Délai de réclamation pour les impôts : incidences d’une procédure de liquidation

Le Conseil d’État précise les modalités d’appréciation du « délai raisonnable » dont dispose une société pour former une réclamation, dans l’hypothèse particulière où elle fait l’objet d’une procédure de liquidation. Nous remercions Sandrine Rudeaux pour son éclairage précieux.

L’histoire

Une société a été placée en redressement judiciaire en octobre 2000. Quelques mois plus tard, en janvier 2001, le Tribunal de commerce a rejeté le plan de continuation et a arrêté un plan de redressement organisant la cession de l’entreprise à une société étrangère. Il a désigné, à cette occasion, un commissaire à l’exécution du plan de redressement.

En 2002, l’administration fiscale a mis en recouvrement des impositions en matière d’IS, de retenue à la source et de TVA portant sur les années 1997/2000. Le dirigeant de la société a alors mandaté le commissaire à l’exécution du plan de redressement, en vue d’introduire des réclamations tendant à la décharge de ces impositions. A l’issue d’un long contentieux, il en a obtenu la décharge partielle devant le Conseil d’État en 2012.

En 2016, le liquidateur amiable de la société (nommé par ordonnance du Tribunal de commerce en 2008) a présenté une nouvelle réclamation tendant à la décharge des mêmes impositions.

Cette réclamation a été regardée comme tardive, tant par l’Administration que par les juges du fond.

Pour mémoire, le délai général de réclamation expire, en principe, pour les impôts autres que les impôts directs locaux, le 31 décembre de la 2e année qui suit celle de la mise en recouvrement du rôle, ou de la notification d’un avis de mise en recouvrement (LPF, art. R. 196-1).

Cela étant, si l’avis d’imposition ou l’avis de mise en recouvrement ne fait pas mention du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais et voies de recours, ou si la preuve n’est pas apportée qu’une telle information a été fournie au contribuable, alors le délai de réclamation est prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, d’un délai égal à un an (« délai raisonnable »). Dans ce cas, le délai de réclamation court à compter de l’année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l’imposition (CE 31 mars 2017, n°389842).

Au cas d’espèce, le liquidateur estimait que le délai de réclamation n’avait, en réalité, jamais commencé à courir.

Pour lui, les réclamations introduites par le commissaire à l’exécution du plan de redressement n’auraient pu être valablement formées que par le liquidateur lui-même et, en l’absence d’un représentant régulièrement désigné, la société ne pouvait pas être considérée comme ayant eu connaissance des impositions litigieuses.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État rappelle d’abord que les règles posées par le Code de commerce organisant le dessaisissement du débiteur placé en liquidation au profit d’un liquidateur ne sont édictées que dans l’intérêt des créanciers. Dès lors, seul le liquidateur peut s’en prévaloir pour exciper de l’irrecevabilité du dirigeant de la société dont la liquidation judiciaire a été prononcée à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours (règle posée pour la première fois par CE, 9 juillet 2010, n°292468, SNC d’Arbois).

Dans le cas où une réclamation est présentée ou un litige engagé devant la juridiction administrative par une société ultérieurement dissoute, l’instruction de la réclamation ou la procédure contentieuse se poursuit dans les mêmes conditions que si la société n’avait pas été dissoute si le liquidateur n’est pas intervenu pour contester la poursuite de l’action par les dirigeants de la société et demander à leur être substitué (la solution avait déjà été posée, pour les contentieux devant les juridictions, par CE, 28 novembre 2012, n°338811, Sté Pop’Arama ; avec la présente décision Balsan, le Conseil d’État étend la solution aux réclamations).

Ainsi, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce, les réclamations présentées par le commissaire à l’exécution du plan de redressement avaient été valablement introduites, dès lors que celui-ci avait été dûment mandaté par le dirigeant de la société.

On notera que les circonstances de cette affaire étaient un peu particulières, car le liquidateur n’avait été nommé qu’en 2008 – et n’était donc pas en mesure de s’opposer aux réclamations litigieuses lorsqu’elles ont été introduites en 2002. La Cour administrative d’appel avait jugé que le délai raisonnable avait couru à partir de 2008 pour le liquidateur, date à laquelle il était réputé avoir eu connaissance des impositions, et qu’il était forclos lorsqu’il a réclamé en 2016 (8 ans plus tard). Le Conseil d’État censure ce raisonnement, qui semblait pourtant empreint de beaucoup de pragmatisme.

Dans ses conclusions, Céline Guibé – que nous remercions de les avoir rendues accessibles sur Arianeweb si rapidement – a rappelé que cette singularité tient au fait qu’à l’époque (c’est-à-dire avant la réforme du droit des procédures collectives de 2005), le Tribunal de commerce pouvait, dans le cadre d’une procédure de redressement, ordonner la cession totale des actifs d’une société, excluant toute continuation, même partielle, de son activité. Aujourd’hui, cette faculté n’est désormais plus ouverte qu’en phase de liquidation, et la désignation du liquidateur est concomitante.

La solution ici dégagée nous semble applicable à l’ensemble des procédures de liquidation judiciaire actuelles.

Enfin, le Conseil d’État apporte une précision qui retiendra l’attention des praticiens du contentieux fiscal. Il rappelle que, certes, le juge administratif doit relever d’office l’irrecevabilité d’une réclamation (concrètement, cela signifie que même si l’administration fiscale ne soulève pas le point, le juge invitera les parties à en débattre). En revanche, il précise que ce même juge ne va pas rechercher de lui-même l’existence de circonstances particulières qui justifieraient, dans le cas précis qui lui est soumis, de déroger à la règle des 1 an supplémentaires accordés en matière de contentieux fiscal d’assiette. A bon entendeur : si on dépose une réclamation ou une instance devant un tribunal alors qu’on sait que l’on dépasse ce délai raisonnable, il faut avoir de bonnes raisons, et les expliciter.    

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Sandrine Rudeaux

Sandrine offre à ses clients une expertise incontournable en matière de contentieux fiscal dans un environnement fiscal national et international en profonde mutation. Ancienne magistrate à la Cour administrative d’appel […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.