Exercice de rattachement de l’indemnité d’expropriation

En dépit de son caractère provisionnel, le Conseil d’État juge que l’indemnité d’expropriation, accordée dans le cadre de la procédure d’urgence, constitue une créance acquise pour un montant déterminé à la date du jugement en ordonnant le paiement. Elle doit donc être rattachée à l’exercice au cours duquel le juge de l’expropriation se prononce (et non au titre de l’exercice au cours duquel l’accord amiable ultérieur fixant le montant définitif de cette indemnité est intervenu).

Rappel

L’expropriation est une opération administrative par laquelle le propriétaire d’un immeuble ou d’un fonds de commerce est obligé d’abandonner à la puissance publique la propriété de son bien moyennant indemnités, lorsque l’utilité publique l’exige.

Les indemnités versées comprennent généralement une indemnité principale compensant la valeur de l’élément exproprié ainsi des indemnités accessoires destinées à compenser des frais supportés par le propriétaire exproprié.

L’administration fiscale a précisé le régime fiscal de ces indemnités selon qu’elles sont versées en contrepartie de la perte d’un élément de l’actif immobilisé ou en compensation d’une charge ou un manque à gagner (BOI-BIC-PDSTK-10-30-20 n°60 et n°70, 1er avril 2015) :

Ainsi, l’indemnité d’expropriation est imposable :

  • selon le régime des plus-values professionnelles (avec possibilité d’étalement) lorsque le bien exproprié est inscrit à l’actif immobilisé d’une entreprise ;
  • selon le régime de droit commun des produits qui concourent à la réalisation du résultat dans les autres cas.

La créance d’indemnité obtenue dans le cadre d’une procédure normale d’expropriation, est acquise par l’entreprise à la date du jugement du TGI qui en fixe le montant. Elle est donc rattachable fiscalement à l’exercice au cours duquel intervient de jugement (CE, 10 novembre 1980, n°18139) peu importe sa date de notification. Le recours contre ce jugement est sans impact sur l’exercice de rattachement, mais peut donner lieu, le cas échéant, à la constitution d’une provision déductible fiscalement (CE, 6 novembre 1974, n°93547).

Le juge ne s’était, semble-t-il, pas encore prononcé sur le cas des indemnité versées dans le cadre de la procédure d’urgence qui permet au juge de fixer le montant d’une indemnité provisionnelle s’il ne s’estime pas suffisamment éclairé (code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, art. L232-1).

L’histoire

En 2012, des sociétés propriétaires de fonds de commerce et de biens immobiliers font l’objet d’une procédure d’expropriation. Par un jugement d’octobre 2012, dans le cadre de la procédure d’urgence, le juge de l’expropriation fixe le montant des indemnités provisionnelles accordées aux sociétés et autorise l’expropriant à prendre immédiatement possession des biens expropriés.

En avril 2013, dans le cadre d’accords amiables signés entre les parties, le montant définitif des indemnités est déterminé.

Les sociétés ayant perçu les indemnités les ont déduites extra-comptablement de leur résultat imposable au titre de l’exercice de signature des accords amiables (exercice clos le 31 décembre 2013 ou le 31 mars 2014 selon les sociétés concernées).

À l’issue de vérifications comptabilité portant sur les exercices 2013 à 2015, l’Administration a considéré que ces indemnités étaient imposables et ce au titre de l’exercice de signature des accords amiables (exercice clos le 31 décembre 2013 ou le 31 mars 2014 selon les sociétés concernées).

Elle a ainsi mis à la charge de ces dernières des impositions supplémentaires assorties de pénalités pour manquement délibéré au taux de 40 %.

Les sociétés ont contesté le principe de l’imposition des indemnités et l’exercice de leur rattachement. Selon les sociétés l’indemnité provisionnelle devrait être rattachée à l’exercice au cours duquel a été rendu le jugement du TGI (2012) et le reliquat au titre de l’exercice au cours duquel avait été signé l’accord amiable (2013).

Les juges du fond ont rejeté les arguments des sociétés. Selon eux, les indemnités imposables ne pouvaient pas être rattachées à l’exercice 2012 dans la mesure où :

  • elles avaient un caractère provisoire et non définitif ;
  • certes elles étaient certaines dans leur principe (en raison du jugement du juge de l’expropriation) mais pas déterminées dans leur montant.

Ils ont considéré que les indemnités devaient être rattachées à l’exercice 2013, exercice au cours duquel elles étaient déterminées dans leur montant à l’issue de l’accord amiable conclu entre les parties.

Décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État censure les juges du fond.

En considération de la portée du jugement fixant le montant de l’indemnité provisionnelle dans le cadre d’une procédure d’urgence – susceptible d’un recours en cassation uniquement (Code d’expropriation, art. L. 232-2), il juge que l’indemnité, alors même qu’elle a un caractère provisionnel, constitue une créance acquise pour un montant déterminé à la date du jugement en ordonnant le paiement.

En synthèse, peu importe donc la procédure d’expropriation (normale ou d’urgence), l’indemnité est à rattacher à l’exercice au cours duquel les juges du TGI se prononcent pour en fixer le montant définitif ou provisionnel.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]