Le Conseil d’Etat juge, de manière inédite, que lorsque l’octroi du crédit d’impôt cinéma (CGI, art. 220 sexies) a pour effet de porter à plus de 50 % du budget de production le total des aides publiques accordées au titre d’une même œuvre cinématographique, il ne peut être remis en cause que pour la fraction excédant ce plafond, et non pour sa totalité.
Rappel
L’article 220 sexies du CGI prévoit un crédit d’impôt en faveur des entreprises cinématographiques soumises à l’IS qui localisent principalement sur le territoire français le tournage et la production d’œuvres cinématographiques de longue durée agréées par le CNC.
Ce crédit d’impôt, égal à 20 % des dépenses techniques exposées pour la production des œuvres cinématographiques (taux pouvant être majoré dans certains cas), fait l’objet d’un double plafonnement :
- Son montant ne peut excéder 30 m€.
- Les crédits d’impôt obtenus pour la production d’une même œuvre cinématographique ne peuvent avoir pour effet de porter à plus de 50 % du budget de production (60 % pour les œuvres dites difficiles ou à petit budget) le montant total des aides publiques accordées.
On rappellera enfin que la conformité de ce crédit d’impôt au regard de la législation européenne en matière d’aides d’Etat a fait l’objet d’un examen par la Commission européenne, qui a considéré qu’il s’agissait d’une aide compatible avec le marché intérieur (décision C(2016) 1684 du 18 mars 2016 – approbation valant jusqu’au 31 décembre 2022).
L’histoire
Une société de production française a demandé le remboursement d’un crédit d’impôt cinéma au titre de l’exercice 2017, à raison d’un long métrage qu’elle avait produit.
L’Administration a refusé de faire droit à sa demande, à raison du dépassement du plafond d’aides publiques fixé par les dispositions de l’article 220 sexies (remise en cause du crédit d’impôt sollicité dans son intégralité).
La société de production a contesté ce refus devant les juridictions du fond, avant que l’affaire ne soit finalement portée devant le Conseil d’Etat.
La décision du Conseil d’Etat
Devant le Conseil d’Etat, les débats se cristallisaient autour de 2 points :
- La qualification des sommes versées par une association instituée par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire (aide publique ou financement privé ?)
- Les conséquences à tirer du franchissement du seuil d’intensité d’aides publiques du fait de la prise en compte du crédit d’impôt cinéma (remise en cause de la totalité ou seulement de la fraction excédentaire ?)
Sur le premier point, la société tentait d’écarter la qualification d’aide publique, en faisant valoir que l’association avait versé les sommes en qualité d’investisseur privé.
Sans se prononcer au fond, le Conseil d’Etat censure pour erreur de droit la décision de la CAA, en ce qu’elle a retenu la qualification d’aide publique au seul motif que le contrat de financement ne conférait pas à l’association la qualité de coproducteur, sans rechercher si, et dans quelle mesure, les sommes litigieuses constituaient un avantage que la requérante n’aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché (grille d’analyse dégagée par la CJUE dans sa décision du 11 juillet 1996, SFEI et autres c/La Poste, C-39/94).
Sur le second point, le Conseil d’Etat pose de manière claire le principe selon lequel le respect du seuil de 50 % (ou de 60 % le cas échéant) du coût définitif de production de l’œuvre par le montant total des aides publiques pour la production du film a le caractère d’une règle de plafonnement.
Aussi, lorsque l’octroi du crédit d’impôt cinéma conduit au franchissement du seuil ainsi prévu, il ne saurait être remis en cause que pour la fraction excédant ce plafond, et non en totalité (en cohérence avec CE, 4 juillet 2018, n°404083, Sté Numalliance, sur les conséquences du dépassement du plafond de minimis).