La gestion et la restructuration par les établissements de crédit de leurs prêts non performants (ci-après « PNP », généralement dit « NPL », acronyme anglais pour Non Performant Loan) ainsi que la possibilité pour les établissements de crédit de vendre ces PNP sont essentiels pour préserver la stabilité financière en allégeant leurs bilans au regard des exigences prudentielles, ainsi que pour encourager l’activité de prêt en favorisant l’émergence d’un marché secondaire des PNP dans l’Union et en facilitant les opérations transfrontalières.
Poursuivant ces objectifs, l’Union européenne a adopté à la directive (UE) 2021/2167 du 24 novembre 2021 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits (ci-après la « Directive »). La transposition en droit français est intervenue avec l’ordonnance n°2023-1139 du 6 décembre 2023 (ci-après l’« Ordonnance ») dont les dispositions entrent en vigueur à compter du 30 décembre 2023.
Les acteurs du marché secondaire des PNP
Les divers acteurs du marché secondaire des crédits (autre dénomination des prêts) ne faisaient pas l’objet d’une réglementation spécifique. Jusqu’à présent, en effet, le droit français encadrait ces acteurs uniquement de façon marginale et indirecte, que ce soit au travers de dispositions applicables à l’activité de recouvrement amiable de dettes pour le compte de tiers, ou encore par l’application de principes généraux du droit bancaire liés au monopole bancaire. Mais de telles règles, éparpillées et éparses, demeuraient inaptes à un réel essor du marché secondaire des PNP en France.
L’adoption de l’Ordonnance introduit en droit interne français un régime juridique propre au marché secondaire des PNP, insérant dans le code monétaire et financier un nouveau Chapitre XI (au Titre IV du Livre V) intitulé « Les gestionnaires de crédits et acheteurs de crédits ».
On peut répartir les acteurs de ce marché secondaire en trois catégories.
En premier lieu, les acheteurs de crédits, qui sont toute personne physique ou morale, autre qu’un établissement de crédit, qui acquiert les droits issus d’un PNP ou le contrat de PNP lui-même et en devient le créancier.
Viennent ensuite les gestionnaires de crédits, définis comme une personne morale exerçant une activité commerciale qui gère et fait exécuter, pour le compte d’un acheteur de crédits, les droits et obligations liés au PNP ou aux droits du créancier au titre du contrat de PNP.
Enfin, une externalisation par le gestionnaire de crédit est possible auprès d’un prestataire de services de gestion de crédits qui va, sous la responsabilité du gestionnaire, exercer toute activité de gestion de crédits.
En raison de leur soumission à une réglementation et une supervision extensive et centrée sur le risque systémique ainsi que sur la protection des consommateurs de services financiers, les établissements de crédit de l’Union européenne qui exercent des activités de gestion de crédits ou d’achat de crédits demeurent en dehors du champ d’application de la Directive. L’Ordonnance maintient cette logique.
En conséquence, l’entreprise qui agit pour le compte d’un établissement de crédit qui lui aurait délégué la gestion des crédits n’est pas un gestionnaire de crédits au sens du nouveau régime prévu par l’Ordonnance. En effet, dans une telle hypothèse, c’est l’établissement de crédit qui demeure responsable du crédit et la relation est alors régie par les dispositions propres aux établissements de crédit (déduction du nouvel article L54-11-3, I, du code monétaire et financier).
Enfin, le régime mis en place ne s’étend pas aux opérations de gestion de crédits émis par un établissement de crédit n’ayant pas son siège au sein de l’Union, ni à l’achat d’un crédit par un établissement établi dans un État membre de l’Union européenne. Cette dernière exclusion correspond à la logique de création d’un marché européen coordonné : un établissement de crédit européen échappe au régime créé par la Directive pour les gestionnaires et acheteurs de crédits.
L’exigence d’un agrément des gestionnaires de crédits
Les gestionnaires de crédits doivent dorénavant être agréés par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) pour l’exercice de leurs activités de gestion de crédits. L’octroi de cet agrément est soumis à plusieurs conditions, indiscutablement usuelles en matière financière (PSI, PSAN, par exemple).
On relèvera notamment des exigences tenant aux dirigeants qui doivent jouir d’une « honorabilité suffisante » (casier judiciaire vierge, absence d’incidents mineurs aboutissant à ternir leur bonne réputation, etc.), posséder des connaissances et une expérience suffisantes.
À cela s’ajoutent des exigences relatives à l’organisation interne du gestionnaire de crédits, qui doit mettre en place des dispositifs solides et adaptés de gouvernance, de contrôle interne, de gestion des risques, de protection des emprunteurs et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Les gestionnaires de crédits, qui n’étaient jusqu’alors pas soumis aux obligations en matière de LCB-FT, devront donc se doter d’un dispositif spécifique afin d’être agréés en qualité de gestionnaire de crédits. Il est également précisé que les acheteurs de crédits seront soumis à ces mêmes obligations.
La Directive prévoit un délai de 90 jours à compter de la réception d’une demande complète pour que l’autorité nationale compétente (en France, l’ACPR) informe le demandeur de l’octroi ou du refus d’octroi de l’agrément. L’Ordonnance renvoie, quant à elle, à un décret en Conseil d’État pour fixer ce délai (non publié à ce jour), dont on pressent qu’il retiendra… un délai de 90 jours ! Le décret devant surtout apporter une précision sur les « informations que le demandeur communique à l’ACPR ».
De manière usuelle, en particulier dans le secteur financier, une des conséquences majeures de l’agrément sera le bénéfice, pour les gestionnaires de crédits, d’un passeport européen leur permettant d’offrir leurs services en Libre Prestation de Service (LPS) ou au moyen d’une succursale dans un État membre autre que celui d’agrément.
Enfin, l’Ordonnance précise que les gestionnaires de crédits en cours d’activité peuvent continuer leur activité jusqu’à l’obtention de leur agrément qui devra intervenir au plus tard le 29 juin 2024.
Les gestionnaires de crédits doivent donc, dès à présent, procéder à une refonte totale de leur dispositif interne afin de pouvoir déposer leurs demandes d’agrément auprès de l’ACPR dans les meilleurs délais et assurer ainsi la poursuite de leurs activités après le 29 juin 2024. Ce délai est donc très court, en particulier au regard de l’importance de la réforme organisationnelle que cela implique.
Exigence accrue de transparence
Bien que des obligations d’informations existaient préalablement dans le cadre des codes de déontologie des organisations professionnelles, et notamment de la Fédération Nationale de l’Information d’Entreprise, de la Gestion des Créances et de l’Enquête Civile (FIGEC), l’Ordonnance vient renforcer, et surtout rendre contraignantes, les obligations des acheteurs de crédits et des gestionnaires de crédits vis-à-vis des emprunteurs.
On notera en particulier, le nouvel article L.54-11-10 du code monétaire et financier qui liste les informations qui doivent être communiquées à l’emprunteur avant le premier recouvrement de créances, dès lors que le contrat de PNP ou les droits issus de ce dernier auront été transférés. Cette obligation s’impose également à chaque fois que l’emprunteur ou l’acheteur de crédits en fera la demande. Si un décret doit être adopté pour préciser les informations ainsi communiquées, on peut espérer qu’il se prononcera également sur le format de cette transmission (possibilité de recourir à une transmission numérique par exemple).
Suivant la Directive, l’Ordonnance ne se contente pas de viser la transparence à l’égard de l’emprunteur, mais également celle due au régulateur.
C’est ainsi que l’obligation d’information à destination de l’ACPR doit porter sur (a) le souhait d’un gestionnaire de crédits d’externaliser ses activités de gestion de crédits à un prestataire de services de gestion de crédits, préalablement à cette externalisation.
Ensuite, (b) les établissements de crédit seront tenus de communiquer à l’ACPR des informations concernant (i) l’identité de l’acheteur de crédits, (ii) l’encours agrégé des contrats de PNP cédés ou des droits issus de ces derniers, (iii) le nombre et la taille des contrats de PNP cédés ou des droits issus de ces derniers et (iv) l’extension ou non de la cession aux droits du créancier et, le cas échéant, les types d’actifs qui garantissent les contrats de PNP.
Enfin, (c) les acheteurs de crédits qui cèderont les contrats de crédit ou les droits issus de ces derniers à une autre entité seront tenus aux mêmes obligations de reporting auprès de l’ACPR que les établissements de crédit.
S’agissant des points (b) et (c), l’Ordonnance renvoie à un futur décret en Conseil d’État pour préciser la liste des informations à fournir ainsi que la détermination de la périodicité de cette communication, étant toutefois précisé que la Directive prévoit un reporting semestriel.
Des relations contractuelles entre les acteurs du marché secondaire encadrées
L’Ordonnance encadre, d’une part, le contrat de gestion de crédits conclu entre l’acheteur de crédits et le gestionnaire de crédits et, d’autre part, le contrat d’externalisation conclu entre un gestionnaire de crédits et un prestataire de services de gestion de crédits.
Il en résulte que les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits devront réaliser un « diagnostic juridique » de leurs contrats afin d’évaluer dans quelle mesure ces derniers sont, ou non, conformes à la nouvelle réglementation. Le cas échéant, une mise en conformité s’imposera et devra être mise en œuvre par des avenants. Là encore, le délai prévu d’application de ce nouveau régime, au 29 juin 2024 est particulièrement court.
Ce nouveau régime, qui instaure une nouvelle profession régulée dans le secteur des services financiers, poursuit un objectif très ambitieux s’agissant non seulement de permettre aux établissement de crédit de faire face aux exigences prudentielles et de rester compétitives dans un contexte d’accroissement des taux d’intérêts, mais également de créer un marché secondaire des crédits qui améliore la liquidité du secteur, réduisant les coûts des emprunts, tout en protégeant les emprunteurs contre les pratiques dommageables parfois observées.