La preuve déloyale désormais admissible, sous condition, dans un procès civil

Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation opérait un important revirement de jurisprudence en admettant qu’une preuve obtenue de manière déloyale pouvait être admise aux débats en matière civile, principe qu’elle a également rappelé le 14 février 2024. Désormais, au pénal comme au civil, toute preuve « illicite » ou « déloyale » peut être admise si elle est indispensable et proportionnée au but poursuivi.

La recevabilité des preuves « illicites » et « déloyales »

En matière civile, les juridictions françaises sont très souvent confrontées à la question de la recevabilité d’une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale.

Pour rappel, une preuve est considérée comme illicite lorsqu’elle est obtenue en violation de la loi (par exemple en violation de la règlementation relative à la protection des données), tandis qu’une preuve déloyale est obtenue à l’insu, et éventuellement contre la volonté, de la partie à laquelle on l’oppose, notamment grâce à l’emploi de manœuvres ou au recours à un stratagème (Cour de cassation, chambre sociale, 30 septembre 2020,
n°19-12.058
).

Avant la décision de l’Assemblée plénière de décembre 2023, les juges écartaient systématiquement des débats les preuves dites déloyales (Cour de cassation, chambre civile, 9 janvier 2014, n° 12-17.875 ; Cour de cassation, chambre civile, 26 septembre 2013, n° 12-23.387 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 10 novembre 2021, n° 20-14.669 ; Cour de cassation, chambre sociale, 18 mars 2008, n° 06-40.852). 

À l’inverse, les juges admettaient que le caractère illicite d’une preuve n’entrainait pas nécessairement son irrecevabilité « à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Cour de cassation, chambre civile, 5 avril 2012, n° 11-14.177 ; Cour de cassation, chambre sociale, 9 novembre 2016, n° 15-10.203 ; Cour de cassation, chambre sociale, 8 mars 2023, n° 21-17.802).

L’affaire

La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question en étant saisie d’un pourvoi contre une décision de la Cour d’appel d’Orléans ayant conclu à l’irrecevabilité de preuves obtenues de manière déloyale (Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2023, n° 20-20.648).

Un salarié était licencié pour faute grave que l’employeur démontrait en produisant à la procédure l’enregistrement sonore d’un entretien obtenu à l’insu du salarié, au cours duquel ce dernier a tenu des propos qui ont conduit à son licenciement. 

Appliquant la jurisprudence de la Cour de cassation qui était alors constante, la Cour d’appel d’Orléans avait écarté des débats cette preuve au motif que l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine et constituait donc une preuve déloyale (Cour d’appel, Orléans, Chambre sociale, 28 juillet 2020, n° 18/00226).

Insatisfait de cette décision, l’employeur a formé un pourvoi en cassation sur le fondement de l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Un revirement jurisprudentiel qui clarifie le régime juridique des preuves

La Cour de cassation a fait droit à la demande de l’employeur en affirmant que « désormais, dans un procès civil, […] la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».

Tirant les conséquences de ce revirement, la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel « [en ce qu’elle avait déclaré] irrecevables les éléments de preuve obtenus par l’employeur au moyen d’enregistrements clandestins ».

La Cour précise que le juge saisi d’une preuve déloyale devra vérifier si la production d’une telle preuve est indispensable et proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation réalise ainsi une unification opportune du régime juridique des preuves déloyales et des preuves illicites. Elle met fin à une jurisprudence difficilement lisible compte tenu de la frontière poreuse entre preuve déloyale et preuve illicite, conséquence qu’elle invoque elle-même au soutien de sa décision.

Tout récemment, la Cour de cassation a de nouveau validé une décision de la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion qui avait accepté la preuve d’un licenciement justifié par un vol grâce à un système de vidéosurveillance (Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2024, n° 22-23.073). Alors que ce système de captation d’image ne respectait pas les exigences légales, en particulier d’information des salariés, la Cour de cassation a validé la décision des juges d’appel qui avaient accepté de prendre en compte l’enregistrement en recourant au double contrôle du caractère indispensable et proportionné de celui-ci.   

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Philippe Lorant

Philippe Lorant, Avocat Directeur, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il intervient en droit commercial pour la conception et la négociation de contrats complexes (joint-ventures, consortiums, […]

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Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Justine Pautrat

Justine est stagiaire au département de Droit Commercial