BSPCE : une décote pour les jeunes entreprises innovantes françaises ?

Le Ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, s’est exprimé en octobre dernier pour les 10 ans du label French Tech à Bercy en annonçant notamment une future prise de décision formelle de l’administration fiscale en matière de bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE).

Application d’une décote d’illiquidité sur le prix d’exercice des BSPCE

Pour rappel, les BSPCE sont des instruments financiers destinés aux startups dont le mécanisme est proche de celui des stock-options. Ils permettent à leurs bénéficiaires de souscrire des actions de la société émettrice à un prix fixé au jour de leur attribution. Côté bénéficiaire, le gain réalisé au jour de la cession des actions sous-jacentes bénéficie d’un régime fiscal et social de faveur. Côté employeur, l’intérêt réside dans la possibilité d’attirer et de fidéliser des talents par l’attribution de BSPCE, objectif particulièrement important pour les jeunes entreprises. 

Devant les 250 entrepreneurs réunis pour les 10 ans du label French Tech à Bercy, le Ministre a ainsi déclaré : « L’administration fiscale va prendre un avis formel pour autoriser les jeunes entreprises innovantes de France à appliquer lorsqu’elles émettent des BSPCE une décote d’illiquidité, ce qui leur permettra de rattraper l’écart qui s’était creusé avec d’autres pays qui ont des décotes beaucoup plus importantes ».

Dans la pratique, la valorisation des actions non cotées prend déjà souvent en compte une décote d’illiquidité. Cette notion de décote est d’ailleurs reprise de longue date par l’administration fiscale, notamment dans son guide « L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés » (dont on peut regretter que la dernière version date de 2006). On la retrouve également dans certains cas de jurisprudence.

À notre avis, la décote annoncée par le Ministre sur le prix d’exercice des BSPCE (qui correspond au prix de souscription des actions) permettrait ainsi un alignement avec ces pratiques de marché. 

Une décote, ou deux décotes ? 

Un article du quotidien Les Échos, en date du 24 octobre 2023 et partagé par le Ministre sur LinkedIn, précise qu’« à la suite de cette annonce, l’association France Digitale a donc demandé des clarifications à Bercy. Il s’agit en réalité d’une double décote : une décote d’illiquidité et une décote liée aux différentiels de droits entre les actions ordinaires (données aux fondateurs et salariés) et les actions de préférence (données aux investisseurs). Ces dernières permettent aux derniers investisseurs rentrés de récupérer au moins une fois leur mise en cas de sortie. Cette double décote pourra ainsi aller jusqu’à – 90 %. »

Dans cette situation, les attributions de BSPCE en France pourraient s’avérer particulièrement intéressantes pour les entreprises et les bénéficiaires, qui devraient alors devenir de plus en plus nombreuses dans le futur.

Il conviendra donc de déterminer avec diligence le niveau des décotes applicables au cas par cas en s’assurant que les différents exercices de valorisation réalisés par les startups dans le cadre des différentes opérations (attributions de BSPCE, exercice des BSPCE, obligations déclaratives, cession d’actions, etc.) respectent les exigences du droit fiscal.

Notons enfin que le sujet de la valorisation est d’autant plus sensible qu’un récent arrêt du Conseil d’État du 8 décembre 2023 (n°482922) valide la possibilité pour les contribuables d’utiliser les liquidités du PEA pour exercer les BSPCE. 

Un effet d’annonce ?

Pour autant, cette annonce pourrait avoir un impact très limité dans les faits. En effet, dans son discours, le Ministre indique que l’avis formel de l’Administration devrait autoriser les jeunes entreprises innovantes (JEI) de France à appliquer une décote. Seulement, la qualification de  JEI est prévue par l’article 44 sexies-0 A du CGI et exige pour l’entreprise de répondre à des conditions très strictes, bien plus strictes que les conditions d’éligibilité aux BSPCE.

Pour rappel, pour être qualifiée de JEI réalisant des projets de recherche et de développement, une entreprise devra notamment être une PME, créée depuis moins de 8 ans (11 ans dans certains cas), être détenue, en principe, à 50 % au moins par des personnes physiques (ou d’autres entités éligibles), et avoir une activité de recherche remplissant certains critères très spécifiques. 

Rappelons que le régime des BSPCE est également soumis à de nombreuses conditions, notamment l’immatriculation de la société émettrice depuis moins de 15 ans (contre 8 à 11 ans pour les JEI) et une détention de principe à 25 % au moins par des personnes physiques (contre un seuil de détention capitalistique à 50 % pour les JEI). 

On a pu assister à un accueil très enthousiaste de cette annonce par les professionnels ; cela étant, à notre avis, les possibilités de remplir cumulativement les conditions restrictives des BSPCE et les conditions encore plus restrictives des JEI nous paraissent assez minces. 

À l’heure actuelle, on ne peut que se demander si le ministre faisait bien référence au JEI au sens du droit fiscal ou, par abus de langage, globalement aux startups françaises.

Une modification du BOFiP-Impôts à venir ?

À ce jour, bien que le contenu exact du discours du Ministre ne soit pas disponible, l’association France Digitale indique dans l’article du quotidien Les Échos qu’une publication de l’avis formel dans le BOFiP semble probable, d’autant plus que l’article 163 bis G du CGI n’interdit pas expressément l’application d’une décote sur le prix d’exercice (sauf cas particuliers). Une modification de la loi ne devrait donc pas être nécessaire.

Enfin, on peut également se demander si cette possibilité de décote sera uniquement cantonnée aux startups françaises ou non ; les BSPCE pouvant être attribuées depuis la loi Pacte de 2019 également par des sociétés étrangères.  

Il s’agira maintenant de scruter les mises à jour du BOFiP pour en vérifier les changements dans cette matière, tout en s’assurant dès à présent que les différents exercices de valorisation sont réalisés conformément aux exigences du droit fiscal. Souhaitons en outre que cette question soit également à l’ordre du jour du nouveau gouvernement.

Affaire à suivre… !

Nicolas Meurant

Nicolas Meurant, Avocat Associé, a plus de 23 années d’expérience de conseil aux sociétés et aux particuliers dans un environnement international. Il a développé une solide compétence en matière de […]

Sophie Johann

Sophie est avocate en droit fiscal. Elle rejoint l’équipe Global Rewards de Deloitte Société d’Avocats Paris en 2016. Elle assiste des sociétés sur la mise en place de schémas d’actionnariats […]

Arthur Simondet

Arthur est avocat en droit fiscal. Il a rejoint l’équipe Global Rewards de Deloitte Société d’Avocats Paris en 2023. Il intervient en matière d’actionnariat salarié, fiscalité personnelle et patrimoniale et […]