Dividendes reçus de filiales « intégrables » résidentes d’Etats tiers (Suisse en l‘espèce) – Conformité de la législation française à la CEDH et au droit de l’UE

Par un arrêt du 7 mai 2025, le Conseil d’État refuse, de manière claire, l’extension de la jurisprudence « Stéria » aux dividendes provenant de sociétés établies en dehors de l’UE (il s’agissait ici de dividendes provenant d’une filiale suisse).

Eléments de contexte

Les produits de participation qui ouvrent droit au régime dit « mère-fille » sont exclus du résultat imposable de la société bénéficiaire desdits produits, à l’exception d’une QPFC de 5 % du montant total des produits des participations (CGI, art. 216 et 145).

Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2016, cette QPFC de 5 % était totalement neutralisée au titre des dividendes versés entre sociétés membres du même groupe intégré.

Tirant les conséquences de la décision Stéria de la CJUE (2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria SCA, contrariété au droit de l’UE de l’impossibilité pour les filiales non UE de bénéficier du mécanisme de neutralisation), le législateur français a instauré, à compter du 1er janvier 2016, une QPFC au taux réduit de 1 % applicable aux dividendes versés tant par des filiales françaises intégrées que par des filiales européennes qui, si elles étaient établies en France, rempliraient les conditions pour être membres de ce groupe (LFR 2015).

Le législateur a ensuite, au fil des lois de finances, étendu les hypothèses d’application de cette QPFC au taux réduit de 1 % (LF 2019; LF 2024).

En revanche, il s’est toujours refusé à l’étendre aux dividendes distribués par des filiales situées dans un Etat tiers à l’UE, conforté en cela par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, n°2018-699 QPC, Life Sciences Holdings).

L’histoire

Une société française, membre d’une intégration fiscale, a perçu des dividendes d’une filiale suisse au titre des exercices 2011 à 2015, au titre desquels elle a demandé à bénéficier d’une neutralisation de la QPFC sur le fondement de la jurisprudence Stéria.

L’Administration a refusé de faire droit à sa demande.

La décision du Conseil d’État

Sur la non-contrariété au droit au respect des biens (CEDH, art. 14 et 1er protocole additionnel CEDH, art. 1) de l’absence de neutralisation de la QPFC au titre des dividendes reçus de sociétés non-UE

Le Conseil d’État écarte l’argument tenant à une contrariété au droit au respect des biens garanti par la CEDH de la législation française.

S’il existe certes une différence de traitement entre les dividendes reçus d’une filiale « intégrable » établie dans un Etat membre de l’UE, et ceux reçus d’une filiale « intégrable » établie dans un Etat tiers, cette différence est justifiée par le respect des exigences découlant du droit de l’Union européenne, lequel constitue un objectif d’intérêt public légitime.

Le même raisonnement a d’ores et déjà été retenu par plusieurs juridictions du fond (s’agissant, comme ici, du régime antérieur à la LFR 2015, voir CAA Versailles, 14 avril 2022, n°19VE03912, Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et 14 avril 2022, n°19VE03926, Société Générale,– pour le régime post LFR 2015, prévoyant une QPFC à 1 % pour les filiales européennes « intégrables », voir tout récemment CAA Paris, 11 février 2025, n°23PA01777, Sté Thaï Union Europe).

Sur la non-invocabilité de la liberté de circulation des capitaux (TFUE, art. 63)

Pour mémoire, la liberté de circulation des capitaux n’est applicable aux relations entre pays européens et pays tiers que dans certaines limites rappelées par la jurisprudence de la CJUE (notamment, 13 novembre 2012, aff. C-35/11, Test Claimants in the FII Group Litigation).

En substance, pour que la liberté de circulation des capitaux soit applicable, il faut que la législation nationale contestée ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat tiers.

Or, pour bénéficier de la neutralisation de QPFC, il faut que les dividendes proviennent d’une filiale « intégrable », c’est-à-dire détenue à plus de 95 %. 

Le Conseil d’État juge, par conséquent, qu’eu égard au seuil de détention exigé, la législation française contestée n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules participations permettant l’exercice d’une « influence certaine », de sorte qu’elle relève de la liberté d’établissement (exclusivement invocable par les sociétés établies dans un Etat membre de l’UE) et non de la liberté de circulation des capitaux.

On notera que si le Conseil d’État se prononce ici au regard de la seule législation pré-LFR 2015, la solution devrait également valoir sous l’empire de la législation nouvelle (QPFC de 1 % réservée aux seuls dividendes provenant de filiales « intégrables » européennes).

Le Conseil d’État écarte également une potentielle incidence de l’accord entre la Confédération suisse et la CEE concernant l’assurance directe (activité des sociétés concernées).

Rappelons enfin que, si le Conseil d’État a tout récemment admis l’extension de la jurisprudence Stéria aux dividendes perçus par une société intégrée française de filiales « intégrables » situées dans un Etat tiers, c’était sur le fondement d’une clause bien spécifique de la convention franco-chilienne (CE, 18 février 2025, n°490792).

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.