassurés, risque d’avoir pour effet d’empêcher le développement de projets au sein de l’Union européenne et de pousser les prestataires à s’installer dans d’autres pays, beaucoup moins regardants.

L’équilibre pour ces sociétés de l’écosystème « crypto » va être délicat à trouver entre volonté de rechercher des clients européens et possibilité de faire face à ces normes européennes plutôt rigides.


1 : MiFID, Markets in Financial Instruments Directive.

2 : CASP, Crypto Asset Service Provider.

3 : ESMA, European securities and Markets Authority.

Photo d'Antoine Larcena
Antoine Larcena

Antoine Larcena, Avocat Associé, est spécialisé depuis plus de 30 ans en droit des sociétés, private equity, ainsi qu’en droit financier et boursier. Sa clientèle est principalement constituée de sociétés […]

Céline Moille

Céline Moille est juriste et docteur en droit privé international, inscrite aux barreaux de Lyon (depuis 2014) et Montréal (depuis 2019). Elle a rejoint le cabinet Deloitte Société d’Avocats en […]