Transfert de déficits sur agrément dans le cadre d’une fusion : nouvelles précisions d’importance

Le Conseil d’Etat juge, de manière nouvelle, que la demande de transfert de déficits présentée par la société absorbante dans le cadre de la procédure d’agrément prévue à l’article 209, II du CGI ne présente pas un caractère indivisible. Il confirme, en outre, qu’une diminution (même drastique) du chiffre d’affaires et des effectifs de la société absorbée au cours de la période de constitution des déficits dont le transfert est demandé, ne constitue pas nécessairement un changement significatif d’activité de nature à faire obstacle à la délivrance de l’agrément.

Rappel des principes applicables

L’agrément permettant le transfert des déficits dans le cadre d’une fusion ou d’une opération assimilée (placée sous le régime de l’article 210 A du CGI) était jusqu’à 2012 subordonné à 2 conditions cumulatives : la justification économique de l’opération et la poursuite de l’activité à l’origine des déficits transférés par l’absorbante pendant une durée minimale de 3 ans.

A compter de 2012, la loi est venue durcir les conditions d’octroi de l’agrément (CGI, art. 209, II, tel que modifié par la 2e LFR 2012).

Ainsi, l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé, ne doit pas avoir fait l’objet de changements significatifs :

  • pendant la période au titre de laquelle ces déficits ont été constatés, notamment en termes de clientèle, d’emploi, de moyens d’exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d’activité
  • ni pendant la période de 3 ans au cours de laquelle l’activité doit être maintenue après la fusion.

Par ailleurs, les déficits provenant de la gestion d’une société holding ou d’un patrimoine immobilier ne peuvent pas faire l’objet d’un agrément.

Si la jurisprudence relative à ces nouvelles conditions est, pour l’heure, encore relativement rare, rappelons que le Conseil d’État a toutefois jugé que ces aménagements concernent les déficits dont le transfert est demandé au cours d’un exercice clos à compter du 4 juillet 2012, peu importe l’exercice au titre duquel les déficits ont été constatés (CE, 25 octobre 2017, n°401403, Sté Serena Caoutchouc).

Il a également précisé à cette occasion que la condition relative à l’absence de changement significatif de l’activité à l’origine des déficits doit s’apprécier au regard de la seule activité transférée. En particulier, l’Administration ne saurait, pour évaluer si l’activité transférée a subi un changement significatif, prendre en compte des éléments relatifs à une autre activité que celle à l’origine des déficits dont le transfert est demandé.

Plus récemment, il a indiqué que la période au titre de laquelle doit être appréciée cette même condition, s’étend de l’exercice de naissance des déficits en cause jusqu’à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert (CE, 9 juin 2020, n°436187, société ID Espace).

L’histoire

En 2013, une société acquiert la totalité du capital d’une société exerçant une activité de fabrication de pièces de fonderie.

Courant 2017, cette filiale fait l’objet d’une dissolution sans liquidation, avec effet rétroactif au 1er janvier 2017.

Préalablement à la réalisation de l’opération, la société absorbante avait sollicité la délivrance de l’agrément prévu à l’article 209, II du CGI afin d’obtenir le transfert des déficits reportables constatés par l’absorbée au titre des exercices 2011, 2014 et 2015.

L’Administration a refusé de faire droit à cette demande, considérant que la condition tenant à l’absence de changement significatif d’activité de l’absorbée pendant la période au titre de laquelle les déficits ont été constatés n’était pas remplie.

Elle faisait valoir, à cet égard, qu’au cours de la période de référence (entre 2011 et 2016), le volume de l’activité avait considérablement diminué, le CA chutant de 1,6 m€ en 2011 à moins de 300 k€ en 2016, et le nombre de salariés de 25 à 7 au titre de la même période.

La société a vainement contesté ce refus devant les juridictions du fond, en demandant, à titre subsidiaire, l’annulation du refus d’agrément pour les seuls exercices 2014 et 2015.

La décision du Conseil d’Etat

Sur l’absence de caractère indivisible de la demande de transfert de déficits

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord que la période au titre de laquelle doit être appréciée la condition tenant à l’absence de changement significatif de l’activité de la société absorbée s’étend de l’exercice de naissance des déficits en cause jusqu’à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert (confirmation de sa jurisprudence CE, 9 juin 2020, n°436187, société ID Espace).

Il juge cependant, de manière inédite, qu’eu égard aux conditions et modalités d’exercice de l’activité transférée durant cette période, l’agrément peut être accordé par l’Administration pour une fraction seulement des déficits dont le transfert est demandé. De manière symétrique, le juge de l’excès de pouvoir peut annuler un refus d’agrément en tant seulement qu’il refuserait le transfert d’une fraction des déficits concernés.

Dans ses conclusions sous la décision, le rapporteur public souligne que ni la lettre de l’article 209, II du CGI, ni l’économie du dispositif ne semblent faire obstacle « à la faculté d’apprécier le changement d’activité au titre de plusieurs périodes distinctes, en fonction de l’exercice de naissance des différents déficits concernés ».

Sur l’absence de changement significatif d’activité

Après avoir annulé pour erreur de droit l’arrêt d’appel, en ce que la CAA s’est fondée, pour caractériser l’existence d’un changement significatif d’activité sur la seule baisse du CA et de l’effectif salarié, sans tenir compte des éléments caractérisant l’activité de la société au cours de la période de référence, ni du contexte économique, le Conseil d’Etat juge l’affaire au fond.

Au cas d’espèce, il souligne que les deux sociétés, absorbée et absorbante, ont été placées en redressement judiciaire en 2015, et que c’est dans le cadre du plan de continuation arrêté par le Tribunal de commerce que la TUP a été décidée.

Il relève, en outre, que la baisse drastique de CA et de personnel résultait de la réorganisation de l’activité industrielle de la société absorbée autour des clients les plus rentables afin de maintenir l’activité dans le cadre de la crise du secteur de la fonderie en France, et que, durant cette période, les moyens d’exploitation sont restés stables, et que les emplois maintenus, très spécialisés, ont permis la poursuite de l’activité de fonderie gravitaire en coquille jusqu’à 2023.

Il en conclut que dans ces conditions, les évolutions en termes de CA et d’effectifs de la société absorbée, destinées à assurer, par la réorganisation de l’entreprise, la continuation du cœur de son activité économique, ne sauraient caractériser un changement significatif d’activité.

Rappelons qu’il avait déjà jugé, par le passé, qu’une diminution chez la société absorbée, au cours de la période déficitaire, de ses emplois et des moyens d’exploitation qu’elle met en œuvre, ne saurait, à elle seule, lorsqu’elle est destinée à assurer le maintien du volume de l’activité à l’origine des déficits, être regardée comme un changement significatif d’activité justifiant le refus de l’agrément sollicité (CE, 2 avril 2021, n°429319, Sté Alliance Négoce).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.