Recapitalisation concomitante à une cession : quelle qualification retenir pour les titres souscrits ?

La CAA de Nancy juge que les titres reçus par une société mère en contrepartie de la recapitalisation de sa filiale, suivie, à très brève échéance, de leur cession à un tiers, doivent être regardés comme des titres de participation. La circonstance que les titres issus de l’augmentation de capital n’ont été destinés à être détenus qu’un instant de raison par la société mère, avant d’être cédés avec le reste du capital, n’a pas pour effet de leur ôter leur caractère de titres de participation.

Eléments de contexte

Constituent des titres de participation certains titres expressément visés par la loi fiscale, ainsi que les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable, c’est-à-dire ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle.

Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration indique, de longue date, que les critères caractérisant les titres de participation, qui reposent, pour une large part sur les objectifs poursuivis par l’actionnaire lors de son investissement, s’apprécient à la date d’acquisition initiale des titres.

Elle précise, à cet égard, que, tout actif ayant vocation à être cédé à terme, un projet de cession d’une participation ne constitue pas, en soi, un événement susceptible de remettre en cause l’intention ayant présidé à l’acquisition initiale. Ainsi, l’Administration considère qu’en cas de recapitalisation d’une filiale avant sa cession à plus ou moins brève échéance, les titres nouvellement émis et acquis reçoivent la même nature de titres de participation que l’ensemble des titres déjà détenus au sein de la filiale (BOI-BIC-PVMV-30-10, 3 avril 2024, § 98).

Le Conseil d’État a toutefois retenu une approche différente, dans une décision SA Crédit Agricole très remarquée (CE, 8 novembre 2019, n°422377). Il a ainsi jugé que la qualification comptable de titres de participation donnée aux titres d’une société détenus par un établissement de crédit ne faisait pas obstacle, par elle-même, à ce que les titres acquis postérieurement au sein de cette même société puissent recevoir une qualification comptable différente, en fonction de l’intention de l’acquéreur à la date de leur achat ou de leur souscription.

Pour autant, cette décision a été rendue dans un contexte d’application de la règlementation comptable propre aux établissements bancaires et dérogatoire au PCG, et après consultation de l’ANC.

La question de sa transposition aux entreprises industrielles et commerciales qui relèvent du PCG divise, à ce jour encore, auteurs et praticiens.

L’Administration a tardivement tiré les conséquences de cette décision, en amendant, à la marge, ses commentaires au BOFiP, lors d’une mise à jour datée du 3 avril 2024.

Elle a complété ses commentaires en indiquant que « la qualification comptable donnée aux titres nouvellement acquis n’est pas nécessairement conditionnée à celle attribuée lors d’une acquisition antérieure » (BOI-BIC-PVMV-30-10, 3 avril 2024, § 98), mais sans trancher de manière claire la question de l’extension du champ de la jurisprudence SA Crédit Agricole aux sociétés soumises au PCG.

Elle s’est ainsi bornée à reprendre in extenso le considérant de principe dégagé par le Conseil d’État dans sa décision SA Crédit Agricole, lequel avait expressément indiqué se prononcer « dans les limites autorisées par la réglementation comptable applicable aux entreprises du secteur bancaire ».

Le 11 juin 2024, le Conseil d’État s’est prononcé dans une configuration plus spécifique, sur l’hypothèse de la recapitalisation d’une filiale en difficulté avant sa dissolution au profit de sa société mère – là encore après avoir sollicité un avis de l’ANC.

Il a ainsi jugé que les titres souscrits à cette occasion revêtaient le caractère de titres de participation, dès lors qu’une telle opération conduisait la société détentrice des titres à exercer un contrôle direct sur les actifs et les passifs de la société dont les titres ont été annulés (CE, 11 juin 2024, n°470721, Sté Agapes).

L’histoire

Une société française a inscrit à l’actif de son bilan dans un compte de titres de participation les titres qu’elle détenait représentant la totalité du capital d’une filiale française.

Lorsque cette filiale a rencontré des difficultés économiques, la société a cherché un repreneur en vue d’acquérir ses titres.

En mars 2016, elle a signé un protocole d’intention avec un repreneur potentiel, prévoyant que la cession de l’intégralité des titres de la filiale était subordonnée à un apport préalable de trésorerie, devant prendre la forme d’une augmentation du capital de la filiale, intégralement souscrite et libérée au plus tard à la date de la cession des actions.

En juin 2016, la société a donc souscrit à une augmentation du capital de sa filiale et l’a intégralement libérée. Le même jour, elle a cédé l’intégralité des titres de sa filiale.

De son propre chef, la société a fait application des dispositions de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI, lesquelles limitent la déduction des moins-values résultant de la cession, moins de 2 ans après leur émission, de titres de participation reçus en contrepartie d’un apport, lorsqu’à la date de leur émission, les titres reçus avaient une valeur réelle inférieure à la valeur d’inscription en comptabilité.

Elle s’est finalement ravisée et a formé une réclamation, tendant à la correction de l’erreur qu’elle estimait avoir commise quant à la qualification comptable des titres de sa filiale au moment de sa recapitalisation. Elle considérait que les titres en question auraient dû être qualifiés de titres de placement, échappant ainsi au dispositif de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI, applicable aux seuls titres de participation.

La décision de la CAA de Nancy

La CAA de Nancy rappelle d’abord la définition comptable de titres de participation, et le fait que le critère d’utilité peut notamment être caractérisé si les conditions d’achat des titres révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence.

Elle adapte ensuite aux faits de l’espèce le considérant de principe dégagé par le Conseil d’État dans sa décision Sté Agapes précitée, et juge que revêtent le caractère de titres de participation « les titres qu’une société mère souscrit dans le cadre de la recapitalisation de sa filiale, suivie, à court terme, de la cession à un tiers de l’intégralité des titres formant le capital de cette filiale, dès lors que cette opération conduit la société détentrice des titres à exercer un contrôle direct des actifs et des passifs de la société dont les actions ont été cédées ».

Elle écarte ensuite la qualification de titres de placement au cas d’espèce, en relevant que :

  • Les titres créés dans le cadre de l’augmentation de capital de la filiale ont permis sa cession, sa recapitalisation ayant été l’une des conditions ;
  • La société mère a entrepris de céder sa filiale compte-tenu des difficultés économiques de cette dernière, ainsi que du fait que son activité ne correspondait plus à celle de son groupe ;
  • Aussi, il en résulte que les actions issues de l’augmentation de capital n’ont pas été créées dans un but patrimonial ou spéculatif et ne constituent pas pour la société requérante des titres de placement ;
  • La possibilité de céder l’intégralité du capital de sa filiale fait partie de l’exercice direct par une société mère du contrôle des actifs et des passifs de cette filiale.

La Cour en conclut que la circonstance que les titres de la filiale issus de l’augmentation de capital n’ont été destinés à être détenus qu’un instant de raison par la société requérante, avant d’être cédés avec le reste du capital de la filiale, n’a pas pour effet de leur ôter leur caractère de titres de participation, dès lors qu’ils ont précisément servi à la société mère pour exercer son contrôle sur sa filiale à l’occasion de la cession de l’ensemble des actions de cette dernière qu’elle détenait.

La décision du Conseil d’État, s’il était saisi, serait la bienvenue (aucun pourvoi n’a été formé pour l’heure, mais le délai n’est pas encore expiré).

Par ailleurs, le sujet pourrait être discuté par l’ANC, qui est en train de constituer un groupe de travail consacré à la question spécifique des titres de participation.    

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.