L’entrée en vigueur au 1er février 2016 du 4e avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise marque un tournant dans les schémas d’investissement immobiliers en France via des sociétés holdings luxembourgeoises. En effet, le nouvel avenant accorde désormais à la France un droit d’imposition sur les plus-values de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière (« SPI ») réalisées par un cédant luxembourgeois. La définition de la notion de SPI insérée par le 4e avenant revêt dès lors une importance toute particulière.
L’article 3 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, dans sa nouvelle rédaction issue du 4e avenant, prévoit désormais que « les gains provenant de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société […] dont l’actif ou les biens sont constitués pour plus de 50 % de leur valeur ou tirent plus de 50 % de leur valeur – directement ou indirectement par l’interposition d’une ou plusieurs autres sociétés, […] – de biens immobiliers situés dans un État contractant ou de droits portant sur de tels biens, ne sont imposables que dans cet État. […] ».
Au regard de la nouvelle rédaction de l’article 3 précité, une société pourra être définie comme étant à prépondérance immobilière si, de manière directe ou indirecte, (i) son actif ou ses biens sont constitués pour plus de 50 % de leur valeur de biens immobiliers ou (ii) si son actif ou ses biens tirent plus de 50 % de leur valeur de biens immobiliers ou de droits portant sur de tels biens (les immeubles affectés par la société à sa propre activité d’entreprise étant expressément exclus du champ d’application de cette définition).
Si le premier critère de cette définition de SPI est relativement simple à appréhender, il convient de s’interroger sur la signification du deuxième critère, et plus précisément sur ce que pourrait recouvrir la notion d’actifs ou biens « tirant plus de 50 % de leur valeur » de biens immobiliers ou de droits portant sur de tels biens.
En effet, en adoptant une lecture littérale de ce texte, ne serait-il pas possible de considérer que les biens dont la valeur est liée à un sous-jacent de nature immobilière sont nécessairement des biens « tirant leur valeur de biens immobiliers » ? Ainsi, une créance ayant pour objet le financement d’un investissement immobilier et garantie par ce bien, ou bien un produit dérivé adossé à la performance de biens de nature immobilière, pourraient devoir être pris en compte pour l’appréciation de la prépondérance immobilière au sens de la convention et ce, en dépit de la nature mobilière de ces actifs en vertu du droit interne des pays signataires.
Une telle approche aurait pour conséquence d’étendre la notion de société à prépondérance immobilière au-delà des dispositions du droit interne. En effet, l’article 219-I-a-sexies-0 bis du Code général des impôts (CGI) français prévoit l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun des plus-values réalisées par les sociétés sur la cession de titres de SPI, définies comme sociétés dont l’actif est, à la date de la cession de ses titres ou a été, à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail ou par des titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière.
En se fondant sur une détention directe ou indirecte de droits réels immobiliers (et sous réserve de l’inclusion des droits afférents à un contrat de crédit-bail), la définition de la SPI telle qu’adoptée en droit interne français est donc clairement plus restrictive que celle qui pourrait résulter de la lecture stricte des termes de la nouvelle convention franco-luxembourgeoise.
Or, le rôle d’une convention fiscale bilatérale est bien ici limité à une simple attribution du droit d’imposer un gain à un pays signataire de la convention ou à l’autre. Le régime d’imposition du gain est, lui, déterminé au regard de la loi fiscale nationale du pays auquel le droit d’imposer a été dévolu.
Ainsi, même si une lecture littérale de la nouvelle convention franco-luxembourgeoise devait prévaloir, les titres d’une société dont plus de 50 % de l’actif serait constitué, par exemple, de créances ayant pour objet le financement de l’acquisition d’immeubles situés en France ne pourraient être qualifiés de titres de SPI et imposés comme tels en France.
En revanche, dès lors que la convention devrait être considérée comme attribuant le droit d’imposer à la France, il résulterait nécessairement d’une lecture stricte des textes que la société luxembourgeoise cédante soit imposée en France selon le régime de titres ne recevant pas la qualification de SPI en vertu du droit interne. Dès lors la société cédante luxembourgeoise serait soit non imposée en France si elle détient moins de 25 % des droits de la société cédée, soit imposée avec bénéfice éventuel, si les conditions en sont remplies, du régime dit du « long terme » permettant la taxation au taux de 33,1/3 % d’une seule quote-part de frais et charges égale à 12 % de la plus-value taxable.
Une telle lecture de la nouvelle version de la convention franco-luxembourgeoise étendrait ainsi significativement et de manière inattendue le champ d’application de l’imposition en France des plus-values sur titres de sociétés même non strictement à « prépondérance immobilière » au sens du droit français.
Il est intéressant de noter qu’une rédaction similaire à celle adoptée par la nouvelle convention franco-luxembourgeoise, laquelle est conforme tant aux modèles OCDE1 qu’à l’instrument multilatéral2, a été retenue par des conventions fiscales bilatérales plus anciennes conclues par la France comme celles actuellement en vigueur avec le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou la Chine.
Il semble toutefois qu’il n’existe pas encore de jurisprudence interprétative de ces conventions confirmant ou infirmant nettement une telle lecture littérale de la notion de biens dont la valeur est tirée de biens immobiliers et donc de la qualification de sociétés « conventionnellement immobilières » à défaut de l’être en vertu du droit interne.
1 Modèle de convention fiscale de l’OCDE daté de 2014 et projet de mise à jour 2017.
2 Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices en date du 7 juin 2017.