Matériel génétique et dotations aux amortissement éligibles au CIR

L’éligibilité au Crédit d’Impôt Recherche (CIR) des dotations aux amortissements d’un bien (en l’occurrence, du matériel génétique végétal) dépend du fait que le bien ait été acquis à l’état neuf, et non de savoir si les opérations de R&D réalisées par l’acquéreur avec ce bien sont nouvelles par rapport à celles du vendeur.

L’histoire

La société Ragt 2N, qui exerce une activité de recherche en vue de la création de nouvelles variétés des principales espèces de semences de grande culture, avait acquis du matériel génétique végétal constitué de graines, de plants, de plantes, de cellules germinales et d’autres matériels héréditaires auprès de la société Serasem pour plus de 17 m€. Elle avait immobilisé cet actif et inclus les dotations aux amortissements (et les frais forfaitaires correspondants) dans l’assiette du CIR au titre des années 2012 et 2013.

En effet, aux termes de l’article 244 quater B, II a du CGI :  
« Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique » sont éligibles au CIR. Elles sont également prises en compte forfaitairement pour 75 % de leur montant, au titre des dépenses de fonctionnement (art. 244 quater B,II c du CGI).

L’Administration a considéré que ce matériel génétique ne constitue pas un bien amortissable affecté aux opérations de recherche de la société Ragt 2N mais l’objet même de ses travaux de recherche et que, même si l’actif était amortissable, il ne s’agissait pas d’une immobilisation créée ou acquise à l’état neuf.

La Cour d’appel de Bordeaux, appelée à juger de l’affaire, rejette l’éligibilité des dotations au CIR après avoir relevé que la société ne produisait aucun document permettant d’établir que les travaux menés sur ce matériel génétique végétal ne se situaient pas dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société Serasem et, donc, ne respecteraient pas la condition de nouveauté des immobilisations, prévue par les textes. (CAA Bordeaux, n° 19BX03561 et n° 19BX03562, 9 novembre 2021).

La décision du Conseil d’État

Ces arrêts ont été annulés pour erreur de droit par le Conseil d’État car la seule circonstance que les travaux menés par la société Ragt 2N sur le matériel génétique végétal se situeraient dans la continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société Serasem ne fait pas obstacle à ce que cet élément d’actif immobilisé soit considéré comme acquis à l’état neuf au sens de l’244 quater B, II c du CGI. (Conseil d’État, n° 460229, 27 janvier 2023)

En d’autres termes, la nouveauté exigée par les textes (« immobilisations crées, ou acquises à l’état neuf ») concerne l’état de l’immobilisation lors de son achat. Il n’est pas nécessaire que les opérations de recherche scientifique et technique réalisées grâce à cette immobilisation soient différentes de celles effectuées par le précédent propriétaire.

L’affaire était ensuite renvoyée à la CAA de Bordeaux (CAA Bordeaux, n° 23BX00290, 9 juillet 2024) qui a tranché sur deux points :

Sur le caractère immobilisable du matériel génétique végétal

Si l’Administration avançait que le matériel génétique utilisé par Ragt 2N pour développer de nouvelles variétés de semences n’était pas un produit achevé, car constituant l’objet même des opérations de recherche, la Cour relève qu’aucun élément de l’instruction ne confirme cette hypothèse dès lors que la société Ragt 2N crée, à partir du matériel génétique acquis, de nouvelles variétés de semences distinctes de celles acquises initialement. Le matériel génétique doit donc être considéré comme un actif amortissable affecté aux travaux de recherche de la société.

Sur le caractère neuf du matériel génétique végétal

La Cour reprend l’analyse en droit du Conseil d’État et considère que le matériel génétique végétal doit être regardé comme acquis à l’état neuf.

Elle valide donc l’éligibilité au CIR des dotations aux amortissements pratiquées sur le matériel génétique végétal.

 

Notre avis

S’il semble que la Cour n’ait pas procédé à des investigations détaillées pour savoir si la totalité du matériel génétique végétal avait été créé par la société Serasem (et donc acquis à l’état neuf par Ragt 2N) ou si une partie avait été acquise par Serasem auprès d’un tiers (et donc achetée à l’état d’occasion par Ragt 2N), on recommandera en pratique aux entreprises, notamment si les enjeux sont importants, de demander au vendeur un justificatif du caractère neuf.

Lucille Chabanel

Lucille intervient depuis plus de 14 ans au sein du département Fiscalité des Entreprises. Rattachée à la ligne de services R&D depuis 2006, elle a développé une forte expertise dans […]

Béatrice Prim

Béatrice, Avocate Directeur rattachée à l’équipe R&D depuis 2010, conseille ses clients en matière de CIR (sécurisation, défense lors des contrôles fiscaux) et coordonne des missions sur les régimes incitatifs à […]

Nathan Delaunay

Nathan travaille au sein du département Tax&Legal France de Deloitte en tant que Business Tax Consultant.