En 2000, la Commission européenne, considérant que le paquet fiscal de 1997 commençait à produire ses premiers effets avec la perspective de l’élimination d’un nombre significatif de régimes de concurrence fiscale dommageable a jugé que le moment était venu de reprendre la mise en place d’un véritable marché unique en matière de fiscalité. A cette fin, elle a entrepris, sur la base d’un mandat confié par le Conseil des ministres des finances et en consultation avec les milieux économiques, une vaste étude de la fiscalité des sociétés.
Mise en évidence d’obstacles fiscaux à l’activité transfrontalière
Cette étude a mis en évidence les nombreux obstacles fiscaux qui subsistent à l’activité transfrontalière des entreprises dans l’UE et en particulier :
- coexistence de 27 systèmes différents d’imposition des sociétés, fondés sur le principe de comptabilités séparées qui aboutit à une véritable segmentation du marché européen
- obligations documentaires en matière de prix de transferts entre entreprises liées de plus en plus lourdes sans pour autant parvenir à éviter les risques de double imposition dans les cas de redressements, en dépit de la Convention d’arbitrage censée régler ces problèmes
- insuffisances et champ d’application trop étroit des Directives communautaires existantes en matière de fiscalité directe
- absence, dans la plupart des cas, de mécanismes de compensation transfrontalière des profits et pertes qui rend la création d’activités au-delà des frontières plus coûteuse que l’investissement purement domestique, au détriment de l’efficience économique
- insuffisance des traités bilatéraux de double imposition pour prendre en compte la dimension communautaire (sans parler de l’inadéquation de l’instrument : 351 traités seraient nécessaires pour couvrir toute l’Union) mais surtout incapacité de ceux-ci à éliminer effectivement la double imposition, ce qui est incompatible avec l’idée même de marché unique !
Au total, l’ensemble de ces obstacles se traduisent par des coûts administratifs et de mise en conformité très élevés, un accroissement de l’incertitude fiscale pour les investisseurs, des obstacles aux restructurations et un renchérissement des investissements transfrontaliers par rapport aux investissements purement domestiques et donc une moindre efficacité et une moindre croissance économique. L’élimination de ces obstacles faciliterait considérablement la création et l’arrivée de nouvelles entreprises sur les marchés, relancerait l’investissement et l’innovation. En bref cela accroîtrait la compétitivité des entreprises européennes.
Une initiative ambitieuse
S’appuyant sur la discussion informelle des ministres des finances à La Haye en 2004, la Commission a choisi, pour éliminer l’ensemble de ces obstacles, de développer une initiative très ambitieuse visant à définir et à mettre en place une « Assiette Commune Consolidée d’Imposition des Sociétés –ACCIS ».
L’approche a été développée avec l’appui d’un groupe de travail technique auquel participent les (27) Etats membres. De leur côté, les représentants des entreprises (notamment Business Europe) ont très activement contribué aux travaux et apporté un large soutien. Le système envisagé repose sur les éléments suivants :
- les sociétés membres d’un groupe (et leurs établissements permanents) pourront opter pour le régime ACCIS dès lors qu’elles satisfont à un certain seuil de participation retenu
- elles détermineront leur assiette d’imposition selon des règles communes à toute l’Union
- cette assiette sera totalement consolidée (profits et pertes) sur le périmètre du groupe
- cette assiette consolidée sera ensuite répartie entre les Etats membres à l’intérieur desquels l’activité économique du groupe génératrice de profits s’est déroulée (à cette fin une clé de répartition uniforme sera déterminée associant trois éléments : les salaires versés, les immobilisations constituées, les ventes réalisées)
- chaque entreprise membre du groupe consolidé appliquera le taux d’imposition de son Etat membre d’établissement à la part de la base d’imposition qui lui est attribuée afin de déterminer l’impôt sur les sociétés qui est due (déterminant ainsi l’impôt sur les sociétés revenant à chaque Etat membre)
- une déclaration unique sera adressée au « guichet unique » mis en place à cette fin dans le pays de la société mère du groupe (ou équivalent) afin de simplifier radicalement l’administration fiscale de l’ACCIS
Pour neutraliser les principaux obstacles dans une démarche consensuelle
Cette modalité de détermination de l’assiette imposable devrait éliminer les principaux obstacles recensés à l’activité transfrontalière des entreprises : l’imposition ne reposera plus sur le principe des comptabilités séparées et sur l’usage des prix de transfert, la compensation des profits et pertes sera immédiate, les obstacles aux réorganisations seront très largement éliminés, l’investissement domestique ne sera plus fiscalement privilégié, les coûts administratifs pesant sur les entreprises seront fortement réduits ainsi que les risques de double imposition.
Pour être la plus efficace, la base commune d’imposition devra être large afin tout à la fois de faciliter l’accord entre les Etats Membres (sinon chacun voudra maintenir les dispositions nationales dérogatoires auxquelles il est attaché) et de permettre le cas échéant à ceux des Etats membres qui le souhaitent d’abaisser leur taux nominal mais surtout afin d’avoir un système simple, offrant davantage de sécurité juridique pour les opérateurs et moins de distorsions dans les décisions économiques. Pour certains secteurs d’activité tels que les opérations financières, la banque ou les assurances, les modalités d’application de cette assiette commune doivent être aménagées en sorte de prendre en compte les spécificités de ces secteurs.
Enfin, on retiendra que les crédits d’impôts restant imputables au niveau de chaque entité sur la part nationale de l’impôt après répartition de l’assiette, il appartiendra à chaque Etat membre d’apprécier s’ils sont compatibles avec les règles de concurrence (aide d’Etat).
L’intention initiale de la Commission était de présenter une proposition de Directive vers septembre 2008, à temps pour que la France soit en mesure de faire progresser cette proposition au cours de sa Présidence. Le refus de ratifier le Traité de Lisbonne opposé par les irlandais a contrarié ce projet. C’est d’autant plus dommage que d’une part un énorme investissement technique a été réalisé, dont la qualité et la transparence ont été très bien accueillies en général, d’autre part on peut douter que la concurrence fiscale que nous connaissons en matière d’imposition des sociétés soit la meilleure ligne à suivre pour que l’Europe sorte de la crise économique dans de bonnes conditions.
Lors du Forum Fiscal de Bruxelles réuni à l’initiative de la Commission les 30 et 31 mars sur le thème « Systèmes d’imposition dans un monde en changement », nombre d’intervenants ont souligné le besoin et la faisabilité d’une ACCIS, au risque de voir la concurrence fiscale emporter nos systèmes d’imposition des sociétés dans la tourmente de la concurrence d’après crise. Souhaitons donc une émergence rapide de ce projet, il est essentiel à l’avenir des entreprises européennes et à leur compétitivité.