Réforme du droit des entreprises en difficulté : l’articulation du droit des sûretés et des procédures collectives enfin prise en compte

L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, répond à une double habilitation prévue par la loi PACTE consistant, d’une part à la transposition des textes européens en matière d’insolvabilité et, d’autre part, à l’articulation du droit des sûretés avec le droit des entreprises en difficulté (art. 60, 14° de la loi PACTE). Cet article se propose de passer en revue les dispositions propres à assurer cette articulation.

Le nouveau droit des sûretés

Le droit des sûretés, c’est-à-dire l’ensemble des mécanismes ayant pour finalité de prémunir le créancier contre les conséquences de la défaillance de son débiteur, a toujours été étroitement lié et fortement complémentaire du droit de l’insolvabilité des entreprises. La relation est ontologique, presque tautologique : les sûretés visent à offrir un surcroit de garantie de remboursement qui est tout particulièrement utile lorsque le débiteur est en difficulté financière.

Les réformes passées, du droit des sûretés (2006, 2016), ou des procédures collectives (2005, 2009, 2012, 2014), furent partielles et, surtout, conçues et menées séparément. Il en résulte des points de friction et, plus généralement, une insécurité juridique cause d’inefficiences.

Ainsi s’expliquait l’habilitation spécifique donnée au gouvernement par la loi PACTE pour « simplifier, clarifier et moderniser les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce ».

Simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité.

L’articulation vise évidemment le nouveau droit des procédures collectives issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021, entrée en vigueur pour l’essentiel au 1er octobre 2021, et le nouveau droit des sûretés issu d’une autre ordonnance du 15 septembre 2021, dont les dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2022.

La réforme des sûretés a pour ambition non négligeable de « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants ».

En effet, la réforme de 2006 n’avait porté que sur les seules sûretés réelles, laissant de côté le cautionnement, et sa jurisprudence complexe et touffue, et les privilèges, obscurs et souvent désuets. Mais les dispositions relatives à une meilleure coordination avec le droit des entreprises en difficulté est logé dans la seule ordonnance dite « procédure collective ».

L’articulation dessinée par le gouvernement comporte un ensemble de mesures, dont la présentation est malaisée, en dehors d’une liste à la Prévert, la poésie en moins, tant on peine à trouver des lignes directrices simples.

Sans aucun doute est-il ici poursuivi un « triple objectif de simplification du droit des sûretés, de renforcement de son efficacité et de préservation de l’équilibre entre les intérêts en présence » selon le rapport remis au Président de la République. Cela demeure néanmoins trop général, et nous proposons donc d’adopter une présentation sur un critère chronologique, comme dans le rapport précité, et d’identifier les mesures visant les sûretés avant l’ouverture de la procédure et celles visant les sûretés après l’ouverture de la procédure.

Les mesures antérieures à l’ouverture de la procédure collective.

Dans le contexte d’une procédure de conciliation, le garant du débiteur bénéficiera plus largement des délais de grâce octroyés par le juge.

La prévisibilité pour les parties lors de l’accord de conciliation est également améliorée dans la mesure où celui-ci pourra préciser le sort des garanties prises en cas de caducité ou de résolution de l’accord de conciliation. Cette liberté conventionnelle ne fera toutefois pas obstacles à l’application des dispositions impératives en cas d’ouverture d’une procédure collective, notamment la durée de la période suspecte qui devrait englober la période « sous conciliation » en cas de caducité ou de résolution de celle-ci. La question se posera de savoir si l’homologation de l’accord de conciliation aura une incidence sur cette solution.

L’autre grande amélioration porte sur l’aménagement du régime des nullités de plein droit en vue d’améliorer la conservation du gage commun des créanciers. Il est en effet décidé que, désormais, sont soumises aux nullités de plein droit toutes les sûretés réelles conventionnelles, cautionnement réel compris, ainsi que tout droit de rétention conventionnel dès lors que ces sûretés garantissent des dettes antérieures. Une exception, notable, est prévue toutefois pour les cessions de créances professionnelles (cessions Dailly) qui interviennent en exécution d’un contrat-cadre conclu antérieurement à la date de cessation des paiements.

Enfin, est également consacrée la jurisprudence qui en cours de période suspecte autorise la substitution de nouvelles sûretés de nature et d’assiette équivalentes à l’ancienne sûreté.

Les mesures postérieures à l’ouverture d’une procédure collective.

L’objectif principal d’équilibre des intérêts en présence impose un régime juridique des sûretés propre au droit des entreprises en difficulté. Cet objectif repose d’ailleurs également sur la directive transposée, puisque celle-ci prévoit que lors des procédures préventives, il faut organiser une suspension des poursuites individuelles s’imposant à tous les types de créances, en ce compris les créances garanties et celles privilégiées.

Ces mesures accroissent les pouvoirs du juge-commissaire.

Désormais donc, en période d’observation, le juge commissaire peut autoriser la constitution de toute sûreté réelle conventionnelle (suppression de l’énumération limitative existant jusqu’alors). Le paiement du transporteur qui exerce son action directe peut être autorisé par le juge commissaire, et peut également, être autorisé alors l’exercice du retrait litigieux de l’article 1699 du code civil par le débiteur.

Ces mesures accroissent les pouvoirs du juge-commissaire pour qu’il « personnalise » la solution en tenant compte de la situation du débiteur et celle des créanciers titulaires de sûretés.

Par mesure de simplification, il est désormais simplement indiqué que « les biens grevés d’une sûreté réelle spéciale ou d’une hypothèque légale » donnent lieu à versement en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations, d’une quote-part de son prix de vente. Est ainsi supprimée l’énumération préexistante. Cette même simplification est reproduite en cas de plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

Le champ d’application de l’arrêt et de l’interdiction des procédures d’exécution est étendu aux bénéficiaires de sûretés réelles mobilières ou immobilières consenties par un tiers pour le débiteur failli. Est par ailleurs interdit, à compter du jugement d‘ouverture tout accroissement de l’assiette d’une sûreté réelle conventionnelle ou d’un droit de rétention conventionnel : sont notamment concernés les nantissements de comptes-titres.

Cette mesure est dite de cohérence, puisque désormais les cessions de créance future à titre de garantie et le nantissement de créance prennent effet dès la conclusion de l’acte, alors même que la créance peut ne naître qu’ultérieurement. Appliquée aux procédures collectives, cette solution risque de priver l’entreprise de sa trésorerie, faisant obstacle à la poursuite de l’activité : elle est donc écartée.

La déclaration des sûretés impose dorénavant de mentionner l’assiette de la sûreté et non plus seulement sa nature. En cas de défaut de cette déclaration, les sûretés sont inopposables au débiteur.

Cette mesure vise à mieux protéger les garants personnes physiques. Cet objectif est confirmé par quelques autres dispositions, comme celle qui offre au garant de la dette d’autrui de procéder à la déclaration de leur créance personnelle même avant paiement et ce afin qu’ils puissent sauvegarder leur recours personnel.

Nous avons déjà mentionné le nouveau privilège de « post money »,  c’est-à-dire d’apport d’argent frais en procédure collective. Il est également procédé à une nouvelle synthèse des règles de classement des créances en cas de liquidation judiciaire. Mais ces règles ne créent pas de droits nouveaux, ni ne modifient l’ordre des créances tel qu’il existait jusqu’alors.

En définitive, l’amélioration de l’articulation passe par de multiples mesures techniques dont le seul fil conducteur est celui d’une simplification équilibrée des droits des créanciers, du débiteur en difficulté et de ses garants.

La pratique nous dira si cela est justifié, … ou non.

 

 

 

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Stéphanie Chatelon

Stéphanie Chatelon, Avocat Associée, dirige le département droit des affaires. Elle conseille les entreprises en difficulté et gère régulièrement toutes les questions relatives aux mesures de prévention, procédures collectives et […]

Marie Waechter

Marie est senior manager dans l’équipe Legal et traite plus particulièrement des questions relatives aux entreprises en difficulté. Avant de rejoindre Deloitte Société d’Avocats, Marie avait exercé au sein d’un […]

Hermine Robert

Hermine est Senior au sein de l’équipe Restructuring.

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Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]