La CAA de Versailles juge que la cession « Dailly » d’une créance fiscale future litigieuse (i.e. ni certaine, ni liquide) ne peut être assimilée à une opération d’emprunt. Par suite, le produit résultant de cette cession constitue une variation de l’actif net imposable à l’IS.
L’histoire
Par une convention conclue en 2005, une société a cédé à sa banque une créance fiscale future détenue sur le Trésor (cession « Dailly »), correspondant aux remboursements attendus de précomptes mobiliers acquittés au titre des années 1999 à 2003.
Le gain de cession, enregistré dans les capitaux propres de la société n’a pas été soumis à l’IS, celle-ci considérant que l’objet de la créance (i.e. précompte) n’étant pas déductible de ses résultats imposables, par symétrie, la variation de l’actif net résultant du produit de la cession de cette créance ne devait pas être taxé.
A l’issue d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2002 à 2005, l’Administration a remis en cause le traitement fiscal et comptable de la cession de créance fiscale future, estimant que le produit de cette cession correspondait « à un profit résultant de la monétisation d’un droit potentiel sur le Trésor » assimilable à une augmentation d’actif imposable à l’IS (CGI, art. 38-2).
Les redressements sont par suite contestés par le contribuable.
Devant les juridictions
En 1re instance : le jugement du TA de Montreuil
Le TA de Montreuil tranche en faveur de la société (TA Montreuil, 4 avril 2019, n°1707010).
Il juge que la cession de créances fiscales futures doit être regardée comme un moyen de financement de la société cédante, constituant pour cette dernière un emprunt, à tout le moins jusqu’à ce que les créances sur lesquelles portent la cession soient reconnues certaines et liquides. Par suite, les sommes issues d’une telle cession ne peuvent être imposées en tant que produits à la date de l’opération de cession.
Cette position semble d’ailleurs cohérente avec les recommandations préconisées par le CNC (Position du Conseil national de la comptabilité du 5 mars 2009) concernant le traitement comptable applicable aux cessions de créances futures dans le cadre de contrats de partenariats publics-privés, dans lesquelles il assimile la cession de créance future à un moyen de financement de la société cédante. De même, en référence à cette position du CNC, la doctrine comptable retient que les cessions « Dailly » constituent « des opérations de financement, et non pas de réelles opérations de cession, [de sorte qu’elles] ne donnent pas lieu à une augmentation de l’actif net » (cf. notamment Mémento comptable Lefebvre 2022, n°40850).
L’Administration retient toutefois une toute autre analyse et fait appel de ce jugement.
En appel : la décision de la CAA de Versailles
La CAA de Versailles accueille le recours de l’Administration. Elle considère que la cession d’une créance fiscale future ne peut pas être assimilée à un emprunt dès lors que la créance cédée n’est ni certaine (pas d’assurance du remboursement intégral de la créance, eu égard aux difficultés contentieuses susceptibles d’affecter le remboursement des précomptes mobiliers), ni liquide.
La Cour souligne également que la cession de la créance fiscale future litigieuse ne peut être regardée comme constituant un remboursement anticipé de la créance fiscale que détient la société sur le Trésor. A ce titre, notons d’ailleurs que le rapporteur public indique dans ses conclusions sous l’arrêt, qu’il « ne voit pas en quoi le cessionnaire acquerrait, du seul fait de la cession de la créance fiscale, la faculté de se substituer à l’administration fiscale et, en particulier, par le versement du prix de cession de la créance, le pouvoir de prononcer un dégrèvement ».
La CAA de Versailles conclut donc que le produit de cession de la créance fiscale future litigieuse traduit bien une augmentation de l’actif imposable à l’IS.
La CAA de Versailles s’éloigne de façon étonnante du raisonnement retenu par le Conseil d’État en matière d’escompte, autre technique de mobilisation d’une créance (voir décision CE, 1er juin 2001, n°157650, SA Pinault-Normandie). Dans cette affaire, le Conseil d’État a en effet jugé que les intérêts bancaires sur opération d’escompte, correspondaient à un crédit consenti par le banquier escompteur et constituaient pour le remettant une charge déductible de l’exercice au titre duquel ils ont couru. Nous suivrons avec intérêt la décision du Conseil d’État à venir dans cette affaire (pourvoi formé sous le numéro 461811) : confirmation ou remise en cause de la divergence fiscalo-comptable du traitement de la cession « Dailly » d’une créance fiscale future ?