Protection des consommateurs : application prochaine de la directive Omnibus sur le territoire des Etats membres de l’Union européenne

L’ordonnance du 22 décembre 2021 transpose la directive Omnibus du 27 novembre 2019 relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs. Ce « New Deal » doit s’appliquer dès le 28 mai 2022 sur le territoire de chaque État membre.

Les nouvelles dispositions s’articulent selon deux axes distincts (mais reliés) : il s’agit tout d’abord d’adapter les règles préexistantes au contexte de la transformation numérique pour ensuite, en conséquence, renforcer le système de sanction.

La construction du texte

Cheval de bataille de l’Union européenne ces dernières années, la modernisation des règles européennes en matière de protection des consommateurs est enfin intégrée en droit interne. En effet, l’ordonnance n°2019-1734 du 22 décembre 2021, prise sur le fondement de l’article 2 de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), vient transposer la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019, dite « Omnibus ».

Cette ordonnance, dont la normativité est restreinte au seul droit national, constitue l’un des éléments-clés du « New Deal for Consumers » (la Nouvelle donne des consommateurs), en adaptant les règles en vigueur à l’ampleur de la transformation numérique déjà à l’œuvre. Elle vient également renforcer le système de sanctions pour faire face au risque croissant d’infractions pesant sur l’économie numérique.

La méthode législative, comme d’habitude, est pointilliste : au sein du Code de la consommation, plusieurs dispositions sont ainsi introduites ou modifiées portant sur des points parfois très précis, mais aussi critiques tels que ceux des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses, des clauses abusives, des indications des prix ou des garanties dans la vente.

Alors que l’ensemble des États membres devront appliquer ces mesures à partir du 28 mai 2022 et que leur mise en œuvre sera garantie, en France, par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les regards sont déjà tournés vers le devenir de la proposition phare de la Commission européenne, datée du 15 décembre 2020 et articulée autour du nouveau paradigme d’encadrement de l’économie numérique. L’imminente adoption de ces textes vise à créer une législation aboutie sur les services numériques modifiant ainsi la directive sur le commerce électronique (DSA : Digital Services Act) et établissant des règles applicables aux opérateurs d’importance systémique qui exercent un contrôle sur l’accès au marché (DMA : Digital Market Act). Cela donnera assurément plus de corps au contenu de la directive Omnibus sur un certain nombre de points de recoupement.

Un texte visant à adapter les règles existantes et renforcer l’effectivité de celles-ci

Le texte comprend onze articles qui adaptent diverses règles préexistantes relatives à la protection du consommateur dans le contexte de la transformation numérique.

Dans l’élan initié par la précédente ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 sur la garantie légale de conformité pour les biens et les contenus et services numériques, qui gonflait l’article liminaire du Code de la consommation de 3 à 13 définitions, la récente transposition de la directive Omnibus introduit à son tour de nouvelles définitions relatives aux places de marché en ligne, aux opérateurs de places de marché en ligne et aux pratiques commerciales. Elle vient ainsi clarifier son champ d’application et alourdir, encore, l’article liminaire du Code de la consommation (ajouts des 14°, 15° et 16°, art. liminaire).

L’ordonnance apporte des précisions sur les conditions dans lesquelles les professionnels peuvent avoir recours à des annonces de réductions de prix. Pour lutter contre la pratique des « faux rabais », le nouvel article L. 112-1-1, I. du Code de la consommation pose le principe selon lequel le « prix antérieur » de l’annonce doit correspondre au « prix le plus bas pratiqué par le professionnel à l’égard de tous les consommateurs au cours des trente derniers jours précédant l’application de la réduction de prix ». Le non-respect de cette règle peut être assimilé à une pratique commerciale trompeuse pouvant entraîner une amende pénale.

L’article 3 de l’ordonnance de transposition consacre par ailleurs l’interdiction de la revente à des consommateurs de billets pour des manifestations par l’utilisation d’un moyen automatisé. Il permet ainsi de contourner la limitation ou l’interdiction de revente de ces billets (article L. 121-2). L’ordonnance prévoit également l’interdiction des visites de professionnels non sollicitées au domicile des consommateurs (article L. 221-10-1). Ces interdictions sont prévues sous peine de sanctions d’amende et d’emprisonnement.

L’ordonnance, en qualifiant expressément le caractère substantiel de certaines informations rend, selon les circonstances, leur défaut comme une possible pratique commerciale trompeuse par omission. À côté de cela, les pratiques commerciales réputées trompeuses (présomption) sont élargies avec la notion d’absence de mention du lien capitalistique entre l’offreur et l’opérateur de la place de marché.

La question du consommateur

Le consommateur dispose désormais d’un « droit de rétractation » adapté aux contrats qui portent sur un contenu ou un service numérique et conciliant la protection des données du consommateur. Le nouvel article L. 221-26-1 du Code de la consommation en détaille ses différentes modalités. Cette nouvelle capacité permet notamment au consommateur de « récupérer ce contenu numérique sans frais, sans que le professionnel y fasse obstacle, dans un délai raisonnable » et « lorsque le consommateur a exercé son droit de rétractation » le professionnel « s’abstient d’utiliser le contenu numérique et de le rendre accessible à des tiers ».

Enfin, pour lutter contre la diffusion ou la modification de « faux avis » de consommateurs sur les plateformes, le nouveau 6° de l’article L. 121-3 impose quant à lui aux sites de vente en ligne de vérifier que les avis sous les produits proposés à la vente ont bien été publiés par des consommateurs ayant acheté le produit commenté. Les opérateurs assujettis doivent aussi faire part d’informations supplémentaires au consommateur, telles que l’existence d’un « lien capitalistique » entre le vendeur et la plateforme, et demander le consentement du consommateur dans le cas où le droit de rétraction ne s’appliquerait pas.

Un nouveau régime de sanction venant garantir l’effectivité des mesures

Afin de faire face à l’accroissement du risque d’infractions pesant sur l’économie numérique, le système de sanctions est significativement renforcé… sans toutefois que cela ne garantisse une plus grande effectivité .

On observe en premier lieu que pour faire face aux abus observés dans l’économie numérique, le droit français adapte son appareil de sanctions en élargissant son champ d’application. Divers aspects spécifiques de l’économie numérique, comme les « comparaisons des prix », les modalités de commercialisation et « les classements » des produits sur internet sont ainsi mieux pris en compte.

La transposition de la directive Omnibus opère en outre une révolution sur le terrain des sanctions dont elle rehausse significativement les montants des amendes encourues. Les sanctions s’inscrivent néanmoins dans la continuité de l’obligation faite aux États membres (dans plusieurs instruments européens de protection du consommateur déjà en vigueur) d’adopter des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ».

Sur un sujet plus novateur, la directive Omnibus s’attèle à renforcer considérablement l’effectivité du règlement CPC (entré en vigueur le 17 janvier 2020) afin de tendre vers un consensus selon lequel l’effectivité de la protection du consommateur impose une meilleure coordination entre les autorités nationales compétentes.

Les conséquences pour les entreprises

La transposition de la directive Omnibus durcit la législation sur les pratiques déloyales et trompeuses ainsi que les clauses abusives (art. L. 241-1-1 du Code de la consommation).

Dorénavant, la violation de ces exigences peut, outre l’allocation de dommages et intérêts, entraîner une amende civile de 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale, pouvant être portée jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires moyen annuel en cas d’infraction de grande ampleur poursuivie dans le cadre d’une demande d’assistance mutuelle européenne ou internationale.

Dorénavant, « une amende civile peut être prononcée à l’encontre d’un professionnel qui a recours à une pratique commerciale reconnue déloyale ou clauses jugées abusives, au sens de l’article L. 121-1 ». Sans aucun doute, les amendes civiles, qui n’exigent pas la démonstration d’un préjudice et poursuivent un objectif de sanction moralisatrice, ne sont pas nouvelles en droit français, elles le sont cependant dans ce domaine précis de la protection du consommateur. Il faut cependant noter qu’elles demeurent le « parent pauvre » de la répression, la France ayant sans doute mal transposé la directive à cet égard (risque de recours en manquement).

Trois points d’attention sont donc à relever pour les entreprises :

  • L’ordonnance du 22 décembre 2021 instaure un régime de sanctions effectives, dissuasives et proportionnées pour les infractions transfrontalières de grande ampleur (art. 4 directive Omnibus)
  • Elle amène de ce fait à distinguer deux infractions, l’une dite de « grande ampleur», l’autre « de grande ampleur à l’échelle de l’Union » (art. L. 241-1-1 du Code de la consommation).

Pour les infractions transfrontalières « de grande ampleur », l’effectivité de la sanction implique que celle-ci soit appliquée réellement et permette une réparation « complète » du préjudice subi par le consommateur. L’infraction de « grande ampleur » est réalisée lorsque l’acte ou l’omission contraire aux dispositions de l’Union en matière de protection des intérêts des consommateurs porte atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs résidant dans au moins deux États membres ou est commise dans trois États membres au minimum.

L’infraction « de grande ampleur à l’échelle de l’Union » concerne quant à elle l’atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs dans au moins deux tiers des États membres représentant une population cumulée d’au moins deux tiers de la population européenne.

  • Avec cette « nouvelle donne », les États membres sont désormais contraints de prévoir une amende au titre des sanctions susceptibles d’être prononcées nationalement. Le montant de cette amende harmonisée est fixé à un niveau correspondant à 4 % du chiffre d’affaires annuel réalisé soit nationalement, soit dans tous les États membres, soit mondialement. Dans les cas où les informations relatives au chiffre d’affaires annuel ne sont pas disponibles pour un tel calcul, le montant maximal est de 2 M€.

Sur le terrain des obligations d’information, la transmission des données personnelles du consommateur, en lieu et place du paiement d’un prix, en échange d’un service électronique n’est plus considéré comme une transaction « gratuite ». Dès lors, logiquement, dans le cadre de contrats de fourniture de services numériques (stockage en nuage, réseaux sociaux, compte de courrier électronique) ou de contrats de fourniture de contenus numériques (fichiers audio ou vidéo), le consommateur a les mêmes droits à l’information précontractuelle et à la rétractation que le cocontractant d’un contrat de vente classique (nouvel article L. 221-1).

Le caractère dissuasif de la sanction s’apprécie désormais du point de vue de l’auteur de l’infraction. En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction, celle-ci « s’apprécie au regard de la gravité de l’infraction » et commande de choisir la sanction la moins contraignante. De plus, en donnant de l’importance à des éléments tels que la nature, l’ampleur ou la durée de l’infraction ou le caractère lucratif de la faute, la directive Omnibus pose des indices sur la gravité du comportement du professionnel. Ce qui pourra amener à augmenter le niveau de sanction afin de pouvoir garantir une dissuasion efficace.

Enfin, l’articulation des sanctions avec le règlement CPC, est améliorée. Pour cela, ce règlement a renforcé les pouvoirs des autorités nationales de contrôle, tout en facilitant leur coopération entre elles, et entre elles et la Commission européenne, avec le règlement (UE) 2017/2394, qui vise à renforcer la coopération entre les autorités nationales de protection des consommateurs, dit « règlement CPC ». Cela permettra de lutter efficacement contre les infractions de grande ampleur ou de grande ampleur à l’échelle de l’Union européenne et les faire cesser ou les interdire.

Ce régime modernisé de la protection du consommateur dans un monde de transactions numériques ne se borne donc pas à renforcer les droits des consommateurs. Bien au-delà, il entraîne de nouvelles obligations à la charge des professionnels et, en conséquence, fait apparaître qu’il s’agit d’autant de nouveaux risques qu’il convient d’identifier, pour circonvenir.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]