Le Conseil d’État vient d’adresser une QPC au Conseil constitutionnel portant sur la légalisation par la LF 2025 de la pratique administrative figeant au 1er janvier 2017 le montant du « planchonnement » des valeurs locatives des locaux professionnels.
Rappel
La LFR 2010, entrée en vigueur au 1er janvier 2017, a réformé les valeurs locatives cadastrales des locaux professionnels. Depuis cette date, pour l’établissement des impositions locales (CFE et taxe foncière), les valeurs locatives des propriétés bâties sont fixées en fonction de l’état réel du marché locatif (CGI, art. 1498).
Afin d’atténuer la variation des valeurs locatives résultant de cette réforme, plusieurs mécanismes correctifs temporaires ont été mis en place par le législateur, dont le dispositif dit de « planchonnement » (CGI, art. 1518 A quinquies, III), applicable pour les impositions dues au titre des années 2017 à 2025.
Ce dispositif vise à limiter les variations de valeurs locatives tant à la hausse (plafond) qu’à la baisse (plancher), en diminuant de moitié l’écart entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017, et la valeur locative révisée.
Depuis sa mise en place, l’Administration applique le dispositif de « planchonnement » de manière figée, retenant comme « valeur locative révisée », la seule valeur locative révisée attribuée au titre de l’année 2017.
En 2023, le Conseil d’État a remis en cause cette méthode, en jugeant qu’il convenait, au contraire, de prendre en compte au titre de chacune des années concernées la valeur locative révisée correspondante (CE, 13 novembre 2023, n°474735, 474736 et 474757, Société Immobilière Carrefour et Société Leroy Merlin France).
Pour faire échec à cette jurisprudence, la LF 2025 est venue légaliser la méthode de calcul du « planchonnement » retenue par l’administration fiscale (loi n°2025-127 du 14 février 2025, art. 63, II).
En pratique, elle a figé au 1er janvier 2017 le montant du « planchonnement » des valeurs locatives des locaux professionnels, en prévoyant expressément que, sauf réclamation introduite avant le 10 octobre 2024 (date de présentation du PLF 2025 en Conseil des ministres), les impositions établies au titre de 2023 et 2024 étaient validées.
Transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel
Une société a sollicité la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel, en faisant valoir que les dispositions de la LF 2025 présentent un caractère rétroactif, et sont dès lors contraires à l’article 16 de la DDHC.
Le Conseil d’État rappelle d’abord que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que :
- Cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
- L’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général ;
- La portée de la modification ou de la validation soit strictement définie.
Le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur le PLF 2025 a déjà souligné le risque d’inconstitutionnalité de la mesure, au regard de sa rétroactivité tout en relevant que la rétroactivité pourrait être justifiée par le motif général tenant à une « volonté d’éviter un désordre dans le fonctionnement des services publics » (en cas de contentieux de série).
Le Conseil d’État admet la demande de transmission de QPC et le Conseil constitutionnel dispose désormais de 3 mois pour se prononcer (soit avant le 17 décembre 2025).