Les stratégies de défense aux opérations de visite et de saisie de la DGCCRF

Toute entreprise est susceptible d’être confrontée un jour à une opération de visite et de saisie (« OVS ») de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (« DGCCRF »), qui veille à la régulation concurrentielle des marchés, à la protection économique des consommateurs, ainsi qu’à leur sécurité. Quelles stratégies faut-il adopter pour préserver ses droits loyalement ?

Lorsque ses pouvoirs d’enquête ordinaires ne lui permettent pas de réunir les preuves d’un manquement ou d’une infraction, la DGCCRF peut saisir le juge des libertés et de la détention (« JLD ») afin d’être autorisée à la mise en œuvre de ses pouvoirs coercitifs (auditions, saisie forcée de documents et de tout support d’information, etc.) dans le cadre de ce que l’on nomme une OVS. Le caractère répressif de ces opérations a amené le législateur, puis la jurisprudence à l’édiction et au respect de règles de procédures destinées à protéger les droits de la défense de l’entreprise.

Le principe est que tout manquement à ces procédures protectrices est susceptible de constituer un moyen de contestation par les entreprises incriminées.

Des moyens de défense limités lors du déroulement des OVS

Durant la phase de déroulement des OVS, les moyens de défense de l’entreprise sont relativement limités. En effet, le secret professionnel est inopposable aux enquêteurs (Article L. 512-3 du Code de la consommation) et toute société perquisitionnée a l’obligation de fournir une coopération loyale et raisonnable à l’enquête, au risque de commettre un délit d’opposition à fonction1. Durant cette phase, l’entreprise dispose toutefois du droit de se faire assister par un avocat, lequel devra notamment s’assurer de la régularité du déroulement des OVS.

La possibilité de former des recours contre l’ordonnance d’autorisation et contre le déroulement des opérations de visite et de saisie

Les moyens de défense de l’entreprise sont plus nombreux a posteriori. On peut alors envisager En effet, deux types de recours : l’un à l’encontre de l’ordonnance d’autorisation des OVS et l’autre à l’encontre du déroulement des OVS. Ces recours doivent être formés dans un délai de dix jours à compter de la notification de l’ordonnance dans le premier cas, ou à compter de la remise, de la réception ou de la notification du procès-verbal et de l’inventaire dans le second (Articles L. 512-63 et L. 512-64 du Code de la consommation).

A ce stade, il est fondamental d’identifier les éventuelles irrégularités de procédure de nature à fonder une demande en annulation de l’ordonnance ayant autorisé les OVS (Cass. Crim. 30 sept. 1991, n° 90-83.579 ; CA Metz, 5e chambre, 25 nov. 2011, n° 10/04248).

Principaux moyens de contestation des ordonnances autorisant les opérations de visite et de saisie

La jurisprudence rendue en la matière offre un catalogue des irrégularités susceptibles de constituer efficacement un moyen de contestation de l’ordonnance du JLD :

  • L’absence de vérification concrète du bien fondée de la demande d’autorisation d’OVS par le JLD (L. 512-52 du Code de la consommation). La jurisprudence exige en effet du JLD que son contrôle soit effectif, réalisé in concreto et de manière autonome par rapport à la demande de l’administration (CA Metz, 5e chambre, 25 nov. 2011, précitée)
  • Le caractère trop large du champ d’application de l’ordonnance d’autorisation des OVS. L’autorisation doit en effet avoir un objet limité et déterminé au regard des agissements pour lesquels une preuve est recherchée (Cass. Com. 6 avril 1993, n° 91-17.835)
  • La déloyauté de la preuve de l’autorisation. La Cour de cassation sanctionne l’absence de vérification par le JLD de l’obtention de manière « apparemment licite » des documents communiqués dans la demande d’autorisation par l’administration (Cass. Crim, 21 mars 2018, n°16-87.189)
  • Le défaut de mentions spécifiques permettant d’organiser la défense. L’absence de mentions dans l’ordonnance relatives au lieu de la visite (Cass. Com. 29 oct. 1991, n°90-12.924) , à la possibilité pour l’occupant des lieux ou son représentant de faire appel au conseil de son choix (Article L. 512-58 alinéa 2 du Code de la consommation) et relatives aux voies et délais de recours dont dispose l’occupant des lieux ou son représentant (Article R. 512-39 du Code de la consommation) entachent la validité de l’autorisation délivrée

Ces moyens de contestation ont déjà permis d’obtenir l’annulation d’ordonnances autorisant des OVS – ce qui implique par voie de conséquence, dans certaines hypothèses, l’annulation des saisies réalisées (Cass. Crim. 30 sept. 1991, n° 90-83.579 ; CA Metz, 5e chambre, 25 nov. 2011, n° 10/04248).

L’annulation n’est toutefois pas la règle statistique et il est important de souligner que peu d’ordonnances d’autorisation des OVS sont annulées en pratique. Les juges gardent une large marge d’appréciation des causes d’annulation en la matière et le fond du litige peut avoir une influence sur la décision ou non d’annuler une ordonnance.

Le droit de demander la destruction et/ou la restitution de certains documents protégés dans le cadre du recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie

Le principal moyen de défense dans le cadre d’un recours contre le déroulement des OVS est celui consistant à solliciter la destruction et/ou la restitution de l’ensemble des documents saisis irrégulièrement ou en violation des droits de la défense (Cass. Com., 20 mai 2009, n° 07-86.437). La Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée dans le même sens dans un arrêt du 21 mars 2017, JANSSEN CILAG S.A.S. contre France, requête n° 33931/12) . Ainsi, les enquêteurs ne sont pas autorisés à saisir les documents protégés par le secret des correspondances avocat-client, par la protection de la vie privée ou ceux qui n’ont aucun lien avec l’affaire en cause (Cass. Com., 20 mai 2009, n° 07-86.437). La Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée dans le même sens dans un arrêt du 21 mars 2017, JANSSEN CILAG S.A.S. contre France, requête n° 33931/12).

A cet égard, la Cour de cassation a récemment retenu qu’il appartenait à la société ayant fait l’objet des OVS contestées de désigner précisément les documents protégés afin d’obtenir leur restitution (Cass. Crim., 11 juil. 2017, 16-81.066). La Cour a également précisé que la réalisation d’une saisie trop large – comprenant des documents protégés – ne permet pas d’annuler l’intégralité de la saisie si les éléments appréhendés concernaient « au moins en partie » les pratiques incriminées (Cass. Com., 20 mai 2009, n° 07-86.437).

Une OVS présente en outre un risque important pour l’entreprise car c’est à cette occasion que les enquêteurs sont susceptibles de recueillir des éléments de preuve qui pourront fonder le prononcé de sanctions, dont les montants sont parfois spectaculaires. Dans ce contexte, il ne peut qu’être recommandé aux entreprises d’user de leur droit d’être assistées d’un avocat pendant le déroulement des opérations. Ce dernier pourra en effet s’assurer de la régularité des OVS et pourra utilement conseiller l’entreprise sur le comportement à adopter face aux enquêteurs afin de contenir le risque de conséquences qui lui seraient préjudiciables. 


1 Conformément à l’article L. 531-1 du Code de la consommation, le délit d’opposition à fonction est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros (1,5 million d’euros pour les personnes morales). Le même article dispose que « le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits ». En vertu de l’article L. 531-2 du même Code, des peines complémentaires peuvent également être prononcées à l’encontre des (i) personnes physiques (et notamment l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale) et (ii) de la personne morale incriminée (peines prévues aux 2° à 9° de l’article 131-39 du Code pénal et notamment la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans de l’établissement ou l’exclusion des marchés publics).

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