Pacte Dutreil et holding animatrice : l’analyse au microscope des juges du fond

Dans la lignée de la jurisprudence désormais constante mais souvent rendue en matière d’ISF, les juges du fonds précisent les indices permettant de caractériser une holding animatrice éligible au pacte Dutreil transmission.

Cour d’appel de Paris du 13 mai 2024, N° 22/02881

Le faisceau d’indices : principe consacré pour l’appréciation du caractère animateur 

Depuis le 1er janvier 2024, l’article 787 B du Code Général des Impôts (CGI) admet la holding animatrice au bénéfice du dispositif fiscal en faveur de la transmission d’entreprise, dit « Pacte Dutreil », inscrivant dans le marbre de la loi ce qui fut le fruit d’une longue controverse doctrinale et jurisprudentielle (voir notamment notre article à ce sujet).

Sans attendre la consécration légale, la Cour de cassation a affirmé son analyse « subjective » par l’appréciation in concreto de tout élément permettant de démontrer l’animation effective de la holding sur ses filiales opérationnelles. La qualification de holding animatrice de son groupe, dont la preuve doit être rapportée par le redevable « repose sur un faisceau d’indices permettant d’établir qu’elle a la charge de la gestion stratégique du groupe et décide des orientations qui engage celui-ci sur le long terme. » (Cass. Comm. n°19-16.351, 23 juin 2021) (voir notre commentaire de la décision).

Ainsi, à l’appui de cette jurisprudence, les juges de la Cour d’Appel de Paris avaient déjà estimé, dans une décision du 5 septembre 2022, que la holding est animatrice, non pas lorsqu’elle est en capacité de s’opposer aux décisions prises par d’autres, mais lorsqu’il est rapporté, au travers de la documentation sociale, que c’est elle qui décide de la stratégie et contrôle la mise en œuvre (voir à ce sujet notre précédent article).

Rappel des faits

Au cas particulier, l’arrêt rendu est inédit en ce qu’il concerne l’application d’un pacte Dutreil à une holding animatrice dans le cadre d’une transmission alors que jusqu’ici ce caractère avait été généralement apprécié en matière d’ISF.

En l’espèce, la transmission par décès des titres sociaux avait bénéficié du dispositif de faveur au fondement du caractère de holding animatrice revendiqué par le contribuable. Cette qualification fut remise en cause par l’administration fiscale, qui a émis un avis de mise en recouvrement de l’ordre de 5,8 m€, estimant que la holding n’était pas animatrice de ses filiales mais qu’elle avait pour activité essentielle la gestion de ses actifs et exerçait les prérogatives d’un associé majoritaire.

L’analyse de la commercialité d’une société civile de construction-vente

Entre autres participations dans des sociétés commerciales, la holding contrôlait des sociétés civiles de construction-vente dont le contribuable avançait l’activité commerciale au fondement des articles 34 et 35 du CGI afin de justifier leurs animations.

Or, si les juges du fond ne contestent pas le caractère commercial de l’activité de construction-vente dont l’éligibilité est reconnue par la doctrine fiscale, ils rappellent qu’à défaut de revente effective des actifs immobiliers, la volonté et le projet doivent être caractérisés, et donc documentés, pour établir la commercialité de l’activité. À défaut, de surcroît, lorsque les immeubles sont loués, la société exploite une activité patrimoniale de gestion de son parc immobilier excluant son animation par la holding.

L’effectivité de l’animation disséquée  

Les juges du fond offrent ensuite une lecture analytique des éléments rapportés par le contribuable pour attester du caractère animateur, rappelant ainsi que la charge de la preuve repose pleinement sur ce dernier.

Lorsque le contribuable s’appuie sur une réponse ministérielle (Rép. Min. n° 17351, Frassa, 1er décembre 2016) dans laquelle l’Administration estime que « le contrôle s’apprécie d’une part au regard du pourcentage du capital détenu et des droits de vote, d’autre part au regard de la situation de l’actionnariat. » pour justifier l’animation d’une société dont elle ne détient que 24,50 %, les juges estiment que « il n’est aucunement établi que la [holding] pouvait, de manière indirecte, révoquer les membres du directoire (…), et imposer ses choix ».

Cette analyse laisse à penser que le contrôle et donc l’animation n’est pas exclusif d’une participation de plus de 50 % mais procède d’une capacité à imposer les décisions et, a fortiori, la nomination des mandataires sociaux. En ce sens, les juges relèvent d’ailleurs qu’aucun pacte d’actionnaires n’a été conclu au niveau de la filiale « afin de spécifier les modalités de direction et d’administration de cette société et garantir une voix prépondérante à son représentant dans la prise des décisions stratégiques ».

Par ailleurs, la Cour d’appel poursuit son analyse des éléments factuels dont l’appréciation nourrit le contentieux. Les juges donnent raison à l’administration fiscale lorsque celle-ci estime que les rapports de gestion de la holding « ne mentionnent pas de politique générale du groupe imposée par la société holding et appliquée par les filiales. Le gérant se contente de décrire les activités de chaque filiale au cours de l’exercice (…) sans évoquer de stratégie globale cohérente » et ne se prive pas de relever que « les filiales ont des activités très diverses et non liées entre elles, ce qui rend improbable la définition d’une politique globale cohérente ».

Aussi, dans cet arrêt, il est reproché au contribuable de ne produire aucune pièce concrète « susceptible de rapporter la preuve de l’existence d’actions de la [holding] dans les opérations de management, les choix et l’optimisation des investissements et la mise au point des stratégies de diversification » de la filiale animée. Il est rappelé au contraire qu’il faut que soit documentée « une politique générale du groupe qui serait définie exclusivement par la holding et obligatoirement appliquée par les filiales ».

Plus que jamais l’animation ne se présume pas…

Nous savions que le caractère de holding animatrice supposait une certaine antériorité pour qu’il soit effectif au jour de la transmission où il serait revendiqué. En ce sens, cette décision est particulièrement riche en termes d’indices analysés et d’éléments probants à apporter.

En ces temps où le pacte Dutreil est sous les feux des projecteurs et promis à une prochaine réforme, la vigilance doit être accrue sur l’éligibilité d’une holding animatrice au dispositif. Elle implique un audit rigoureux de la situation du groupe ainsi qu’un conseil avisé en vue de sécuriser cette qualification très souvent sujette à remise en question.

Sylvain Cuvigny

Sylvain Cuvigny est avocat associé de Deloitte Société d’Avocats au sein du département Legal. Il conseille les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs ainsi que les familles de […]

Mikael Eveno

Mikaël est en charge du développement de l’activité sur la Région Occitanie et la zone Méditerranée. Fort de 14 années en tant qu’Associé et de son expérience à la tête […]

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Venant du notariat, Arnault a intégré le bureau toulousain de Deloitte Société d’Avocats en qualité de juriste patrimonial. En collaboration avec l’ensemble des équipes du cabinet, il accompagne les dirigeants […]