Sort des déficits constatés par une société étrangère au cours d’une période où elle n’était pas imposable en France

Le Conseil d’État juge qu’une société qui devient imposable en France ne peut reporter sur le résultat fiscal de son 1er exercice des déficits constatés sur la période au cours de laquelle une convention fiscale faisait obstacle à son imposition.

L’histoire

Une société luxembourgeoise, ayant pour activité principale la location d’immeubles, détient depuis sa création, en 2004, plusieurs biens immobiliers en France, qu’elle donne en location.

Si, en principe, une personne morale étrangère est imposable en France sur ses revenus tirés de la location de biens immobiliers y étant situés, la société y échappait toutefois à toute imposition à raison d’une divergence d’interprétation entre le juge français et le juge luxembourgeois de l’ancienne convention fiscale franco-luxembourgeoise.

Ainsi, face au silence de l’ancienne convention franco-luxembourgeoise, la difficulté était de savoir si les revenus provenant de l’exploitation ou de la vente de biens immobiliers par une entreprise relevaient de l’article 3 (biens immobiliers) ou de l’article 4 (bénéfices des entreprises). Les juridictions françaises et luxembourgeoises en retenaient des interprétations contraires, si bien qu’en pratique, aucune imposition n’était applicable aux revenus immobiliers réalisés en France par une société commerciale de droit luxembourgeois.

La convention a cependant été modifiée par un avenant du 24 novembre 2006, avec une application à compter du 1er janvier 2008, aux fins de clarifier expressément le sort des revenus des biens immobiliers perçus par une société commerciale (imposition dans l’État de situation desdits biens).

Aussi, la société luxembourgeoise précitée est devenue imposable à l’IS en France à compter de l’exercice 2008.

Pour établir sa 1re déclaration française au titre de l’exercice 2008, la société luxembourgeoise a fait la part dans ses comptes entre ce qui relevait de ses activités au Luxembourg et ce qui relevait de ses activités en France. Elle a ainsi procédé au retraitement de ses écritures comptables, afin d’isoler l’actif net relatif à ses opérations imposables en France, ainsi que les charges et les produits s’y rapportant.

À l’issue d’un contrôle portant sur les exercices 2010 et 2011, l’Administration a remis en cause :

  • L’inscription par la société, à son bilan de clôture de l’exercice 2008, d’un report à nouveau déficitaire correspondant aux pertes comptables calculées au titre de son activité française pour les exercices antérieurs à 2008 ;
  • Le défaut d’inscription à son bilan de clôture de l’exercice 2008 d’un terrain acquis en France en 2007. Elle a dès lors procédé à la correction de cet actif au bilan de clôture de l’exercice clos en 2010 (1er exercice non prescrit).

La société luxembourgeoise a contesté le redressement devant les juridictions.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État vient conforter la position retenue par le service vérificateur.

S’agissant des reports déficitaires, il juge que, dès lors que l’activité de la société luxembourgeoise n’était devenue imposable en France qu’à compter du 1er janvier 2008, le report à nouveau déficitaire dont la société entendait se prévaloir ne pouvait correspondre à un déficit fiscal au sens de l’article 209, I, alinéa 3 du CGI, susceptible d’être pris en compte pour la détermination du résultat imposable.

Si la formulation retenue par le Conseil d’État est relativement lapidaire, les conclusions du rapporteur public apportent des éléments de contexte éclairants.

Il indique ainsi que « le report à nouveau en litige a été calculé au terme d’opérations de retraitement de sa comptabilité luxembourgeoise, sur laquelle l’administration française n’exerce pas de contrôle ; elle ne peut en particulier en contrôler les modalités de calcul ».

Il précise également que la solution retenue est propre à l’hypothèse où l’absence d’imposition antérieurement à 2008 découlait de l’application d’une convention fiscale et non d’un choix purement national (ce qui soulèverait potentiellement un risque d’atteinte à la liberté d’établissement).

Le Conseil d’État confirme, par ailleurs, que le défaut d’inscription du terrain pour sa valeur d’origine (ainsi que le commandent les dispositions de l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI) entraînait bien une variation de la valeur de l’actif net de la société, autorisant l’Administration à procéder à la correction de cet actif au bilan de clôture de l’exercice clos en 2010 (1er exercice non prescrit).    

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.