Transfert de déficits : Notion de « changement significatif » d’activité

La CAA de Paris juge que constitue un changement significatif d’activité le passage, par la société absorbée, d’une activité de fabrication à une activité de commercialisation, faisant dès lors obstacle au transfert de ses déficits à l’absorbante.

Rappel

En cas de fusion bénéficiant du régime de faveur, les déficits antérieurs générés par la société absorbée et non encore déduits au jour de la fusion et qui ne bénéficient pas du transfert de plein droit, peuvent être reportés sur les bénéfices ultérieurs de la société absorbante si un agrément est obtenu à ce titre.

L’agrément est de droit lorsque :

  • l’opération est placée sous le régime de l’article 210 A du CGI ;
  • elle est justifiée du point de vue économique et obéit à des motivations principales autres que fiscales (CGI, art. 209 II a) ;
  • l’activité à l’origine des déficits n’a pas subi de changement significatif (appréciation au moyen de critères relatifs à la clientèle, à l’emploi, aux moyens d’exploitation mis en œuvre, ainsi qu’à la nature et au volume d’activité) pendant la période de réalisation des déficits (CGI, art. 209 II b) – qui s’étend de l’exercice de naissance des déficits jusqu’à celui au cours duquel la demande de transfert est effectuée (CE 9 juin 2020 n°436187, société ID Espace) ;
  • l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé doit être poursuivie pendant un délai minimum de 3 ans, sans faire l’objet, pendant cette période, de changement significatif apprécié selon les mêmes modalités – i.e. clientèle, emploi, moyens d’exploitation mis en œuvre, nature et volume d’activité (CGI, art. 209 II c) ;
  • les déficits ne proviennent ni de la gestion d’un patrimoine mobilier par des sociétés holdings, ni de la gestion d’un patrimoine immobilier (CGI, art. 209 II d).

En tout état de cause, la demande d’agrément doit être préalable à l’opération (CGI, art. 1649 nonies).

Si la jurisprudence relative à ces conditions d’octroi de l’agrément, telles que modifiées par la 2e LFR 2012 est, pour l’heure, encore relativement rare, rappelons que le Conseil d’État a toutefois jugé que ces aménagements concernent les déficits dont le transfert est demandé au cours d’un exercice clos à compter du 4 juillet 2012, peu importe l’exercice au titre duquel les déficits ont été constatés (CE, 25 octobre 2017, n°401403, Sté Serena Caoutchouc).

Il a également précisé à cette occasion que la condition relative à l’absence de changement significatif de l’activité à l’origine des déficits doit s’apprécier au regard de la seule activité transférée (en particulier, l’Administration ne saurait, pour évaluer si l’activité transférée a subi un changement significatif, prendre en compte des éléments relatifs à une autre activité que celle à l’origine des déficits dont le transfert est demandé).

L’histoire

Une société, qui exerçait son activité dans le domaine de la filtration de l’air, a été absorbée le 31 mars 2016 par une société du même groupe, avec effet rétroactif au 1er janvier 2016.

Préalablement à cette opération, la société absorbante avait sollicité la délivrance de l’agrément prévu à larticle 209, II du CGI, pour pouvoir bénéficier du transfert des déficits non encore déduits par la société absorbée.

L’Administration a refusé de faire droit à cette demande, au motif que l’activité à l’origine des déficits dont le transfert était demandé avait fait l’objet d’un changement significatif. Elle soulignait, à cet égard, que la société absorbée avait connu, au cours de la période déficitaire, une diminution de 80 % de son activité globale, de 93 % des immobilisations consacrées à son activité et de 92 % de l’effectif des salariés. Elle considérait que ces changements étaient la conséquence de l’arrêt de l’activité principale de production et de distribution de systèmes de filtration et de dépoussiérage de l’air, exercée par la société au cours de la période de 2002 à 2005, à laquelle s’était substituée sur la période de 2006 à 2015 une activité différente, de distribution et de découpe, et, en outre, de la réduction importante de ces 2 activités sur la période de 2006 à 2015.

La société absorbante soutenait, elle, qu’elle avait présenté la demande d’agrément pour reporter les déficits de l’activité globale qu’exerçait l’absorbée, consistant en la commercialisation des systèmes de filtration d’air et en la découpe de panneaux, maintenue après la restructuration de la société opérée en 2005 – et reprise par l’absorbante en 2015.

La décision de la CAA de Paris

Reprenant le principe posé par le Conseil d’État dans sa décision Sté Serena Caoutchouc précitée, la Cour rappelle d’abord que la condition relative à l’absence de changement significatif de l’activité à l’origine des déficits doit s’apprécier au regard de la seule activité transférée, avant de le décliner au cas d’espèce.

Si elle ne conteste pas que la société absorbée avait bien exercé une activité de découpe de panneaux, elle juge que cette activité était distincte de ses autres activités, et était, de plus, bénéficiaire – de sorte qu’elle ne pouvait pas être regardée comme se trouvant à l’origine de tout ou partie des déficits dont le transfert a été demandé par la requérante.

Elle relève ensuite qu’à compter de sa réorganisation intervenue en 2005, la société avait cessé toute activité de fabrication pour se tourner vers une activité de négoce, consistant en l’achat et la revente de produits de filtration.

Elle en conclut donc à l’existence d’un changement significatif d’activité – la société absorbante n’étant, par ailleurs, pas en mesure d’établir que l’activité de commercialisation, à supposer qu’elle puisse être regardée comme une activité distincte de celle de production des systèmes de filtration, aurait généré des déficits.

On notera que la société requérante ne s’est pas pourvue en cassation.    

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.