Le Conseil d’État confirme que si, en principe, l’inscription de titres revêtant, sur le plan comptable, le caractère de titres de participation ne matérialise pas une décision de gestion au plan fiscal, mais une erreur susceptible d’être corrigée, c’est à la condition que cette erreur ne présente pas un caractère délibéré.
Rappel
Certains titres expressément visés par la loi fiscale constituent des titres de participation, ainsi que les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable, c’est-à-dire ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle.
Cette définition, initialement retenue par le PCG de 1982, a été reprise et précisée par le juge de l’impôt (notamment CE, 20 octobre 2010, n°314247, Sté Alphaprim et n°314248, Sté Hyper Primeurs, CE, 20 mai 2016, n°392527, Selarl L).
Plus récemment, le Conseil d’État est venu préciser que l’utilité des titres peut aussi être caractérisée « lorsque les conditions d’acquisition des titres révèlent l’intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu’une telle détention lui confère ou les avantages qu’elle lui procure pour l’exercice de cette activité » (CE, 22 juillet 2022, n°449444, Areva).
Par ailleurs, il a posé le principe selon lequel les titres qui revêtent, sur le plan comptable, le caractère de titres de participation, sont nécessairement soumis au régime des plus-values et moins-values à long terme, que ces titres ouvrent droit ou non au régime mère-fille. Leur inscription à un compte de « titres de participation » est commandée par le respect de la réglementation comptable et ne matérialise nullement une décision de gestion au plan fiscal. En cas d’erreur de qualification, celle-ci peut être corrigée, sous réserve de ne pas être délibérée (CE, 29 mai 2017, n°405083, Sté Vivendi).
L’histoire
En 2004, une société française a acquis, dans le cadre de la mise en place d’une joint-venture avec une société américaine, 20 % des titres d’une société américaine, d’abord indirectement via des sociétés holding intermédiaires, puis directement à compter de 2006. Elle a alors inscrit ces titres dans la catégorie « titres de participation », maintenant la qualification qui leur avait été donnée en 2004.
En 2008, estimant avoir commis une erreur comptable, la société a procédé à un reclassement de ces titres en « titres de placement ».
En 2010 et 2011, elle a cédé l’intégralité de ces titres, constatant une moins-value à court terme, qu’elle a déduite de ses résultats imposables.
L’Administration a remis en cause cette déduction, estimant que les titres cédés avaient, en réalité, la nature de titres de participation, de sorte que la moins-value réalisée relevait du régime du long terme et n’était donc pas déductible.
L’affaire a été portée devant les juridictions.
La CAA de Paris a retenu la qualification de titres de placement (pour une analyse détaillée des éléments de fait ayant emporté sa conviction, voir CAA Paris, 13 décembre 2023, n°22PA00602, SA Vivendi), mais admis la substitution de motifs, demandée, à titre subsidiaire, par l’Administration et tenant au caractère délibéré de l’erreur commise par la société requérante lors de l’inscription initiale des titres litigieux en « titres de participation ».
La décision du Conseil d’État
Devant le Conseil d’État, les débats ne portaient plus sur la qualification adéquate des titres litigieux, mais sur le seul caractère délibéré de l’« erreur » comptable commise par la société requérante.
À titre liminaire, le Conseil d’État juge que la substitution de motifs, admise par les juges d’appel, n’a privé la société requérante d’aucune garantie procédurale – et notamment pas de la faculté de saisir la CNI, laquelle n’est, de toutes façons, pas compétente pour connaître de la qualification juridique d’erreur comptable délibérée.
Il confirme ensuite le caractère délibéré de l’erreur commise par la requérante – après avoir rappelé que c’est sur l’Administration que repose la charge de la preuve en pareille hypothèse.
Le Conseil d’État se fonde notamment sur les éléments suivants :
- A la date d’acquisition des titres litigieux, la société requérante elle-même avait indiqué que cette acquisition avait été réalisée dans une perspective de désendettement et de rentabilité financière (militant donc en faveur d’une comptabilisation dans la catégorie des titres de placement) ;
- La maîtrise par la société requérante de la législation fiscale, de sorte que, compte-tenu de la portée financière de l’entrée dans son patrimoine des titres litigieux, le classement comptable initial a nécessairement été expertisé, ainsi que ses implications (dans ses conclusions – suivies – le rapporteur public procède à d’intéressants développements sur ce point).
La requérante faisait grief aux juges d’appel d’avoir pris en compte des éléments postérieurs au classement initial des titres (dépréciation des titres litigieux au fil du temps, rendant plus attractif le régime fiscal des titres de placement, permettant la déduction, à taux plein, des provisions pour dépréciation et des moins-values de cession sur titres), alors que l’intention doit s’apprécier au moment de l’acquisition des titres (CE, 29 mai 2019, SARL Montisambert, n°411209).
Le Conseil d’État juge cependant que cet argument, « relevé de manière surabondante » par la CAA, est sans incidence sur la qualification d’erreur comptable délibérée.