En début de semaine, c’était au tour de la Commission des finances du Sénat de dévoiler une version modifiée du volet fiscal du projet de loi de finances, désormais connu sous le nom de « One Big, Beautiful, Bill Act ».
Comme dans la version de la Chambre des représentants le mois dernier, le projet a pour ambition de rendre permanentes diverses mesures issues du Tax Cuts and Jobs Act de 2017 et de créer plusieurs dispositifs de réduction d’impôt à l’attention des personnes physiques et des familles, conformément aux promesses électorales du candidat Trump. En contrepartie, sont incluses des mesures visant à augmenter les ressources fiscales de l’État, que ce soit au moyen de changements dans les règles de fiscalité internationale ou dans le calcul et l’attribution des crédits d’impôt prévus par l’Inflation Reduction Act.
Bien qu’en apparence les grandes lignes des deux projets soient similaires, la Commission des finances du Sénat a néanmoins apporté des inflexions importantes pour les contribuables concernés, qu’il s’agisse du plafond de déduction des impôts locaux (State and Local Taxes – SALT), de l’article 899 instaurant un durcissement de la fiscalité à l’encontre des juridictions ayant instauré des mesures fiscales qualifiées d’injustes, ou de la pérennisation de dispositifs initialement prévus comme temporaires dans la version de la Chambre des représentants, tels que le suramortissement de 100 %, la déductibilité immédiate des dépenses de R&D ou le calcul du plafond de déduction des charges financières.
L’état de la procédure
On notera que les Républicains espèrent toujours obtenir le vote de leur OBBBA suivant la procédure de Budget Reconciliation, qui permet l’adoption du texte à la majorité simple dans les deux chambres, au lieu des 60 voix (sur 100) normalement exigées au Sénat. Cette procédure n’est toutefois applicable qu’à la condition que le texte n’aggrave pas le déficit américain sur une fenêtre budgétaire habituellement fixée à 10 ans, ce qui explique le plus souvent le recours à des mesures temporaires ou à un durcissement progressif comme dans le TCJA. L’explication de la différence de durée dans les changements proposés respectivement par les représentants et les sénateurs est, en l’espèce, à rechercher dans les termes de comparaison pour l’évaluation du déficit : dans le premier cas, la Chambre a considéré le calcul du déficit en tenant compte du coût de la prolongation des mesures expirées ou à expirer (calcul à législation constante), tandis que le Sénat a fondé ses propres estimations sur la trajectoire des dépenses prévues par le TCJA comme si elles devaient être permanentes par construction (calcul à politique constante). Dans ce dernier cas, la prolongation ou la pérennisation de ces mesures n’est pas considérée comme entraînant un coût additionnel pour les finances publiques, permettant ainsi une marge de manœuvre plus importante.
Le site de la Commission des finances a publié le 22 juin une estimation du coût de l’OBBBA s’élevant à 400 milliards de dollars (pour rappel, le coût estimé de la version de la Chambre des représentants était de 3 800 milliards).
En quoi le projet du Sénat diffère-t-il de celui de la Chambre ?
En ce qui concerne les contribuables personnes morales, on retiendra, de façon synthétique, les éléments suivants :
Déduction des dépenses de R&D
L’article 174A prévoirait la déduction immédiate des dépenses domestiques de recherche ou d’expérimentation, sans limitation de durée, pour les charges payées ou encourues au cours des exercices ouverts après le 31 décembre 2024 (mesure permanente, contrairement au projet de la Chambre des représentants).
Les contribuables auraient la possibilité d’opter pour une capitalisation des dépenses et leur amortissement sur une période ne pouvant être inférieure à 60 mois, à compter du mois au cours duquel le contribuable retire les premiers bénéfices des dépenses. L’option serait valable au titre de l’exercice au cours duquel elle serait exercée ainsi que pour tous les exercices suivants, sauf si le contribuable recevait l’autorisation de changer de méthode ou de période d’amortissement.
A noter :
- La section 59(e)(2)(B) permet d’opter pour un amortissement des dépenses de recherche domestique sur une période de 10 ans à compter de l’exercice au cours duquel ces dépenses sont payées ou encourues.
- Le montant de la déduction prévue par le nouvel article 174A serait réduit du montant des crédits d’impôt déclarés (sauf option pour la déclaration d’un crédit d’impôt réduit).
- Une mesure de transition permettrait aux contribuables ayant payé ou encouru des dépenses entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2024 (actuel article 174(a)) de déduire le solde non encore amorti sur un ou deux exercices à compter de 2025 (« semi-rétroactivité »).
Déduction des charges financières
Le projet pérenniserait le calcul du plafond de déduction des charges financières nettes, en réinstaurant la référence à l’EBITDA pour les exercices ouverts après le 31 décembre 2024. Contrairement au projet de la Chambre des représentants, il s’agirait d’une mesure permanente.
Déduction des plus grosses rémunérations
La mesure étendrait le champ d’application de l’actuel article 162(m) prévoyant un plafond de déduction de 1mUSD pour les rémunérations versées aux « personnels couverts » par des entités cotées. Sont considérés comme « personnel couvert » notamment le principal directeur général, le principal directeur financier ainsi que, à compter des exercices ouverts après le 31 décembre 2026, tout salarié faisant partie des cinq plus grosses rémunérations. Le projet prévoit en outre que, dans l’hypothèse où l’entité concernée fait partie d’un groupe, seraient pris en compte tous les paiements effectués par les membres de ce groupe au profit des personnels couverts pour le calcul du plafond de déduction, et que le montant non déductible serait affecté à chaque membre au prorata de sa part dans la rémunération totale de la personne visée.
BEAT
Le champ d’application de BEAT (Base Erosion and Anti-abuse Tax), créé par le TCJA, serait élargi en réduisant les seuils au-delà desquels les entreprises effectuant des paiements à des bénéficiaires étrangers doivent calculer une imposition minimum sur un résultat fiscal ajusté.
Actuellement, sont tenues de procéder au calcul d’une taxe BEAT les entités avec un chiffre d’affaires excédant 500 mUSD en moyenne au cours des trois derniers exercices, et dont le taux d’érosion fiscale ne dépasse pas 3 %. Ce taux d’érosion fiscale correspond, de façon schématique, au rapport entre les versements considérés comme contribuant à l’érosion de l’assiette imposable (tels que les intérêts, redevances, prestations de services déductibles de la base imposable à l’IS, les achats de biens étant exclus de la définition) et le montant total des charges déductibles. Ainsi, les entités ne procédant relativement qu’à très peu de versements d’intérêts, redevances ou management fees, sont, indépendamment de leur taille, exemptées du calcul et de la déclaration BEAT.
Le projet prévoirait un abaissement du seuil à 2 %.
En revanche, seraient exclus de la définition des versements « BEATables » certains versements à des personnes liées dès lors qu’ils seraient assujettis entre les mains de leur bénéficiaire à une imposition minimum, égale à 90 % du taux de l’IS, soit 18,9 %. Une clause anti-abus conserverait dans la définition des versements visés ceux à destination d’une personne liée qui contribuent à financer des versements effectués par cette personne à d’autres bénéficiaires étrangers ne remplissant pas les conditions d’exclusion.
Le taux de la taxe BEAT serait porté à 14 % au lieu de 10 % dans le projet de la Chambre des représentants (12,5 % à compter de 2026 d’après le TCJA).
Les modifications seraient applicables pour les exercices ouverts après le 31 décembre 2025.
Section 899
Le projet du Sénat inclut, tout comme le projet de la Chambre des représentants, un nouvel article 899 visant les versements à destination des juridictions ayant instauré des impôts dits extraterritoriaux (« extraterritorial tax ») ou des mesures fiscales injustes (« unfair foreign tax »), ou les filiales de résidents fiscaux de ces juridictions incriminées (« offending foreign country »).
Sont compris dans la définition des impôts extraterritoriaux et mesures fiscales injustes, de façon non exhaustive, l’UTPR et la taxe sur les services digitaux.
Contrairement à la version proposée par la Chambre des représentants, qui prévoyait une entrée en vigueur au plus tard le 1er jour de l’exercice suivant l’entrée en vigueur de l’article 899 + 90 jours, ou l’entrée en vigueur d’une mesure fiscale injuste dans une juridiction incriminée + 180 jours, ou la première application d’une telle mesure fiscale injuste, le projet du Sénat prévoit une première application plus tardive, à compter du 1er janvier 2027.
De façon plus précise, les dispositions du nouvel article 899 peuvent être résumées comme suit :
- Personnes visées :
- Gouvernements étrangers y compris fonds de pension souverains ;
- Certains résidents fiscaux personnes physiques de juridictions incriminées à l’exception des citoyens américains ;
- Certaines personnes morales résidentes fiscales d’une juridiction incriminée, ou détenues majoritairement par d’autres personnes visées. Sont en revanche exclues les entités cotées telles que définies dans le projet ;
- Fondations privées immatriculées dans une juridiction incriminée ;
- Certains trusts détenus majoritairement par des personnes visées.
- Conséquences :
- Augmentation du taux d’impôt applicable aux revenus d’établissements stables ou revenus mobiliers de 5 % par an jusqu’à un maximum de 15 % (20 % dans la version de la Chambre des Représentants). Ce taux s’appliquerait en sus du taux de droit commun ou du taux conventionnel le cas échéant, y compris en cas d’exonération. Seraient également concernés les versements d’intérêts effectués par une personne US à une banque étrangère relevant d’une juridiction incriminée. En cas de clause de gross-up, l’entité versante devra supporter le surcoût lié à l’application de l’article 899.
- Durcissement de BEAT : les entités détenues à plus de 50 % (en capital et droits de vote) par des personnes visées seraient réputées remplir le critère de taille et le taux d’érosion fiscale serait abaissé à 0,5 % (totalement supprimé dans la version de la Chambre des Représentants). Les exonérations prévues pour les paiements soumis à retenue à la source US ou assujettis à une imposition minimum entre les mains de leur bénéficiaire ne seraient pas applicables. Les montants non déduits mais capitalisés seraient réputés déduits pour les besoins du calcul du résultat fiscal ajusté auquel s’applique le taux de BEAT.
Dans la mesure où l’application de l’article 899 dépend de la publication d’une liste de juridictions incriminées par l’administration américaine, les taux de retenue à la source et/ou l’application de BEAT pourraient varier d’un exercice à l’autre (voire d’une période à l’autre en ce qui concerne les versements de revenus mobiliers, même si la fréquence de mise à jour de la liste n’est pas claire), rendant encore plus complexe la gestion des déclarations et liquidations d’impôt.
Par ailleurs, en ce qui concerne les revenus mobiliers, les retenues additionnelles issues de l’application de l’article 899 seraient prélevées en violation des dispositions conventionnelles, de sorte qu’en France l’élimination de la double imposition ne devrait pas pouvoir se faire par imputation d’un crédit d’impôt.
Impact sur la publication des comptes du premier semestre
À ce stade, l’effet de ces projets n’est pas à prendre en compte dans les arrêtés, dans la mesure où ils ne sont pas entrés en vigueur et sont susceptibles de nouvelles modifications d’ici là.
Si l’OBBBA devait être votée et signée par Donald Trump après la clôture semestrielle mais avant la date de publication des comptes, créant un événement post-clôture, il reviendrait à chaque contribuable de déterminer si une communication spécifique sur les impacts estimés doit être incluse dans une annexe à la publication, conformément aux US GAAP, ou dans la section relative aux facteurs de risques pour les entreprises cotées SEC.