Par décision du 12 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme valide le système spécifique de réparation des victimes d’accidents du travail et maladies professionnelles causés par une faute inexcusable de l’employeur, auquel la requérante reprochait de ne pas garantir une indemnisation intégrale, contrairement à ce que prévoit le régime de droit commun.
Ce dispositif était contraire selon elle aux dispositions de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui pose le principe de l’interdiction des discriminations.
La Cour écarte l’argumentation de la requérante, en estimant qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14.
Elle souligne à cet égard que « pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14 de la Convention, il doit y avoir une différence de traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables ».
Or, selon la Cour, « la situation d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle n’est pas la même que celle d’une personne victime d’un dommage qui se produit dans un autre contexte ».
La Cour relève à ce sujet que « le régime français de la responsabilité en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles est ainsi très différent du régime de droit commun en ce que pour beaucoup, il ne repose pas sur la preuve d’une faute et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage, et sur l’intervention d’un juge, mais sur la solidarité et l’automaticité ».
La position de la Cour est similaire à celle prise par le Conseil constitutionnel en 2010 (CC n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010). Elle reprend en effet à son compte l’argumentation du Conseil constitutionnel justifiant la spécificité du régime français d’indemnisation des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles (AT/MP) qui garantit l’automaticité, la rapidité et la sécurité de cette indemnisation pour aboutir au même résultat : le système français d’indemnisation est validé.
La réserve formulée par le Conseil constitutionnel à l’occasion de sa décision conserve toute son actualité : la victime d’un accident du travail, dû à une faute inexcusable de l’employeur, peut obtenir réparation auprès de ce dernier de « l’ensemble des dommages non-couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».
Pour mémoire, ce livre IV fixe les prestations légales (prise en charge des soins médicaux, indemnités journalières, capital ou rente viagère) ainsi que les compléments prévus en cas de faute inexcusable (majoration du capital ou de la rente et indemnisation de certains préjudices, tels que, par exemple, souffrances physiques et morales ou le préjudice esthétique).
Parmi les dommages non couverts par le livre IV, figurent l’assistance temporaire par une tierce personne pour les activités courantes ou l’incapacité temporaire d’effectuer des actes de la vie courante (ou déficit fonctionnel temporaire).
Seuls les dommages ne donnant lieu à aucune indemnisation au titre du livre IV peuvent faire l’objet d’une réparation complémentaire en cas de faute inexcusable. A l’inverse, si un préjudice est couvert, ne serait-ce que partiellement, le salarié ne peut obtenir une indemnisation complémentaire.
Quoique la réserve formulée par le Conseil constitutionnel demeure d’actualité, elle a été vidée, dans les faits, de sa substance par la Cour de cassation, qui réduit à une peau de chagrin les préjudices non-couverts par le livre IV, en étendant le périmètre de ceux qu’elle estime indemnisés à ce titre.
Ainsi, par exemple, elle refuse que l’assistance permanente par une tierce personne pour les actes de la vie courante puisse être indemnisée distinctement, aux motifs que l’attribution d’une rente indemnise ce préjudice, en plus de la perte des salaires (Cass. Civ. 2e 28 novembre 2013 n° 12-25.338).
Résultat : la victime d’un accident du travail causé par une faute inexcusable de l’employeur est mal indemnisée.
On pourrait espérer que la législation change pour gagner en efficacité et en justice. Rien n’est moins sûr. La loi de 1898 qui forme l’architecture du régime d’indemnisation AT/MP est un monument historique qui tombe en ruine, mais qui n’est pas près d’être réhabilité ou modernisé. Trop compliqué et trop cher.