Prise en charge d’une indemnité contractuelle par une filiale française d’un groupe étranger : absence d’AAG en présence de contreparties

La CAA de Versailles juge que la prise en charge par la filiale française d’un groupe étranger d’une indemnité contractuelle visant à éviter des poursuites judiciaires ultérieures contre elle/le groupe auquel elle appartient n’est constitutive ni d’un acte anormal de gestion, ni d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger dès lors que la société française justifiait, en l’espèce, de la contrepartie qu’elle en a retirée.

L’histoire

Une société française, d’équipement automobile, était intégralement détenue par une société allemande, elle-même détenue à 100 % – depuis son acquisition en 2013 – par une société japonaise.

En juillet 2013, la Commission européenne a infligé des amendes pour participation à une entente anti-concurrentielle mise en œuvre entre les années 2004 à 2009 à 5 équipementiers automobiles, dont la société française précitée. La société française a ainsi été condamnée au paiement d’une amende au titre de cette entente au détriment d’un constructeur automobile français. Le paiement de l’amende a été pris en charge par sa société mère allemande.

Par la suite, un protocole d’accord transactionnel a été conclu entre d’une part, la société japonaise et la filiale française et d’autre part, le constructeur automobile français lésé par l’entente anti-concurrentielle. Ce protocole prévoyait le versement, par la société française, d’une indemnité au constructeur automobile en contrepartie de l’engagement de ce dernier de ne pas intenter de poursuites contre la société française ou contre le groupe auquel elle appartient en lien avec la pratique anti-concurrentielle antérieure à 2010.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 2012 à 2014, l’Administration a remis en cause la déduction par la société française, au titre de l’exercice 2014, de cette indemnité visant à réparer le préjudice subi par le constructeur automobile du fait de l’entente anti-concurrentielle sanctionnée. Elle a estimé que la société mère allemande, qui détenait à 100 % la société vérifiée, était la seule redevable de cette indemnité. Dès lors ce paiement ne constituait pas, selon elle, une charge déductible pour la société vérifiée, mais un acte anormal de gestion et un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI.

L’affaire est portée par la société française devant la CAA de Versailles, le TA ayant tranché en faveur de l’Administration.

La décision

Sur l’existence d’un acte anormal de gestion

La CAA de Versailles rappelle qu’il appartient au contribuable qui entend déduire une charge de son bénéfice net (CGI, art. 39, 1) de justifier non seulement du montant de cette charge, mais aussi du principe même de sa déductibilité. Pour ce faire, il peut produire tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée (voir notamment, CE, 20 juin 2003 n°232832, Sté Etablissements Lebreton).

Au cas d’espèce, la Cour juge que le paiement de l’indemnité versée au constructeur automobile par la société française a été effectué dans l’intérêt de son exploitation. Il constitue donc une charge déductible.

Pour trancher en ce sens la CAA relève notamment que :

  • la filiale française risquait, au premier chef, de voir sa responsabilité engagée en cas d’action en dommages et intérêts initiée par le constructeur automobile, en sa qualité de co-contractant de ce dernier ;
  • la société française avait un intérêt commercial à payer l’indemnité litigieuse puisque le constructeur automobile constituait son unique client et qu’un nouveau marché, susceptible de générer un CA important, lui a été attribué par ce dernier en 2014.
  • la société allemande s’est engagée à verser l’amende infligée à la société française par la Commission européenne mais ne s’est en revanche pas engagée à payer les dommages et intérêts pouvant découler de l’entente anti-concurrentielle ainsi sanctionnée.

Sur l’existence d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger

Pour mémoire, pour faire jouer la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger prévue à l’article 57 du CGI, l’Administration doit établir au préalable (i) l’existence d’un lien de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère (à moins que celle-ci ne soit établie dans un pays dont le régime fiscal est privilégié au sens de l’article 238 A du CGI), et (ii) l’octroi d’avantages anormaux par l’entreprise française à l’entreprise étrangère.

Si la présomption de transfert de bénéfices à l’étranger est établie par l’Administration, c’est alors à l’entreprise d’apporter la preuve que l’avantage ne constitue pas, en fait, un transfert de bénéfices à l’étranger (BOI-BIC-BASE-80-20, 02/09/2015, § 360 et s.), par exemple, en démontrant que celui-ci est justifié par l’obtention de contreparties (voir en ce sens CE, 14 mars 1984, n°34430 et n°36880 ; CE, 30 mars 1987, n°52754).

En l’espèce, la CAA de Versailles juge que le paiement d’une indemnité par la société française ne constitue pas un transfert indirect de bénéfice à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI, dès lors que cette dernière a notamment obtenu les contreparties suivantes :

  • L’absence d’action en dommages-intérêts – en tant que cocontractante du constructeur automobile, elle aurait été la première concernée par une action en dommages et intérêts ;
  • La conservation de son unique client et le bénéfice de l’attribution d’un nouveau marché – via la signature du protocole.

Enfin, la Cour écarte l’argument tiré de ce que la société japonaise aurait bénéficié d’un avantage du fait de la signature du protocole et du paiement de l’indemnité en découlant, en soulignant que cet avantage n’était pas pour autant dépourvu de contrepartie pour la société française.

Par conséquent, elle annule le jugement rendu en 1re instance par le TA de Versailles.

Cet arrêt n’est pas sans rappeler la décision Sté Financière Agache du Conseil d’Etat, qui juge que la seule circonstance qu’une opération comporte un avantage pour un tiers ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un acte anormal de gestion (CE, 28 avril 2006, n°275147, Sté Financière Agache).

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Myriam Mouloudj
Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]