Nouveaux commentaires de l’administration fiscale sur l’application de la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI aux rétrocessions à un non-résident par un bénéficiaire français de dividendes de source française

Par une mise à jour du BOFiP relatif à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du Code général des impôts (CGI) en date le 15 février 2023 et deux rescrits du même jour auxquels renvoie ce même BOFiP, l’Administration apporte des précisions sur l’application de cette retenue à la source aux rétrocessions de dividendes de source française à des non-résidents.

Ces précisions, qui risquent d’affecter les activités de marché des établissements bancaires français, étaient très attendues par les acteurs du secteur qui font l’objet ces dernières années de redressements de leurs opérations de prêt-emprunt et de leurs opérations sur dérivés dont le sous-jacent comporte des actions françaises. Ces redressements sont intervenus à la suite notamment des affaires CumCum et CumEx qui ont fait scandale en Europe et particulièrement en Allemagne.

Pour rappel, l’Administration a cherché dans un premier temps à remettre en cause ces opérations sous l’angle de l’abus de droit avant de basculer dans un second temps sur une remise en cause sous l’angle du bénéficiaire effectif. Selon Frédéric Iannucci (chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques), interrogé lors de son audition devant la commission des Finances du Sénat en décembre 2021, cette approche est considérée comme plus efficace et moins aléatoire juridiquement.

L’obligation de prélèvement de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du CGI sur les dividendes dont le bénéficiaire effectif est un non-résident

Aux termes de l’article 119 bis, 2 du CGI, les revenus distribués par une société française à des bénéficiaires non-résidents font en principe l’objet d’une retenue à la source, prélevée au taux de 25 %.

Cette retenue à la source frappe les revenus distribués tels que définis aux articles 109 à 117 bis du CGI, c’est-à-dire non seulement les produits des actions et parts sociales, mais aussi les revenus assimilés, lesquels s’entendent notamment de la fraction des rémunérations ou dépenses qui est considérée comme revenu distribué, faute d’être admise en déduction pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS) et des rémunération d’administrateurs de sociétés anonymes rangées dans la catégorie des revenus mobiliers en vertu de l’article 117 bis du CGI (BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, n° 30).

Dans sa mise à jour du BOFiP, l’Administration précise que la retenue à la source prévue par à l’article 119 bis, 2 du CGI doit être entendue comme s’appliquant également à tout versement de dividendes de source française dont le bénéficiaire effectif est un non-résident (BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, n° 1).

Ainsi, la référence au bénéficiaire non-résident dans le texte de loi doit être interprétée comme comportant implicitement une notion de bénéficiaire effectif. Il résulte de cette lecture que la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI est à prélever à chaque fois que la personne qui profite économiquement d’un revenu distribué (tel que définis aux articles 109 à 117 bis du CGI) et peut en disposer librement est un non-résident.

En pratique, cela concerne essentiellement les schémas financiers par lesquels les établissements bancaires français perçoivent des dividendes de source française et les rétrocèdent à un non-résident, notamment dans le cadre d’opérations de prêt-emprunt mais également des opérations sur dérivés dont le sous-jacent comporte des actions françaises.

L’introduction de la notion de bénéficiaire effectif pour justifier l’assujettissement à une imposition d’un non-résident qui n’est pas le bénéficiaire légal d’un revenu réputé distribué surprendra le lecteur dès lors que l’article 119 bis, 2 du CGI ne connaît pas spécifiquement cette notion de bénéficiaire effectif et ne renvoie à aucune norme en faisant état.

Cette approche est d’autant plus incertaine que les établissements bancaires ne sont pas des intermédiaires transparents dans le cadre des opérations de marché, mais des entités avec une activité opérationnelle propre qui prennent un risque au titre de ces opérations.

A cet égard, l’Administration semblait partager, il y a encore quelques années, une lecture bien plus restrictive de la notion de bénéficiaire aux termes de l’article 119 bis, 2 du CGI. En effet, un texte spécifique a été adopté dans la loi de finances 2019 afin de qualifier de revenu réputé distribué soumis à la retenue à la source les rétrocessions de dividende à un non-résident dans le cadre de cessions temporaires de titres réalisées pendant une période de moins de 45 jours incluant la date de détachement du coupon.

Cette nouvelle interprétation de l’article 119 bis, 2 du CGI abouti à la situation paradoxale où les sommes versées dans le cadre de transactions de plus de 45 jours ne sont pas qualifiées de revenus réputés distribués par une lecture a contrario de l’article 119 bis A du CGI, mais pourrait tout de même être soumis à la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI.

L’assimilation retenue par l’Administration des équivalents dividendes reçus par les établissements bancaires français à des dividendes

Par un premier rescrit, l’Administration étend son interprétation aux établissements bancaires qui ne reçoivent pas directement un dividende de source française mais, reçoivent eux-mêmes un équivalent dividende qu’ils reversent dans un second temps à un non-résident.

Cette situation correspond à des schémas où l’établissement bancaire n’est pas lui-même le propriétaire légal des actions françaises concernées, mais reçoit une rétrocession du dividende reçu par un tiers. En d’autres termes, il s’agit notamment des schémas comportant des chaînes de prêteurs et d’emprunteurs tenus de reverser les dividendes.

Dans ces situations, l’Administration précise que la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI peut s’appliquer à l’équivalent dividende encaissé par l’établissement bancaire et rétrocédé à un non-résident.

La notion d’équivalent dividende est définie comme tout transfert de valeur subordonné ou déterminé, explicitement ou implicitement, par référence à un dividende. Cette interprétation n’est pas sans rappeler les règles américaines(IRS regulation 871(m)) visant à taxer les dividendes sous-jacents à certains produits financiers.

En pratique, dans le cadre des opérations d’acquisition temporaire d’actions, la restitution se fait à hauteur du montant qu’aurait perçu le prêteur directement s’il avait détenu les titres lors du détachement de coupon, déduction faite d’une retenue à la source théorique calculée au taux conventionnel selon le pays de résidence de la contrepartie en question. Corrélativement, l’établissement bancaire verse comme contrepartie une rémunération pour le prêt de titres, laquelle correspond à un pourcentage du dividende lié aux titres empruntés. Cette pratique aboutit à une restitution, au prêteur initial, du montant du dividende, diminué d’une fraction de la retenue à la source qui n’a pas été prélevée et qui est conservée par l’institution financière qui a assuré le portage, en rémunération de son intermédiation.

Le montant de l’équivalent dividende considéré par l’Administration est celui qui ressort de l’analyse des différents montants encaissés ou décaissés par l’établissement bancaire.

Ainsi, l’application de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du CGI à la rétrocession d’un dividende de source française par un établissement bancaire français à un non-résident s’applique selon des termes similaires que l’établissement bancaire ait lui-même reçu un dividende d’une société française ou une simple rétrocession d’un tiers d’un dividende de source française.

Par son second rescrit, l’Administration apporte cependant deux tempéraments à cette interprétation :

  1. Sont exclus du champ les équivalents dividendes reçus dans le cadre d’opérations d’acquisition temporaire avec une tierce personne sous réserve de la démonstration par l’établissement bancaire de l’absence de lien personnel, financier ou économique avec le premier intermédiaire financier, l’absence de contrepartie pour l’établissement bancaire français dans d’autres transactions conclues avec ce premier intermédiaire ou avec le bénéficiaire non-résident.
  2. Sont exclus du champ les équivalents dividendes reçus dans le cadre de la détention d’un produit dérivé en couverture d’une opération dite « delta one », dès lors que l’établissement bancaire démontre que les versements effectués à la contrepartie non-résidente ne proviennent pas, directement ou indirectement, d’une distribution de dividendes au titre d’actions d’une société française ; ou que cette distribution a déjà été soumise à la retenue à la source.

Une énumération d’opérations réalisées par les établissements bancaires dans le champ de cette retenue à la source

Afin de clarifier sa nouvelle interprétation du champ de l’article 119 bis, 2 du CGI, l’Administration énumère, sans que cette liste puisse être considérée comme limitative, un certain nombre d’opérations réalisées par les établissements bancaires au titre desquelles elle considère qu’une retenue à la source doit être prélevée. Il s’agit d’opérations pour lesquelles l’Administration estime que les établissements bancaires agissent comme de purs intermédiaires et que leur contrepartie est présumée être le bénéficiaire effectif du dividende français d’origine.

Les schémas visés sont les opérations d’acquisition temporaire d’actions françaises (notamment les opérations de prêt-emprunt) et les opérations sur dérivés dont le sous-jacent est constitué d’actions françaises. Ces dernières opérations peuvent être mises en œuvre à l’aide de multiples instruments financiers.

S’agissant des opérations d’acquisition temporaire d’actions françaises auprès de non-résidents, l’Administration vise spécifiquement les opérations destinées à couvrir des ventes à découvert, de monétisation de dividendes optionnels ou destinées à garantir le bon déroulement des opérations de règlement-livraison.

Dès lors que ces opérations sont réalisées avec une contrepartie non-résidente et qu’elles donnent lieu à un détachement de coupon, les paiements effectués par l’établissement bancaire à cette contrepartie sont susceptibles de donner lieu au prélèvement d’une retenue à la source.

S’agissant des opérations sur produits dérivés conclues avec des non-résidents, l’Administration exclut de l’application de la retenue à la source les opérations dont le prix ne varie pas selon la même amplitude, ou selon une amplitude proche de celle du prix de son sous-jacent.

Sont en revanche susceptibles d’être soumises à la retenue à la source les opérations dont le prix varie selon la même amplitude, ou selon une amplitude proche de celle du prix de son sous-jacent (opération dite « delta one ») ; ou lorsque l’opération concernée s’inscrit dans un ensemble d’opérations dont l’effet global correspond à une situation effective de « delta one ».

Sont également soumis à la retenue à la source les équivalents dividendes, versés par un établissement bancaire et appréhendés par un non-résident, qui proviennent, directement ou indirectement, tout ou partie, d’une distribution de dividendes effectués au titre d’actions d’une société française achetées en couverture d’indices « reconnus » et « diversifiés » ou détenues directement (ou via un instrument dérivé) dans le cadre d’une couverture de produits dérivés « delta one ».

L’Administration précise qu’est sans incidence le fait que l’opération ait été conclue avant l’annonce du dividende et comporte un risque de dividende pour l’établissement bancaire, dès lors que ces établissements sont en mesure de se couvrir de ce risque sur les marchés.

Cette nouvelle interprétation extensive de l’Administration du champ de la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations et ces nouveaux commentaires devraient faire l’objet d’un recours.

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Hélène Alston

Hélène est avocat spécialiste de la fiscalité financière et plus particulièrement dans le domaine de la gestion d’actifs. Elle conseille des sociétés de gestion, dépositaires et investisseurs institutionnels français et […]

Thomas Le Frêche

Thomas est avocat spécialisé en fiscalité des fusions-acquisitions et en fiscalité internationale. Son activité couvre tous les aspects de la fiscalité relative aux opérations de fusions-acquisitions et de restructurations complexes, […]