QPFC sur dividendes et convention franco-chilienne : pas d’extension de la jurisprudence « Stéria »

Infirmant la position des juges de 1re instance, la CAA de Paris juge qu’en dépit des dispositions singulières de la convention fiscale franco-chilienne, une société française, tête d’un groupe intégré, ne saurait revendiquer le bénéfice de l’ancien mécanisme de neutralisation de la QPFC sur dividendes au titre des distributions reçues de ses sous-filiales chiliennes, détenues à plus de 95 %. Notons également des éléments de réflexion intéressants sur les modalités d’application des jurisprudences Axa et Raymond (QPFC sur dividendes et modalités d’imputation des CI étrangers).

L’histoire

Une société française, membre d’une intégration fiscale, a perçu, au titre de l’exercice clos en 2015, des dividendes placés sous le régime des sociétés mères, de deux filiales établies au Chili.

Dans le cadre d’une réclamation, elle a revendiqué, sur le fondement combiné des dispositions de la convention franco-chilienne et de la jurisprudence « Stéria », le bénéfice de la neutralisation de la QPFC sur ces dividendes.

En effet, la convention franco-chilienne comporte, en son article 22, une clause « unique dans le réseau conventionnel fiscal bilatéral de la France », qui prévoit que « en ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante (…) b) les dividendes payés par une société qui est un résident du Chili à une société qui est un résident de France sont exonérés d’impôt en France dans les mêmes conditions que si la société qui paye les dividendes était un résident de France ou d’un autre Etat membre de l’UE ».

Aussi, la société française considérait que, dès lors qu’elle remplissait avec ses filiales chiliennes toutes les conditions pour appartenir au même groupe intégré (hors condition tenant à la résidence fiscale), elle pouvait bénéficier, sur le fondement de la jurisprudence « Stéria » de l’ancien mécanisme de neutralisation de la QPFC sur dividendes intra-groupe (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria SCA).

Le TA de Montreuil a souscrit à cette analyse, considérant que les sous-filiales chiliennes se trouvaient bien dans une situation équivalente à celle d’une filiale membre du groupe intégré, et que les distributions litigieuses pouvaient, dès lors, ouvrir droit au mécanisme de neutralisation de la QPFC (TA Montreuil, 3 décembre 2020, n°1908285, Sté Legrand).

La décision de la CAA de Paris

La CAA de Paris revient sur cette analyse extensive des dispositions de la convention franco-chilienne.

Elle rappelle d’abord la décision dans le cadre de laquelle le Conseil constitutionnel a confirmé le refus du législateur d’étendre le bénéfice de la jurisprudence Stéria aux distributions provenant de filiales sises dans des Etats tiers à l’UE (Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, n°2018-699 QPC, Life Sciences Holdings).

Elle rappelle également que la requérante ne saurait se prévaloir d’une atteinte à la liberté d’établissement, cette protection n’étant offerte qu’aux sociétés établies dans un Etat membre de l’UE.

Se référant ensuite aux travaux préparatoires relatifs à la loi de ratification de la convention franco-chilienne, elle juge que les dispositions litigieuses tendent « au moyen d’un principe équivalent à celui du régime mère-fille (…) à éviter la double imposition des dividendes versés par les filiales chiliennes à leur société mère française, résultant des impositions à la source sur les bénéfices distribués de source chilienne, perçues conformément au droit interne chilien ».

On comprend en effet, à la lecture des conclusions du rapporteur public, que cette clause résulte d’un compromis entre la France et le Chili, permettant de tenir compte de la spécificité du régime d’imposition des dividendes au Chili, qui pénalise les distributions vers l’étranger.

La Cour en conclut que, faute de toute stipulation en ce sens, ladite clause n’a pas pour objet de permettre, pour autant, à la société mère française intégrée, de bénéficier d’une neutralisation de la QPFC au titre des dividendes servis par sa filiale chilienne.

On notera que la Cour, même si elle n’a pas été saisie en ce sens par la requérante, rappelle les principes dégagés par le Conseil d’Etat dans ses décisions Axa (CE, 5 juillet 2022, n°463021, Axa) et Raymond (CE, 7 avril 2023, n°462709, Sté A. Raymond et Cie), dans le cadre desquelles il avait posé le principe selon lequel les dispositions de l’article 216 du CGI doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de frais généraux, des charges afférentes aux participations dont les produits sont exonérés d’IS, mais comme visant à soumettre à l’IS, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participation bénéficiant du régime des sociétés mères.

Elle considère que ces principes étaient toutefois inopérants au cas d’espèce.

Dans ses conclusions, le rapporteur public rappelle, en outre, que les jurisprudences précitées n’ont pas encore « donné lieu à des décharges concrètes », car « le Conseil d’Etat n’a pas eu encore l’occasion de proposer une grille d’évaluation des frais propres à la gestion des dividendes, c’est-à-dire exposés pour leur acquisition ou leur conservation ».

Il souligne que le Conseil d’Etat n’a pas davantage précisé si « cette imposition était l’assujettissement de la totalité des dividendes au produit du taux d’imposition par la fraction du dividende concerné ou s’il s’agit d’imposer au taux normal la seule fraction du dividende concerné par cette imposition mise à jour par soustraction des frais et charges réellement exposés ».

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.