La CJUE vient de juger incompatible au regard de la liberté de circulation des capitaux, l’imposition que subit, par rapport à une société déficitaire française, une société déficitaire étrangère qui acquitte une RAS au taux conventionnel sur les dividendes qu’elle reçoit de sociétés françaises, lorsqu’est en cause une participation minoritaire.
La CJUE juge qu’est contraire à la liberté de circulation des capitaux, le dispositif de retenue à la source français, en vertu duquel les dividendes distribués par une société française font l’objet d’une retenue à la source lorsqu’ils sont perçus par une société non-résidente alors que, lorsqu’ils sont perçus par une société française, leur imposition selon le régime de droit commun de l’impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l’exercice au cours duquel ils ont été perçus qu’à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes.
Pour la Cour, le mécanisme français de retenue à la source ne se limite pas à prévoir des modalités de perception de l’impôt différentes en fonction du lieu de résidence du bénéficiaire des dividendes d’origine nationale, mais est susceptible d’entraîner un report de l’imposition du revenu des dividendes sur un exercice ultérieur en cas de résultat déficitaire de la société résidente, voire une exonération en cas de cessation de ses activités en l’absence d’un retour à un résultat bénéficiaire.
Il en résulte un avantage fiscal substantiel en faveur des sociétés résidentes en situation déficitaire, qui n’est pas accordé aux sociétés non-résidentes déficitaires. Cet avantage n’est pas justifié par la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Pour la Cour, la reconnaissance du bénéfice de ce report aux sociétés non-résidentes, tout en éliminant nécessairement cette restriction, ne remettrait pas en cause la réalisation de l’objectif lié au recouvrement efficace de l’impôt dû par ces sociétés lorsqu’elles perçoivent des dividendes d’une société résidente.
Cet arrêt fait suite à une question préjudicielle que le Conseil d’Etat avait finalement décidé d’adresser, en septembre 2017, à la CJUE, estimant qu’il faisait face à des difficultés sérieuses d’interprétation (CE, 20 septembre 2017, n° 398662, Sociétés Sofina, Rebelco et Sidro).
Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat avait jugé, de façon constante, que dès lors que les dividendes perçus par une société déficitaire, non soumise au régime des sociétés mères, établie en France, ne sont pas exonérés mais viennent seulement en diminution du déficit reportable, ils seront nécessairement imposés à l’IS au taux de droit commun lorsque cette société redeviendra bénéficiaire. Par suite, la différence de traitement existant entre une société résidente et une société non-résidente entrainerait un désavantage de trésorerie. Ce dernier procède d’une différence de technique d’imposition entre la RAS dont relèvent les sociétés non-résidentes et l’imposition à l’IS au titre de l’année où elles redeviennent bénéficiaires, pour les résidentes. Ce décalage dans le temps de l’imposition des dividendes n’avait ainsi pas été considéré par le Conseil d’Etat comme une restriction à la liberté de circulation des capitaux (dans le même sens notamment, arrêts du 9 mai 2012, n° 342221 et 342222, GBL Energy du 25 novembre 2015, n° 373129, Sté Kermadec du 15 juin 2016, n° 381196, Société Frère Bourgeois et du 21 novembre 2016, n° 390506 et 390497, Groupe Bruxelles Lambert).
A la suite de l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’Etat devrait revenir sur sa jurisprudence antérieure.
Avis du praticien : Sandrine Rudeaux
Cet arrêt constitue une réelle opportunité contentieuse pour les sociétés non-résidentes déficitaires qui ont perçu des dividendes de sociétés françaises ayant fait l’objet d’une retenue à la source.
Les sociétés non-résidentes déficitaires concernées peuvent être établies dans l’Union européenne ou dans un pays tiers. Lorsqu’elles sont établies dans l’Union européenne, leur taux de participation dans la filiale française doit être inférieur à 5 % si les conditions du régime mère-fille sont remplies, ou inférieur à 10 % dans le cas contraire.
Lorsqu’elles sont établies dans un pays tiers à l’Union européenne, le caractère minoritaire de la participation dans la société française doit être apprécié au cas par cas.
Des réclamations peuvent être présentées tant par la filiale française (au plus tard le 31/12/2018 pour les retenues à la source payées en 2016) que par la société non-résidente qui a perçu les dividendes (au plus tard le 31/12/2018 pour les dividendes reçus en 2016).