La CAA de Versailles rappelle qu’un écart de prix susceptible d’être regardé comme un transfert indirect de bénéfices peut néanmoins être justifié par les risques que l’entreprise a vocation à assumer et qui affectent sa rentabilité.
Eléments de contexte
Une société française, dont l’activité consiste en la fabrication de roulements sur mesure de très grandes dimensions, à destination de l’industrie civile et militaire, est contrôlée par un groupe suédois, par l’intermédiaire d’une société française détenant la totalité de son capital.
A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2009 et 2010 (déficitaires), l’Administration a estimé que les prix auxquels la société française avait vendu ses produits aux sociétés distributrices du groupe à l’étranger avaient été minorés (taux de marge net négatif) et a appliqué les dispositions de l’article 57 du CGI.
Les sommes correspondant au transfert indirect de bénéfices à l’étranger ont été soumises à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2° du CGI.
L’affaire a été portée devant les juridictions, avant que le Conseil d’Etat ne soit saisi une première fois.
La décision du Conseil d’Etat statuant en 1re cassation (CE, 4 octobre 2021, n°443130)
Le Conseil d’Etat a validé le recours par l’Administration à la méthode transactionnelle de marges nettes (MTMN), consistant à comparer le ratio de marge nette de chiffre d’affaires de la société française à raison des opérations litigieuses avec celui de 8 entreprises dépourvues de lien de dépendance et exerçant dans des domaines d’activité voisins.
Le constat était sans appel, le ratio de marge nette de l’entreprise oscillant entre –10 % et –22 % au titre des années vérifiées, alors qu’il tournait autour de 2/3 % pour la moyenne des entreprises comparées.
La société – qui ne critiquait ni la méthode, ni le panel retenu par l’Administration – faisait valoir qu’elle exerçait des fonctions plus importantes que celle d’une simple unité de production au sein du groupe, ce qui lui donnait vocation à assumer un risque de développement et un risque commercial, lesquels avaient, selon elle, affecté son bénéfice d’exploitation au titre des années en litige.
Le Conseil d’Etat, sans se prononcer sur le fond du litige, a annulé la décision des juges d’appel, qui s’étaient bornés à relever que la société requérante n’avait pas le « statut d’entrepreneur principal » au sein du groupe pour écarter l’argument.
Rappelons que cette notion d’« entrepreneur principal » est un concept qui émane de l’OCDE et ne repose sur aucune définition légale en France. Toutefois, il figure toujours dans les commentaires administratifs publiés au BOFiP (BOI-BIC-BASE-80-10-10-10-10, n°110, 22 novembre 2023).
L’affaire a été renvoyée devant la CAA de Versailles.
La décision de la CAA de Versailles
La CAA de Versailles rappelle que la mise en évidence, par l’Administration, d’un avantage par comparaison, peut être regardé comme ne constituant pas un avantage dépourvu de contrepartie, s’il est justifié par les risques que la société française a vocation à assurer et qui affectent sa rentabilité.
A l’issue d’une analyse détaillée, elle juge que la société requérante exerçait bien des fonctions plus importantes que celles d’une simple unité de production au sein du groupe, en se fondant notamment sur les éléments suivants :
- L’expertise technique et la spécificité des produits fabriqués à destination d’une clientèle restreinte et ciblée, dispensant les sociétés distributrices de toute dépense de prospection commerciale ;
- La société française détenait l’ensemble des actifs corporels permettant cette production et en supportait seule les risques ;
- Si elle n’était pas propriétaire des brevets, elle avait mené des travaux de R&D et bénéficiait, en vertu d’un accord de répartition des coûts de R&D organisé au niveau du groupe, à titre gratuit, de ces brevets ;
- Elle participait à la fixation des prix des produits vendus par les sociétés distributrices du groupe et disposait d’une véritable marge de manœuvre (faculté de déterminer librement son prix de revient et même de refuser de contracter avec un client si le prix final négocié ne lui convenait pas).
Cette analyse est corroborée par la prise en compte d’éléments exogènes, tels que les caractéristiques des marchés sur lesquels la société réalisait des transactions (forte et rapide augmentation du prix de l’acier, matière première représentant une part importante du prix de revient des produits commercialisés par la société, durant la période litigieuse – sans que le coût standard de production ne soit adapté en conséquence du fait de sa détermination très en amont) ou encore la stratégie de développement du groupe.
Elle en conclut que les pertes des années en litige procédaient ainsi de la concrétisation de risques opérationnels et stratégiques assumés par la société française, de nature à écarter la qualification de transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens des dispositions de l’article 57 du CGI.