Justice pour les optimistes !
Un précédent article de ce blog (PLF 2026 : le point sur la dette) présentait deux points de vue possibles sur la dette publique française. Le premier, disons « le pessimiste », recommandait de réduire massivement le déficit budgétaire pour stabiliser notre ratio d’endettement avant la catastrophe. L’autre, « l’optimiste », considérait qu’il était inutile de réduire les dépenses publiques aussi brutalement puisqu’on pouvait espérer que l’accroissement du taux de croissance et la baisse du taux d’intérêt permettrait de stabiliser le taux d’endettement à un niveau certes plus élevé, mais non critique.
C’est ce deuxième point de vue qui mérite d’être détaillé un peu davantage. S’il n’y avait aucun lien entre les dépenses publiques aujourd’hui et la croissance future, on pourrait considérer que les optimistes sont de doux rêveurs qui croisent les doigts pour que notre prodigalité du jour soit rattrapée un jour, plus tard, par une conjoncture favorable. Ce n’est bien sûr pas le cas, et la thèse « optimiste » est bien liée au fait que les dépenses publiques d’aujourd’hui peuvent créer suffisamment de croissance supplémentaire pour stabiliser le ratio de dette demain.
La question sous-jacente est donc liée à l’efficacité de la dépense publique : dans quelles conditions est-elle susceptible d’augmenter la croissance du PIB à long terme ? Notons qu’il s’agit là d’une question différente de celle qui concerne l’usage de la dépense publique pour stabiliser l’économie à court terme. Dans une perspective keynésienne classique, lorsqu’une crise survient ou que la demande privée faiblit, l’État peut intervenir en augmentant ses dépenses (infrastructures, consommation publique, embauches), quitte à les financer par de la dette, pour relancer l’activité et préserver l’emploi. Cette politique de relance est conçue pour compenser les cycles économiques, en amortissant les chocs et en évitant l’enlisement de l’économie dans une récession prolongée. Ce type de dépense publique n’a cependant pas vocation à modifier la productivité de l’économie et à augmenter la croissance à long terme. On considère traditionnellement que le multiplicateur budgétaire – c’est-à-dire le rapport entre l’augmentation du PIB et l’augmentation de la dépense publique – est supérieur à 1 à court terme, mais il tend à s’atténuer à mesure que l’économie retrouve son équilibre.
Notre sujet – l’effet de la dépense publique à long terme – est bien différent et a donné lieu à de longs développements théoriques assez complexes dans les années 2010. Heureusement pour la lisibilité de ce blog, un article récent d’Antolin-Diaz et de Surico, paru dans l’American Economic Review, apporte un éclairage empirique très intéressant sur la question. En étudiant des données historiques américaines sur 125 ans, les auteurs montrent que certaines dépenses publiques, notamment les investissements militaires, peuvent transformer la dette en véritable moteur de croissance de long terme.
Toutes les dépenses publiques ne se valent pas
L’une des contributions majeures de l’article est d’estimer le multiplicateur budgétaire associé à différents types de dépenses publiques.
- Pour la R&D publique, ce multiplicateur dépasse significativement 1 à long terme : chaque dollar investi par l’État génère, après une dizaine d’années, plus de deux dollars de PIB supplémentaires.
- À titre de comparaison, les investissements publics “classiques” (infrastructures, constructions) ont un effet positif, mais nettement moins marqué et, surtout, plus transitoire.
- Quant à la consommation publique, son effet s’épuise rapidement, sans impact durable sur la croissance.
En d’autres termes, la dépense de R&D publique est la catégorie d’investissement public qui présente le « retour sur investissement » le plus élevé, grâce à sa capacité à déclencher des innovations majeures et à transformer l’économie sur le temps long.
Les dépenses militaires sont efficaces même hors période de guerre
L’article accorde une attention particulière au cas des dépenses de R&D dans la défense. On pourrait penser que leur efficacité exceptionnelle tient au contexte de mobilisation généralisée qu’imposent les périodes de guerre. Or, les auteurs démontrent que ce n’est pas le cas :
- Les effets bénéfiques de la R&D militaire se manifestent également en temps de paix.
- Les innovations issues de ces programmes (électronique, informatique, matériaux nouveaux, aviation, spatial, etc.) se diffusent largement dans l’économie civile, générant des gains de productivité et de nouveaux marchés, bien après la fin du programme militaire lui-même.
- Cette “pollinisation” technologique contribue à expliquer pourquoi la R&D de défense demeure un puissant moteur de croissance, indépendamment du contexte géopolitique.
L’investissement militaire est plus efficace que l’investissement public classique car il stimule l’investissement R&D privé
Les données analysées révèlent clairement plusieurs points :
- La R&D militaire a un effet multiplicateur supérieur à celui de l’investissement public classique, non seulement à court terme mais aussi, et surtout, sur le long terme.
- Cela s’explique par la nature même des innovations produites, qui servent de socle à de nouvelles industries privées et stimulent des “effets d’entraînement” (externalités positives) étendus dans tout le tissu économique. Ainsi, la dépense publique dans ce cas ne se substitue pas à la dépense R&D privée mais au contraire, la stimule, ce qui entraine une augmentation du taux de croissance.
- L’effet est durable : là où l’investissement public classique finit par s’épuiser, la R&D militaire continue de porter la croissance plusieurs décennies après l’investissement initial.
Les auteurs citent de nombreux exemples historiques : le projet Manhattan qui a conduit au développement du nucléaire civil, le programme spatial américain qui a permis tous les progrès techniques liés aux satellites, dont le GPS, et la création de la DARPA qui est liée au développement d’Internet. Tous ces secteurs ont bénéficié de financements publics massifs, souvent justifiés par des enjeux militaires, mais dont les fruits ont été récoltés bien au-delà du domaine de la défense.
Conclusion : ça dépend
Même si on ne peut pas tirer de cet article des conclusions qui soient immédiatement applicables pour la France en 2026, on peut du moins s’en servir pour compléter le post précédent. La position optimiste (en matière de finance publique) repose sur l’idée qu’il peut être rationnel de ne pas adopter de politique d’austérité trop radicale et de maintenir un déficit public à condition que ce déficit serve à financer de la R&D et en particulier la construction d’un socle technologique qui puisse stimuler la R&D privée. Reste à voir dans quelles mesures le déficit public prévu par le PLF 2026 correspond à cette épure.
Références principales :
Juan Antolin-Diaz and Paolo Surico. 2025. « The Long-Run Effects of Government Spending. » American Economic Review 115 (7): 2376–2413.
