Procédure de conciliation : l’efficacité des sûretés prises en garantie d’un apport d’argent frais

La Cour de cassation a récemment mis fin à une incertitude née d’une jurisprudence de 2019 sur le maintien des sûretés accordées lors d’une procédure de conciliation en cas de caducité de celle-ci en raison de l’ouverture d’une procédure collective. Dans son arrêt du 26 octobre dernier, elle donne une interprétation des nouvelles dispositions du Code de commerce en se conformant à l’esprit de la loi qui vise à faciliter l’apport d’argent frais, grâce aux garanties données à ces « nouveaux » créanciers. La Cour de cassation juge en effet que la caution donnée pour garantir le prêt accordé dans un plan de conciliation demeure pleinement efficace, en dépit de la caducité du plan, pour la garantie des sommes nouvellement prêtés (argent frais).

Un premier arrêt pouvant fragiliser la procédure de conciliation 

Un traitement efficace des difficultés des entreprises est un traitement qui intervient le plus en amont possible. Depuis l’introduction en droit français d’outils de prévention (mandat ad hoc et procédure de conciliation) devant permettre un traitement anticipé des difficultés d’un débiteur, le législateur français n’a eu de cesse d’en promouvoir l’utilisation. Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation de 2019 est cependant venu fragiliser la procédure de conciliation en semant le trouble sur le sort des sûretés négociées dans le cadre de la procédure, en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective à l’égard du débiteur. Le législateur, puis le juge, sont tour à tour intervenus pour rassurer les parties prenantes, en particulier les créanciers, et donner des gages d’efficacité pour encourager l’utilisation de ces outils qui ont fait leurs preuves.

L’article L.611-12 du code de commerce prévoit que l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, met fin de plein droit à l’accord de conciliation constaté ou homologué. Dans un arrêt du 25 septembre 2019 (n°18-15.655), la chambre commerciale de la Cour de cassation en a tiré les conséquences et jugé que : « si le créancier, qui a consenti des délais ou des remises de dettes [à un débiteur] dans le cadre de l’accord de conciliation, recouvre l’intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l’accord ». En l’occurrence, l’échec de l’accord de conciliation avait entraîné sa caducité, mais également celle des sûretés qui avaient été consenties par le débiteur, en contrepartie d’abandons de créances (antérieures) négociés dans le cadre dudit accord.

La pratique a vivement réagi à cet arrêt. Elle s’est notamment interrogée sur la portée à lui donner et le risque qu’il touche également les sûretés mises en place dans le cadre d’un accord de conciliation pour garantir le bon remboursement d’apports d’argent frais (new money). Les négociations entre les parties dans le cadre d’une procédure de conciliation se sont trouvées entravées par cette décision. Les créanciers étaient plus réticents à consentir de nouveaux concours en conciliation puisqu’ils ne pouvaient avoir de certitude quant à la possibilité d’actionner ensuite leurs sûretés. Cela a eu pour conséquence de fragiliser la procédure de conciliation.

Un nouvel encouragement à recourir à la conciliation

Depuis cet arrêt, le législateur et le juge sont intervenus afin de clarifier le droit positif en renforçant l’efficacité des sûretés pour rassurer les praticiens et encourager la pratique à recourir à cette procédure clé qu’est la conciliation.

Le législateur est d’abord intervenu dans le cadre de la transposition de la directive « Restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019 (n°2019/1023) en introduisant un nouvel article L.611-10-4 du code de commerce par ordonnance du 15 septembre 2021 (n°2021-1193). Cet article prévoit que :  « la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences ». Le rapport au président de la République indiquait à cet égard qu’il s’agissait d’apporter plus de prévisibilité aux parties à l’accord de conciliation, qui pourront notamment préciser le sort des garanties prises dans ce cadre, en cas de caducité ou de résolution. C’est un premier élément de nature à rassurer les parties prenantes. Il est désormais possible de prévoir conventionnellement que les sûretés constituées en garantie d’un apport d’argent frais survivront en cas de caducité de l’accord de conciliation dans le cadre duquel elles avaient été négociées.

La Cour de cassation cherche à rassurer les parties prenantes et à sécuriser la conciliation

Dans un arrêt récent publié au bulletin (26 octobre 2022, n°21-12.085), la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à se prononcer dans une affaire qui concernait précisément cette question. Il est désormais clairement jugé que : « la caducité du plan de conciliation résultant de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire n’entraîne pas l’extinction des sûretés qui garantissent le remboursement d’un nouvel apport de trésorerie consenti au débiteur ». En l’espèce, un établissement de crédit avait conclu avec son débiteur un accord de conciliation homologué dans lequel il s’engageait à consentir un prêt dont le gérant du débiteur s’était rendu caution solidaire. Le débiteur a ensuite été mis en redressement judiciaire et l’établissement de crédit a assigné le dirigeant en paiement au titre dudit cautionnement. La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel qui avait déclaré caduc le cautionnement du fait de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur.

Cette solution, qui répond ainsi aux attentes de la pratique, et qui est de nature à la rassurer, doit cependant être bien comprise. La Cour de cassation indique sans ambiguïté que seules les sûretés garantissant l’apport de fonds nouveau demeurent efficaces en dépit de la caducité du plan de conciliation.

Les garanties et sûretés consenties dans le cadre de l’accord de conciliation qui sont relatives à des délais ou des abandons de créances, ces créances étant antérieures, ne survivent pas à la caducité du plan de conciliation. Le créancier, dans ce cas, récupère les droits attachés à ces créances antérieures, ainsi que les éventuelles garanties et sûretés antérieures.

Ce n’est qu’au profit du créancier « qui a consenti, pour les besoins de l’accord, une avance donnant naissance à une nouvelle créance » que les garanties et sûretés alors accordées survivent à la caducité du plan de conciliation en raison de l’ouverture d’une procédure collective.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision du 26 octobre 2022, la Cour de cassation relève explicitement que « le concours de 75 000 euros consenti par la banque, destiné en partie au remboursement d’une ligne de découvert, […] constitue pour le surplus un nouvel apport en trésorerie ». On en déduit qu’il appartiendra donc à la juridiction de renvoi de vérifier la part du cautionnement qui survit, parce que garantissant la nouvelle créance, dite new money, de celle qui s’éteint, parce que relative à une créance préexistante lors de la procédure de conciliation.

Ces évolutions récentes auront ainsi permis de rassurer les parties prenantes et de sécuriser à nouveau la conciliation dont les caractéristiques en font une procédure à ne pas négliger dans la boite à outil proposée par le droit français des entreprises en difficulté.

 

Marie Waechter

Marie est senior manager dans l’équipe Legal et traite plus particulièrement des questions relatives aux entreprises en difficulté. Avant de rejoindre Deloitte Société d’Avocats, Marie avait exercé au sein d’un […]