Prise en charge de frais de réorganisation du groupe par une filiale : ni AAG, ni transfert indirect de bénéfices à l’étranger

Pour la CAA de Lyon, la prise en charge par une filiale française, de divers frais découlant d’une décision de réorganisation prise par le groupe étranger auquel elle appartenait, n’est constitutive ni d’un acte anormal de gestion, ni d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger.

L’histoire

À la suite du rachat d’un groupe américain par une société européenne, celle-ci a décidé de réorganiser l’ensemble de l’activité de distribution des produits de la marque en Europe.

Dans ce contexte, en 2008, une société française, chargée, jusqu’alors, de la distribution d’articles de mode de ladite marque sur le territoire européen, s’est défaite, par application de 3 actes de cessions de fonds de commerce, de son activité de distribution au profit de sociétés sœurs françaises et irlandaises. Elle n’a conservé qu’une activité résiduelle de promotion de l’activité de distribution dans le réseau de magasins de sport sur le marché français.

Les actes de cession prévoyaient le transfert des contrats conclus avec les détaillants et les distributeurs, ainsi que le transfert des agents commerciaux, mais stipulaient qu’en cas de litige, le vendeur supporterait les conséquences découlant de la résiliation de ces contrats, le cas échéant.

C’est dans ce cadre que la société française a été amenée à prendre à sa charge les indemnités de fin de contrats la liant avec ses commissionnaires et agents commerciaux.

De plus, elle s’est acquittée seule des frais liés au licenciement de la quasi-totalité de ses salariés, les actes de cession de fonds de commerce excluant le transfert aux acquéreurs des contrats de travail.

L’Administration a estimé que la prise en charge de ces frais, liés à la restructuration du groupe, était étrangère à l’intérêt de la société française et traduisait (1) l’octroi d’un avantage indu au profit de ses sœurs françaises et irlandaises, constitutif d’un acte anormal de gestion ainsi que (2) d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI.

À cet égard, elle soutenait que :

  • La décision de réorganisation avait été prise par le groupe (société européenne) et imposée à l’ensemble des sociétés, dans le but de rationaliser les coûts et d’assurer le développement de ses propres filiales, alors même que le groupe n’était pas en difficulté, et que sa compétitivité n’était pas menacée ;
  • La société française n’avait aucun intérêt à céder ses fonds de commerce et qu’elle avait été contrainte de renoncer à des activités rentables et de supporter les coûts liés à la réorganisation, sans réclamer une contrepartie ou un dédommagement de la société italienne à l’initiative de la restructuration.

La décision

La CAA de Lyon écarte l’existence d’un acte anormal de gestion, comme d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger, en réaffirmant, avec force, le principe de non-immixtion de l’Administration dans la gestion des entreprises.

Elle juge d’abord que, pour apprécier si des opérations correspondent à des actes relevant d’une gestion normale, l’Administration doit tenir compte du seul intérêt propre de l’entreprise (en ce sens également, CE, 26 septembre 2001, n°219825).

Rappelons que la circonstance qu’une opération, qui n’est pas contraire ou étrangère aux intérêts d’une entreprise, puisse comporter un avantage éventuel pour un tiers ne suffit pas à lui donner un caractère anormal (voir aussi CE 10 juillet 1992 n°110213 et 110214 Sté Musel SBP et Brunner).

Ensuite, elle indique que l’Administration n’avait pas à se prononcer sur l’opportunité du choix de la société de céder ses fonds de commerce pour ne conserver qu’une activité de promotion de l’activité de distribution dans le réseau des magasins de sport sur le marché français.

Rappelons, là encore, que le Conseil d’État a posé, de longue date, le principe selon lequel le contribuable n’est jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de réaliser (CE, 7 juillet 1958, n°35977).

La Cour souligne, en outre, que les prix de cession des fonds de commerce étaient parfaitement conformes au prix du marché (point non contesté par l’Administration), et que la prise en charge des frais et indemnités litigieuse était en ligne avec les actes de cession, ainsi qu’avec les dispositions applicables en matière de droit du travail. Enfin, elle relève que l’absence de demande de contrepartie ou de dédommagement auprès de la société mère européenne ne démontre pas qu’un quelconque avantage aurait été consenti aux sociétés sœurs.

Il est permis de se réjouir de cette décision, très pragmatique, d’autant que la jurisprudence relative à la prise en charge par des filiales de coûts de restructuration s’inscrivant dans l’exécution d’une stratégie définie par le groupe est peu abondante.    

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.