Le 27 novembre 2017, le Ministre de l’Action et des Comptes publics a présenté un texte qui ambitionne rien d’autre qu’un changement de culture et … de texte !
Ce projet s’inscrit dans le Programme pour l’action publique 2022, qui doit se dérouler tout au long du quinquennat, et poursuit trois objectifs. Améliorer la qualité des services, notamment en développant une relation de confiance entre l’Administration et les citoyens (que l’on catégorise comme des usagers), améliorer les conditions de travail des agents publics (derrière la terminologie fleurant bon les années 50 on trouve des femmes et des hommes), baisser de 3 points de PIB la dépense publique.
Répondant au premier objectif, est donc dévoilé le projet de loi « Pour un Etat au service d’une société de confiance ».
Sans volonté de raillerie, on peut s’étonner que la société de confiance soit réduite à la relation Administration et usagers de celle-ci … à moins que, selon une vision jacobine simplement maquillée sous un discours 3.0, la société ne soit conçue que dans les seules limites de ce que l’Etat en décide. Décidemment, nul n’échappe aux changements pour que rien ne change !
Ce premier texte repose sur deux piliers, le premier est un « droit à l’erreur », tandis que le second est un nième programme de simplification.
Un nouveau droit est né, le droit à l’erreur (pilier 1 du projet de loi Pour un Etat au service d’une société de confiance).
Dans un bel élan d’adhésion à la sagesse populaire, selon laquelle « faute avouée, à demi pardonné », l’Etat souhaite instaurer un « droit à l’erreur pour chacun, et un changement de registre dans la relation entre les Français et leurs administrations ».
On voudrait y croire, vraiment … et rêver qu’un projet de loi transformera la culture de l’usager (terminologie dont la proximité avec usagé aura toujours laissé perplexe) en une culture du service.
Non pas que l’Administration n’en soit pas capable, loin de là, mais simplement parce qu’il y a une culture et une tradition bien française, loin de la société de confiance pourtant louée par Alain Peyrefitte, ancrée dans un jacobinisme construit sur les décombres de l’Ancien régime : la défiance à l’égard du citoyen !
Les expériences passées, par exemple celle de la contractualisation du dialogue en matière de prix de transfert entre l’entreprise et l’administration fiscale aura vite fait long feux ; les deux continuèrent à se contempler avec défiance !
Quoi qu’il en soit, conservant cette fois la tradition française de l’emphase lyrique (et creuse), la parole ministérielle nous assure que « à l’unisson, les usagers (sic) et les agents publics (re-sic) appellent de leurs vœux cette société de confiance qui libérera pleinement leur puissance d’initiative et leur capacité d’entraide ». Dont acte.
Pour ce faire, l’exécutif demande au parlement d’adopter un principe de bonne foi présumée dans la relation du citoyen avec l’Administration. Celle-ci devra donc rapporter la preuve de la mauvaise foi.
Cette présomption a vocation à régir tous les champs de l’action publique, mais on ne sera pas surpris de constater que le projet comporte surtout des dispositions relatives à l’administration fiscale !
L’on découvre ainsi que jusqu’à présent l’Administration présume donc la mauvaise foi du citoyen ! Ce qui est pour le moins contradictoire avec les règles de procédure et les droits de la défense … Ce qui est également ignorer la Charte du contribuable, adoptée en 2011, qui prévoyait expressément une « présomption de bonne foi » !
Quoi qu’il en soit, dès lors qu’un administré, toutes catégories confondues, et en toutes matières, donc de manière générale en droit des affaires, a commis une erreur de bonne foi, il aura le droit de rectifier son erreur.
C’est, précise le communiqué du ministère, une « réaction tolérante ». Le choix du mot est malheureux, ou, pire, révélateur : si le citoyen dispose d’un droit de rectification, alors ce n’est qu’une tolérance de l’administration !
A moins que ce droit à l’erreur soit surtout un effet d’annonce …
Et c’est une éventualité lorsque l’on découvre que le projet de loi exclu le « droit à l’erreur » en cas de fraude et de récidive, en cas de retard ou d’omissions de déclaration dans les délais prescrits, chaque fois que l’erreur porte atteinte à la santé publique, la sécurité des personnes ou des biens, ainsi que toute erreur qui conduira la France à contrevenir à ses engagements européens et internationaux.
Bref, il ne reste pas grand-chose pour que le droit à l’erreur constitue un socle solide pour bâtir cette confiance appelée de ses vœux par l’exécutif.
Il y a peut-être une erreur de conception !
Simplifiez, simplifiez, il en restera toujours de la complexité ! (pilier 2 du projet de loi Pour un Etat au service d’une société de confiance).
Le constat semble simple : les causes du manque de confiance sont la conséquence de la complexité, du manque de lisibilité et de la surabondance de la norme. Le Forum Economique Mondial, dans son Global Competitiveness Report ne place-t-il pas la France en 115e sur 140 en matière de poids de la bureaucratie ! Mais la France est néanmoins 22e sur 140 au classement général. Il y a là matière à réflexion : la corrélation n’est sans doute pas linéaire, ni même établie !
Quoi qu’il en soit, le projet de loi présenté le 27 novembre 2017 veut créer les conditions d’un Etat au service d’une société de confiance : il faut donc simplifier.
Le Gouvernement propose des expérimentations particulièrement innovantes, tels que la création de référents uniques pour certaines catégories de citoyen, autrement dit un guichet unique. Ou encore, autre expérimentation, l’adaptation des horaires d’ouverture pour mieux coller à la vie contemporaine.
Il s’agit également de mettre fin aux « sur-transpositions ». Est ici inventer un nouveau concept, visant, si l’on comprend bien, les hypothèses où le législateur (loi) ou le gouvernement (décret), a transposé une directive européenne en étendant le champ d’application ou de manière trop peu flexible … Difficile de comprendre en quoi cela est lié au droit européen car si la transposition a été ainsi faite, c’est que la volonté politique existait alors en ce sens … sauf à supposer que nombre de transpositions soient faites sans réflexions ?
Les possibilités offertes par le numérique seront mieux exploitées, avec un objectif de 100% des procédures dématérialisées à l’horizon 2022 et l’interfaçage des applications entre administrations afin d’éviter de fournir de multiples fois la même information (ce qui ne sera pas sans soulever quelques menues interrogations sur la protection de la vie privée).
Le projet affiche une volonté d’allégement des démarches « du quotidien », tel que la suppression de l’obligation de fournir un justificatif de domicile pour obtenir un passeport ou un permis de conduire, etc.). Cela se passe de commentaires, tant nombre de ces obligations apparaissent aujourd’hui dépourvues de la moindre intelligence.
Enfin, parmi de nombreuses autres petites touches pointillistes, il est prévu d’imposer une règle de 1 norme créée, pour 2 normes supprimées et de rendre opposable aux administrations les circulaires qui seront publiées par chaque ministère. Deux belles idées sans aucun doute … dont on perçoit que la mise en œuvre fera ressortir de ses détails une colonie de diables !
La simplification est une belle et noble idée, qui, jusqu’à présent, a essentiellement alimenté de nouvelles interrogations …
De manière très positive l’actuelle œuvre de simplification s’attaque à de petites choses très pratiques, ce qui plairait à Amartya Senn, l’économiste nobélisé, qui défend le progrès par petits pas plutôt que l’ambition dont l’ampleur neutralise les effets.
Mais, revers de cela, on se prend à se demander s’il faut sérieusement une loi, c’est-à-dire un texte voté par les parlementaires, représentants de la Nation, pour mieux gérer l’activité des administrations et rendre plus efficace la bureaucratie, au sens progressiste que lui reconnaissait Max Weber, par ailleurs nécessaire !