Imposition des particuliers à raison de leurs participations dans une entité bénéficiant d’un régime fiscal privilégié

Le Conseil constitutionnel élargit la clause de sauvegarde qui permet aux contribuables d’apporter la preuve, qu’en l’absence de montage artificiel, la localisation de l’entité dans un Etat à fiscalité privilégiée n’a pas pour objet ou effet de contourner la législation française et offre la possibilité au contribuable d’être imposé sur le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité.

Par exception au principe de territorialité, on sait que les bénéfices ou revenus positifs réalisés par une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié qui détient principalement des actifs financiers sont imposés en tant que revenus de capitaux mobiliers en France lorsque certaines conditions sont réunies (CGI, art. 123 bis).

On rappellera notamment que si l’entité est établie dans un Etat ou un territoire qui n’est pas lié à la France par une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative, le revenu imposable en France est établi de façon forfaitaire. En pratique, il ne peut être inférieur au produit de la fraction de l’actif (ou de la valeur nette des biens) par le taux d’intérêt servi aux comptes courants d’associés, admis sur le plan fiscal (CGI, art. 39, 1, 3°).

Par ailleurs, l’imposition n’est pas applicable, lorsque l’entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de l’Union européenne, si l’exploitation de l’entreprise ou la détention des titres ou droits de cette entité par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont l’objet serait de contourner la législation fiscale française.

LE CONTRIBUABLE DOIT ÊTRE IMPOSÉ SUR LE REVENU RÉELLEMENT PERÇU PAR L’INTERMÉDIAIRE DE L’ENTITÉ. 

A la QPC qui lui avait été transmise par le Conseil d’Etat (CE, 15 décembre 2016, n° 404270, M. L.) et qui l’interrogeait sur la conformité de ces dispositions aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel vient de répondre que :

  • la clause de sauvegarde qui permet aux contribuables d’apporter la preuve, qu’en l’absence de montage artificiel, la localisation de l’entité dans un Etat à fiscalité privilégiée n’a pas pour objet ou effet de contourner la législation française, doit être étendue à toutes les situations, et non réservée aux seules entités établies dans l’UE (déclaration d’inconstitutionnalité),
  • le contribuable doit être imposé sur le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité, lorsqu’il est en mesure de prouver que ce montant est inférieur au revenu défini forfaitairement (réserve d’interprétation).

Clause de sauvegarde

L’exemption de l’application de l’article 123 bis du CGI, en cas d’absence de montage artificiel, n’est susceptible de bénéficier qu’aux entités localisées dans un Etat membre de l’UE, alors qu’aucune disposition législative ne permet une telle exemption en apportant la preuve que la localisation de l’entité dans un Etat ou territoire non membre de l’UE n’a pas pour objet ou pour effet de contourner la législation française. Le Conseil constitutionnel considère que, par cette différence de traitement, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, et que cette restriction doit être déclarée inconstitutionnelle.

S’agissant du lieu de constitution d’un trust, ni le texte ni les commentaires au BOFiP n’envisagent ou ne précisent ce point. Pour autant, la doctrine administrative relative à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles, prescrit de considérer que les trusts et fonds d’investissement sont réputés être établis dans l’Etat ou le territoire de la loi à laquelle ils sont soumis (BOI-PAT-TPC-20-20 n°50). Dès lors que cette prescription est très générale, il nous semble possible de transposer ce raisonnement pour l’application de l’article 123 bis du CGI.

A cet égard, selon l’article 6 de la Convention de la Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (conclue le 1er juillet 1985 mais non ratifiée par la France), le trust est régi par la loi choisie par le constituant. Un principe d’autonomie s’applique ainsi en la matière et ce n’est que dans un second temps, en l’absence de loi choisie par le constituant, que l’article 7 dispose qu’il faut alors se tourner vers la loi qui présente les liens les plus étroits avec le trust. À ce titre, la convention estime qu’il convient de prendre en compte notamment la résidence ou le lieu d’établissement du trustee.

En définitive, il nous paraît possible de soutenir, qu’en principe, le trust est établi dans l’Etat ou le territoire de la loi à laquelle le constituant l’a soumis. Ce n’est qu’à défaut de choix de loi par le constituant que le trust sera potentiellement régi par la loi du lieu de résidence du trustee, entraînant sa localisation dans cet Etat.

Valeur plancher théorique du revenu imposable

En prévoyant une valeur plancher au revenu imposable calculée de façon théorique, le législateur a voulu pallier la difficulté pour l’administration fiscale française « de disposer des éléments nécessaires à la détermination du résultat imposable » de l’entité juridique située dans un ETNC ou un Etat n’ayant pas conclu avec la France de clause d’assistance administrative « et au calcul des revenus réputés acquis par la personne physique ». Le Conseil constitutionnel rappelle que « compte tenu de la déclaration d’inconstitutionnalité [qui précède], le contribuable pourra, quel que soit l’État ou le territoire dans lequel l’entité est localisée, être exempté de l’application de l’article 123 bis en l’absence de montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française ». A défaut de bénéficier de cette exemption, le Conseil constitutionnel précise (par une réserve d’interprétation) que le contribuable sera alors admis à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement.

Portée de la décision

La déclaration d’inconstitutionnalité qui aboutit à généraliser l’usage de la clause de sauvegarde est applicable aux instances en cours. Quant à la réserve d’interprétation, qui porte sur le calcul du revenu, celle-ci s’incorpore au texte ab initio, de sorte qu’elle s’impose aux juridictions dans les contentieux en cours.

S’agissant des dossiers de régularisation des avoirs non déclarés détenus à l’étranger, l’extension de la clause de sauvegarde étant limitée, pour le passé, aux instances en cours, elle ne devrait pas avoir d’effet.

En revanche, sur le mode de calcul du revenu imposable, la réserve d’interprétation, dès lors qu’elle s’incorpore au texte, devrait pouvoir être appliquée plus largement. Cela étant, comme la procédure de régularisation résulte d’une démarche gracieuse et de mesures de bienveillance de l’Administration quant à l’application des pénalités encourues, il ne sera pertinent de la revendiquer que dans les situations où, eu égard à l’ensemble des actifs à régulariser, l’application du droit commun serait ainsi plus favorable que les modalités de régularisations prévues par l’Administration.