Abus de convention fiscale : illustration dans un contexte impliquant la France/le Danemark/le Luxembourg

Conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, la CAA de Paris juge que les rédacteurs d’une convention fiscale de lutte contre la double imposition sont présumés avoir voulu exclure de son bénéfice les montages artificiels dépourvus de substance économique et retient en l’espèce « l’abus de convention fiscale » franco-danoise.

Rappel

L’Administration peut écarter les actes passés par le contribuable lorsque, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales de l’intéressé (abus de droit par fraude à la loi, LPF art. L. 64).

Le Conseil d’Etat a précisé que ces dispositions pouvaient être mises en œuvre lorsque la norme dont le contribuable recherche le bénéfice est une convention fiscale bilatérale en vue d’éliminer les doubles impositions alors même que cette convention ne prévoit pas explicitement l’hypothèse de fraude à la loi (CE Plén., 25 octobre 2017, n°396954).

L’histoire

Quelques mois après sa constitution en 2007, une société luxembourgeoise a créé 5 filiales danoises dont elle était l’associée unique. Par l’intermédiaire de ces 5 sociétés danoises, la société luxembourgeoise a acquis, quelques semaines plus tard, plusieurs immeubles situés en France qui ont été cédés rapidement (entre 2008 et 2009). Puis, les 6 sociétés ont toutes fait l’objet d’une liquidation au cours de l’année 2009.

L’administration fiscale française a procédé à une vérification de comptabilité des exercices 2008 et 2009 de la société luxembourgeoise à l’issue de laquelle elle a considéré que l’interposition des sociétés danoises avait eu pour unique but d’exonérer l’imposition des plus-values immobilières réalisées lors des cessions des immeubles localisés en France.

En effet, si une telle exonération était possible dans le cadre de l’application de la convention fiscale franco-danoise, les plus-values auraient été pleinement imposables en France par application de la convention fiscale franco-luxembourgeoise alors nouvellement applicable (version issue de l’avenant signé le 24 novembre 2006 et entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2008).

L’Administration a mis en œuvre la procédure d’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du LPF, estimant que l’opération litigieuse était contraire aux objectifs poursuivis par les 2 Etats signataires de la convention fiscale franco-danoise dans la mesure où les sociétés danoises étaient dépourvues de toute substance économique, qu’elles ne possédaient pas de réelle autonomie de gestion et que l’interposition de ces sociétés, qui n’avaient pris aucun risque, ne présentait qu’un intérêt fiscal pour la société luxembourgeoise.

Les plus-values ont dès lors été soumises au prélèvement forfaitaire prévu par l’article 244 bis A du CGI, assorti de pénalités.

La décision

La CAA de Paris rappelle qu’en vertu des stipulations de la convention franco-danoise dans sa version alors en vigueur (art. 4 de la convention fiscale franco-danoise du 1er avril 1958), la plus-value réalisée, à l’occasion de la vente d’un bien immobilier situé sur le territoire français, par une entreprise industrielle et commerciale danoise n’exploitant aucun ES en France n’était pas imposable en France.

Puis, elle précise que les Etats parties à cette convention ne sauraient pour autant être regardés comme ayant entendu, pour répartir le pouvoir d’imposer, appliquer ses stipulations à des situations procédant de montages artificiels dépourvus de toute substance économique (cf. critère objectif de la fraude à la loi : application littérale du texte en contrariété avec l’intention de ses auteurs).

Elle relève également en l’espèce que :

  • Le recours aux sociétés danoises n’apportait aucune capacité financière ni aucune expertise ni facilité de gestion ;
  • Le risque qu’elles assumaient était limité voire nul ;
  • Les sociétés danoises n’avaient développé aucune autre activité avant leur liquidation ni même avant le versement du prix de vente par le notaire ;
  • Il n’est pas démontré que l’interposition de ces sociétés était justifiée par un motif économique, organisationnel ou financier – étant précisé que la circonstance que les sommes perçues lors de la vente des biens aient été réinvesties par une société du groupe n’est pas de nature à apporter la preuve de la justification économique de l’interposition
    (cf. critère subjectif de la fraude à la loi : l’exclusivisme fiscal).

Par conséquent, la Cour confirme l’existence d’un abus de droit fondé sur les dispositions conventionnelles franco-danoises. Elle juge que l’opération litigieuse avait pour seul objet le bénéfice d’une application littérale de ce texte, allant à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs, à savoir les 2 Etats signataires.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]